Petiha du Pri Megadim sur Ta’arovet
Premier chapitre : min be-mino
(mélange d’éléments semblables) yavesh be-yavesh (les éléments sont
physiquement distincts les uns des autres).
La règle est
dans ce cas-là que had be-trei batel, « un s’annule dans deux ». La
source première de cette règle de bittul be-rov est Hullin 99b. On apprend
cette règle, selon Rashi, du fonctionnement d’un beit din, « aharei rabim
lehatot », on suit la majorité. Cette dérivation n’est pas évidente, car
dans le cas d’un tribunal, l’avis de la minorité est considéré comme nul
(batela daatan) face à la majorité, mais ne se ramène pas pour autant à l’avis
de la majorité ; alors qu’ici, si l’on suit la compréhension du Rosh, le
bittul be-rov transforme effectivement l’interdit en permis (cf. Shaarei Yosher
IV pour l’analyse de cette dérivation). La règle de bittul be-rov n’est pas non
plus la simple gestion d’une probabilité comme dans le cas classique des dix
boucheries dont neuf cachères, ou même celui où l’un des éléments du mélange
aurait par la suite disparu : ici, on sait que l’élément interdit est présent.
Il s’agit encore moins de la gestion d’une majorité statistique, du genre
« la majorité des vaches sont cachères » : en effet, Rabbi Meir
ne reconnaît pas la validité halakhique de ce dernier type de rov, dit
« rova de-leita kaman », alors qu’il reconnaît la validité du bittul
be-rov et même, semble-t-il, celle d’un rov de probabilité dans un ensemble
déterminé, dit « rova de-ita kaman ».
1re question : l’effectivité
du bittul be-rov est-elle une propriété des éléments, ou de l’ensemble en tant
qu’ensemble ?
Le cas classique
d’un tel mélange est qu’un élément dont on connaissait a priori le statut
interdit s’est mélangé à des éléments dont on connaissait a priori le statut
permis. Le simple fait de faire rentrer ces éléments dans un ensemble ne
modifie pas le statut a priori de ces éléments : si on était capable
d’identifier l’élément interdit, il n’y aurait plus d’ensemble-mélange. La
question se pose quand le statut de permis ou d’interdit de chaque élément est
dépendant halakhiquement du statut des autres éléments.
Le cas modèle
que rapporte le pri megadim est celui de trois bêtes qui présentent chacune un
foie incomplet. En YD 41, on explique qu’il suffit, pour qu’une bête soit
cachère malgré un foi incomplet, qu’il subsiste une quantité minimale (kazayit)
de foie à un endroit précis – et il y a un désaccord quant à la localisation de
cet endroit : est-ce au niveau du diaphragme (auquel le foie est attaché
par des ligaments) (A), de la vésicule biliaire (B) ou du rein droit (auquel le
foie est attaché par le ligament hépatorénal) (C) ? Imaginons donc que,
sur les trois bêtes, la première possède la quantité nécessaire aux endroits A
et B, la deuxième aux endroits B et C, et la troisième aux endroits A et C. Que
la halakha, si on était capable de la déterminer, nous disent que l’endroit
nécessaire est A, B ou C, de toute façon, on est ici en présence de deux bêtes
cachères et d’une seule bête tarèf. On est donc ici en présence d’un ensemble
où l’on sait que, de toute façon, une majorité d’éléments est théoriquement
permise, mais où le statut de chaque élément pris individuellement est douteux
– non pas douteux par accident, mais du fait de la structure même de la
halakha.
Dira-t-on ici
que chaque élément ayant un statut douteux, il est interdit à cause de ce doute
avant qu’il devienne un élément de l’ensemble ? C’est en effet la logique
que l’on met en œuvre (YD 110) pour expliquer pourquoi, dans un cas où un
bittul n’est pas possible (parce qu’il s’agit d’un élément ayant une certaine
importance, comme un animal vivant, par exemple), un élément au statut douteux
qui vient à être mélangé à d’autres éléments dont le statut est cachère (et
indépendant du statut de l’élément douteux) ne devient pas permis à cause d’un
autre mécanisme, celui du double doute (sfeik sfeika). On aurait pu croire que,
même en l’absence de bittul, on peut dire, pour chaque élément : peut-être
qu’il ne s’agit pas de l’élément problématique, et s’il s’agit de lui,
peut-être n’est-il en réalité pas interdit. Mais dans les faits, le statut douteux
qu’il avait avant de faire partie du mélange lui a donné un statut présomptif
d’interdit (hazaka) qui porte sur l’objet en tant qu’objet et qui ne constitue
donc pas un doute pouvant s’adjoindre à un autre doute portant sur un aspect
autre de la situation donnée, à savoir l’identification de cet objet parmi un
ensemble.
Dira-t-on qu’il
en est de même ici, à savoir que la hazaka qui porte sur chaque élément pris
séparément ne peut être remise en question par le fait qu’ils sont maintenant
les éléments d’un ensemble ? Ou prendra-t-on en compte l’aspect inédit de
la situation ici envisagée, à savoir que la mise en ensemble de ces éléments
induit une certitude qui n’était pas présente au niveau des éléments pris
séparément, à savoir qu’on a là, quoi qu’il arrive, une majorité d’éléments
cachères – et qu’on est, contrairement à YD 110, dans un cas où rien, dans le
statut particulier des objets, n’interdit un bittul ?
Le Pri Megadim
envisage une résolution possible avant de la repousser. Imaginons qu’on ait au
début un ensemble de deux éléments dont un est interdit et l’autre permis, et
qu’on vienne à en rajouter un troisième : on est maintenant en présence
d’un ensemble où l’on sait que deux éléments sont permis et un troisième
interdit, bien qu’à l’étape précédente, lorsqu’il n’y avait que deux éléments,
chacun était interdit à cause du doute, en l’absence de rov ? Le
cas-modèle proposé plus haut ne pourrait-il pas se ramener à cela ? Le Pri
Megadim rétorque que cette hypothèse de la constitution d’un rov en deux étapes
est erronée. Certes, il est vrai qu’« on ne dit pas hatikha naasit
nevela » dans un contexte de yavesh be-yavesh, autrement dit, quand les
éléments d’un mélange sont distincts, l’absence de bittul à une étape n’induit
pas que, si ce mélange est maintenant inclus dans un mélange plus grand, on
exige, pour que le mélange final soit autorisé, que la proportion du bittul
soit calculée en fonction de la totalité des éléments du mélange initial, mais
seulement en fonction de l’interdit premier. Par exemple, si un élément
interdit s’est mélangé à un élément interdit, on n’exige pas que se rajoutent
trois nouveaux éléments (voire quatre pour ceux qui estiment que rov signifie
kefel, « double », voir plus loin) afin de mettre en minorité les
deux éléments initiaux, dont seul un était à l’origine interdit ; mais ce
n’est pas pour autant qu’on peut se contenter d’ajouter un seul élément
supplémentaire qui viendrait s’ajouter à l’élément permis du mélange originel
et qu’à eux deux ils annuleraient l’interdit originel : l’élément permis
originel, une fois qu’il a été placé dans une situation où il est interdit à
cause d’un doute, ne nécessite certes pas une annulation supplémentaire, mais
ne peut plus non plus contribuer à l’annulation de l’élément interdit originel
(cf. Taz 92, 16). Et même si le Shakh (92, 16) maintient que l’ajout d’un seul
élément supplémentaire est suffisant, il n’est pas sûr que dans notre cas, il
appliquerait cette logique, dans la mesure où ici aucun élément, pris
indépendamment, n’a connu un état où il était permis avec certitude.
2e question : Bittul be-rov
issur
La règle de
bittul be-rov stipule qu’une minorité d’éléments interdits s’annule dans une
majorité d’éléments permis. Cette règle tient-elle à une propriété spécifique
des éléments permis d’annuler, voire d’inverser (selon le Rosh), le statut des
éléments interdits, ou encore à une capacité des éléments interdits de
s’annuler dans les éléments permis, en tout cas à des propriétés propres et
asymétriques du permis et de l’interdit ? Ou s’agit-il d’une propriété
générale des éléments ou des ensembles hétérogènes (dans leur statut permis vs.
interdit), ce qui induirait qu’une majorité d’éléments interdits annulerait une
minorité d’éléments permis ?
3e question : Bittul be-rov
chez les non-Juifs
La règle de
bittul be-rov est elle valable uniquement pour les Juifs, dans la mesure où
elle est tirée d’une loi de la
Torah qui ne concerne qu’eux (aharei rabim lehatot) ? Ou
dira-t-on que rien de ce qui est permis aux Juifs ne peut être interdit aux
non-Juifs (cf. Sanhédrin 59a), et que la règle du bittul be-rov est également
valable pour eux et qu’au contraire, eux en restent toujours au heter initial
de la Torah et
ne seraient pas concernés par les décrets rabbiniques qui viennent restreindre
ce principe ?
Analyse de Shut Rashba (I, 272).
Le Pri Megadim propose que les deux premières
questions sont liées à partir d’un cas modèle bien connu, celui du asham taluy.
On n’apporte ce korban qu’à partir du moment où on était en présence de deux
morceaux (de gras, par exemple) dont il se trouvait à l’origine que l’un des
deux était frappé d’un interdit de karet (ici, du helev) attesté (« iqba’
issura), et qu’on a mangé l’un des deux morceaux sans savoir lequel était
interdit. Or, si l’on tient le principe de « i efshar letsamtsem »,
deux objets ne peuvent jamais être de dimensions absolument identiques, alors
il y a forcément un morceau plus grand et un morceau plus petit. Dans la mesure
où on ne connaît pas quel morceau était interdit, alors il y a une chance sur
deux que ce soit le petit morceau qui était interdit. Dès lors, l’interdit est
en minorité et est annulé par le grand morceau, il n’y a donc plus d’interdit
(on remarquera ici que l’interlocuteur du Rashba pose que le bittul be-rov
fonctionne même si on n’a que rov binian,
c’est-à-dire une majorité en termes de taille des morceaux et non en nombre de
morceaux). Ce dernier point signifie que la
présence d’un interdit dans le mélange n’est plus attestée, ce qui est
justement l’une des conditions pour rendre passible d’asham taluy : ici
l’ensemble formé par les deux morceaux en vient à être considéré comme un seul
objet dont on ne connaît pas la nature permise ou interdite, comme si on avait
un seul morceau de gras dont on ne sait pas si c’est du helev – or dans ce cas,
on n’amène pas d’asham taluy, en tout cas d’après la conclusion du Talmud (le
cas est discuté dans la Mishna ).
Au surplus, le statut douteux de l’ensemble est en fait circonscrit au morceau
le plus gros, puisque de toute façon, le plus petit est permis : soit
parce qu’il était permis à l’origine, soit parce qu’il était interdit mais
qu’il a été annulé par le plus gros et est donc devenu permis. Le cas se ramène
donc à la question : si on mange le morceau le plus gros, celui-ci
était-il, indépendamment du mélange, permis ou interdit ? Cas qui
n’entraîne pas d’asham taluy. On ne serait donc jamais passible d’asham taluy,
ce qui est un problème puisque l’éventualité est explicitement prévue par la Torah.
C’est cette logique, nous dit le Pri Megadim, qui
est à l’arrière-plan du sage qui pose la question au Rashba pour remettre en
cause la notion même de bittul be-rov. Le Rashba répond par deux points.
Premièrement, cette notion de safek bittul be-rov telle qu’elle est présentée
n’existe pas. En effet, un bittul suppose que la majorité soit heter. Mais dans
le cas présent, si l’on sait que la majorité est heter, précisément le bittul
le fonctionne plus puisque cela signifie que l’on a identifié chacun des deux
morceaux : le gros morceau est permis et le petit morceau est interdit.
Pour que le bittul be-safek soit opérant, il faudrait que même si le safek
était résolu dans le sens où le bittul opère classiquement on ne puisse pas déterminer
le statut de chaque morceau individuellement, ce qui n’est pas le cas
ici : la résolution du safek entraînerait nécessairement l’inefficacité du
bittul. Autrement dit, les deux conditions essentielles du bittul be-rov sont
que l’on puisse simultanément déterminer que le heter forme la majorité et que
l’on soit incapable de déterminer le statut de chacun des éléments. Ici il n’y
a donc pas bittul, et on est bien passible d’asham taluy. (Ca ne veut pas dire
pour autant que Rashba estime que rov
binyan n’est pas suffisant : on peut très bien imaginer qu’on eût à
l’origine deux morceaux dont on savait que le gros était permis et le petit
interdit, et qu’ils aient ensuite été découpés de manière à ce qu’on ne sache
pas s’il y a plus de morceaux permis que de morceaux interdits. Le Rashba ne
dit pas qu’un bittul ne serait pas opérant dans un tel cas.)
Deuxièmement, le Rashba propose une autre
approche : le bittul be-safek est valable mais il fonctionne dans les deux
sens, à savoir que de même que heter mevatel issur, issur mevatel heter. Ce qui
fait que quand quelqu’un mange un des deux morceaux, même s’il mange le plus
petit, il a une chance sur deux de manger un morceau interdit : soit le
morceau originellement interdit (parce qu’il a mangé le gros et que c’était le
petit qui était permis), soit un morceau qui est devenu interdit (parce qu’il a
mangé le petit mais que le gros était interdit à l’origine). Il est vrai que ce
cas ressemble à celui énoncé au début, à savoir que le safek qui portait sur un
seul des deux éléments est maintenant transféré sur l’ensemble pris comme un
seul objet, et que toute la question est finalement de savoir quel était le
statut initial du morceau le plus gros, et qu’on semble donc sortir du modèle
qui suppose la coprésence continuée de deux morceaux de statut différents. Mais
la ressemblance n’est pas totale, et la différence est fondamentale. Examinons
dans les deux cas la totalité des cas de figure.
Cas du départ : heter mevatel issur mais pas
l’inverse
Gros morceau permis
|
Petit morceau permis
|
|
On a mangé le gros
|
On a
mangé du permis
|
On a
mangé de l’interdit
|
On a mangé le petit
|
On a
mangé du permis
|
On a
mangé du permis
|
Cas présent : heter mevatel issur et inversement
Gros morceau permis
|
Petit morceau permis
|
|
On a mangé le gros
|
On a
mangé du permis
|
On a
mangé de l’interdit
|
On a mangé le petit
|
On a
mangé du permis
|
On a
mangé de l’interdit
|
On a donc ici, et ici seulement, vraiment une
chance sur deux de manger un morceau interdit, alors que dans le cas à l’initiale
du problème on n’avait en fait qu’une chance sur quatre. Cela nous amène à une
nouvelle compréhension du critère de iqba’ issura : non pas que le morceau
interdit reste interdit et qu’il n’y ait pas de bittul possible, mais que la
présence à l’origine d’un morceau interdit sur deux ait pour conséquence que
l’individu a une chance sur deux de manger un morceau interdit (et pas
seulement une sur quatre), que ce morceau interdit soit ou non le morceau
originel.
En quoi ces deux approches du Rashba, dont il
semble que la première ait sa préférence[1], permettent-elles de répondre aux deux questions
initiales du Pri Megadim, à savoir : 1. Le bittul est-il une propriété de
l’ensemble au delà des propriétés propres de chaque élément pris
séparément ; 2. Dit-on que issur mevatel heter ?
Si on pose que issur mevatel heter, le modèle du
asham taluy nous enseigne à tout le moins que les propriétés des éléments, ici
le iqba’ issura, sont transférées à l’ensemble. L’ensemble acquiert les
propriétés de la majorité des éléments, quelle que soit cette dernière. Le fait
qu’il existe un doute sur chacun des éléments pris séparément n’empêche pas le
bittul – dans un sens ou dans l’autre. Autrement dit, il nous semble qu’il
faille conclure que si l’on répond positivement à la question « est-ce que
issur mevatle heter ? », il faille répondre positivement à la
question « le bittul est-il une propriété de l’ensemble comme ensemble et
non comme simple coprésence d’éléments ? ».
Si l’on pose que issur eino mevatel heter, alors
on revient au cas modèle du début du Pri Megadim dans sa première
question : un cas où au niveau des éléments pris séparément, chacun est
safek issur, mais au niveau de l’ensemble, on sait qu’il existe une majorité de
heter : c’était le cas des trois foies. Imaginons que l’on ait plus ici
que deux foies : on n’a plus de majorité claire, mais on a un safek
bittul : si c’est le gros morceau de foie qui est halakhiquement casher ou
non. Ici, contrairement au cas plus simple du Rashba, le doute quant au statut
de chacun des morceaux n’est pas lié à un manque d’information, mais à un safek
intrisèque parce que halakhique. Même si on identifiait clairement quel est l’origine
de chaque morceau, on n’en saurait pas plus quand au statut de chacun.
Dirait-on alors que, d’après le critère du Rashba, le fait que l’identification
matérielle de chacun des éléments n’entraînerait pas la possibilité du bittul
induit ici que le safek bittul est effectivement opérant pour rendre patur de
asham taluy ? Ou dirait-on au contraire que la difficulté de Rashba n’est
toujours pas résolue, et que si l’on pouvait trancher la halakha quand au
statut des différents foies, alors on connaîtrait le statut de chacun des
éléments et il n’y aurait donc pas de bittul, et donc ici aussi il n’y a pas de
safek bittul et qu’on doit amener un asham taluy ? Si l’on choisit la
première option, cela signifie qu’un tel mélange, dont chaque élément a un
statut de safek, n’en possède pas moins des propriétés de bittul et que le
bittul est donc une propriété de l’ensemble en tant qu’ensemble ; si l’on
choisit la seconde, alors on n’a pas de réponse dans un sens ou dans l’autre.
Choisir entre ces deux options revient à répondre à la question : un safek
dû à une mahloket halakhique est-il un safek circonstanciel, dû à notre manque
de perspicacité (hesron yedi’a), et donc potentiellement solvable, où s’agit-il
d’un safek essentiel qui ne peut jamais être tranché ? Le Pri Megadim ne
répond pas à cette dernière question.
Tout ce qui
vient d’être exposé, à savoir que tout compte fait, quand un bittul est opérant
parce que le safek ne peut pas être résolu ou parce que l’on considère que
issur mevatel heter, amène à la même conclusion globale, à savoir que le bittul
est une propriété de l’ensemble et que de la même façon, dans un cas de safek,
le statut de safek est transféré des éléments à l’ensemble, soit parce qu’on a
un « vrai » iqba’ issura à l’origine, soit à cause d’un safek
halakhique insolvable qui fait qu’on sait que si tel morceau est muttar alors
l’autre est assur et inversement, le iqba’ issura et le bittul ou safek bittul
intervenant simultanément. Quoi qu’il en soit le iqba’ issura ne signifie pas
que le morceau interdit à l’origine garde son statut indépendamment de
l’ensemble : il sert à transférer à cet ensemble un statut de safek. Or
ceci est problématique pour le Rambam, qui tient, contrairement au Rashba, que
la règle « safek deOrayta le-humra » est elle-même deRabbanan mais
que du pont de vue de la Torah
tout safek est permis. Le Pri hadash proposait que justement, pour le Rambam,
le iqba’ issura faisait que le cas de deux morceaux dont un interdit était un
safek fondamentalement différent que celui du cas d’un seul morceau dont on ne
sait pas s’il est permis ou interdit : ici on sait qu’il y a un morceau
interdit mais on ne sait pas si c’est celui qui a été mangé. Mais avec tout ce
que nous venons d’exposer nous voyons que, si l’on fait intervenir la notion de
bittul be-rov, la fonction de iqba’ issura est différente : elle sert à
donner à l’ensemble un nouveau statut de safek, qui est un safek bittul. Or
pour le Rambam ce safek bittul serait suffisant pour permettre le mélange,
comme dans le cas où l’on n’a qu’un seul morceau au statut incertain : on
n’aurait donc plus de cas où l’on amène de asham taluy. C’est pourquoi, dit le
Pri Megadim, le Rambam définit le rov qui entraîne un bittul comme un rov
kefel, une majorité double : le fait qu’il y ait un morceau plus grand que
l’autre ne suffit pas à produire un safek bittul (que le Pri Megadim a suggéré
comme étant possible dans le cas des deux morceaux de foie).
Rov Kefel
Le Pri
Megadim maintient que dans yavesh be-yavesh, deOrayta une majorité simple (rov
mashehu) suffit (a priori, qu’on parle d’un rov minyan ou même d’un rov
binyan). Il défend cependant la logique du Maharalbah qui dit que dans lah
be-lah même deOrayta on exige un rov kefel. Pour le justifier il recourt au
même modèle explicatif, celui du rapport entre éléments et ensemble. Dans
yavesh be-yavesh la définition des éléments va de soi ; par contre, dans
lah be-lah, que prend-on comme unité de base pour compter le nombre
d’éléments ? Forcément, puisqu’on n’est plus ici face à des quantités
discrètes (discontinues) mais face à des quantités continues l’unité de base ne
peut être que le volume total du issur à annuler, et donc le issur + 1= 2 fois
le issur.
On remarque
ici que rov binyan n’est pas suffisant et que, dans la mesure où le modèle du
bittul be-rov est le fonctionnement d’un beit din, c’est le rov minyan qui est
le vrai critère, au point qu’un rov minyan se définit dans lah be-lah comme un
rov kefel du fait que la totalité du issur est prise comme unité de base du
calcul. Cela signifie que même dans yavesh be-yavesh le rov binyan n’est en
fait opérant que parce qu’il peut se ramener à un rov minyan, si par exemple on
découpe le heter comme le issur en morceaux de même taille : il restera alors
au moins un morceau supplémentaire de heter par rapport au issur. Cela signifie
que notre note ci-dessus concernant la possibilité d’un rov binyan et d’un rov
minyan n’est plus vraiment valable : le rov binyan n’est en fait qu’un rov
minyan potentiel et, entre un rov minyan potentiel et un rov minyan réalisé
dans les faits, il semble logique que ce soit ce dernier qui l’emporte.
Ensemble et sous-ensembles
Le Pri
Megadim ramène alors deux cas où l’ensemble n’est pas homogène mais est composé
de sous-ensembles distincts ; ces deux cas sont déjà comparés par la Shita Mekubetset
sur Beitsa 4a à partir d’un Yerushalmi. Ce dernier explique que, dans le cas où
des figues de teruma se sont mélangées à des figues hullin, que l’ensemble a
été pressé en pain de figues et que ce pain de figues s’est ensuite mélangé à
d’autres pains de figues, on exige deux degrés de bittul : un bittul
be-rov simple (sans kefel) au niveau du pain de figues (et donc au niveau de
chaque pain de figue, puisqu’on ne sait pas lequel est problématique),
c’est-à-dire le bittul deOrayta, et un bittul be-mea (annulation dans 100 fois
la quantité, qui est le bittul deRabbanan pour la teruma) au niveau de
l’ensemble des pains de figues. Si par exemple on avait 100 g . de figues teruma à
l’origine et qu’elles se soient mélangées dans un pain, il faut que chaque pain
fasse au moins 201 g .
et que le poids total des pains soit au minimum de 10100 g . On confirme ici en
passant que deOrayta un rov simple suffit, et qu’on n’a pas besoin de kefel. Ce
qu’on constate surtout ici c’est qu’on exige un double niveau de bittul dans la
mesure où il existe un niveau intermédiaire, celui des pains de figue. Le Pri
Megadim s’interroge d’ailleurs sur la pertinence de ce niveau intermédiaire
dans ce cas précis : en quoi est-ce différent du cas de divers éléments
éparpillés, qui constituent un ensemble global conduisant à un bittul même si
tous les éléments ne sont pas au même endroit, par exemple dans le cas de trois
morceaux de viande dans différentes pièces d’une maison et dont l’un serait à
l’origine interdit ? Pourquoi, ici, le fait que les éléments de base, les
figues, soient regroupés dans différents sous-ensembles, les pains de figue,
empêche-t-il qu’on considère toutes les figues comme appartenant directement à
un seul ensemble, sans considérer le niveau intermédiaire ? On se
reportera notamment à YD 111 pour bien saisir cette problématique.
Toujours est-il
que la Shita
met ce cas en regard de celui d’un poulet entier taref qui s’est mélangé dans
un poulet et demi cashers et que l’ensemble a été dépecé, ce qui fait qu’on se
retrouve avec cinq ailes, cinq cuisses, etc. Autrement dit, un poulet est en
apparence découpable en unités plus petites qui forment un nouvel ensemble.
Mais la différence avec les pains de figues est claire : en effet, un pain
de figues est composé d’un nombre indéterminé de figues qui sont, prises
séparément, toutes identiques et interchangeables : c’est pourquoi on peut
considérer l’ensemble des pains de figues comme un ensemble homogène et
continu, même s’ils sont de taille différente, c’est-à-dire qu’ils contiennent
un nombre différent de figues. Un poulet, à l’inverse, est composé d’éléments
qui ne sont pas interchangeables : je ne peux pas fabriquer un poulet avec
trois ou cinq cuisses, ni avec deux ailes gauches. Dès lors, quand j’ai dépecé
mes deux poulets et demi, je me retrouve avec un ensemble non homogène
d’éléments, et le nombre de combinaisons d’éléments permettant de reconstituer
les ensembles d’origine est limité. Au niveau des cuisses, par exemple, j’ai
forcément deux cuisses gauches et trois cuisses droites (ou l’inverse), et
cette asymétrie (cette chiralité, plus exactement) fait que ces cuisses ne
peuvent pas former un ensemble de cinq éléments vu que je sais qu’il y a dans cet
ensemble forcément une cuisse droite et une cuisse gauche taref, mais que les
deux cuisses taref ne peuvent pas être deux cuisses gauches ou deux cuisses
droites. Autrement dit, si j’ai deux cuisses gauches et trois cuisses droites,
il est clair qu’il n’y a pas de bittul de la cuisse gauche taref et que les
deux cuisses gauches sont interdites à cause du doute. Par contre, il semble
que l’on puisse envisager un bittul be-rov circonscrit aux seules cuisses
droites. En conclusion, un bittul be-rov
sans kefel ne peut fonctionner qu’à partir du moment où les éléments forment un
ensemble homogène, c’est-à-dire dont tous les éléments sont interchangeables,
où à tout le moins que ces éléments sont décomposables en éléments plus petits
qui, eux, forment un tel ensemble homogène.
Deuxième chapitre : min be-she-eino mino
(mélange d’éléments de catégories différentes) yavesh be-yavesh (les éléments
sont physiquement distincts les uns des autres).
Ce premier
chapitre a permis de poser les principes de base du bittul be-rov, qui est le
bittul par excellence. Le deuxième chapitre s’intéresse plus particulièrement à
la définition de min be-mino. Rappelons en préambule la grille
« classique » min be-mino/min be-she-eino mino et yavesh be-yavesh /
lah be-lah :
Min
be-she-eino mino
|
Min
be-mino
|
|
Lah
be-lah
|
Shishim deOrayta
(à cause de taam ke-ikkar
deOrayta)
|
Rov deOrayta,
Shishim deRabbanan (gezera
à cause de la proximité avec min be-she-eino mino lah be-lah)
|
Yavesh
be-yavesh
|
Shishim
|
Rov deOrayta
|
C’est la case min
be-she-eino mino yavesh be-yavesh qui nous intéresse ici. Le Pri Megadim
établit clairement que deOrayta même min be-she-eino mino est batel be-rov dans
yavesh be-yavesh : certes on pourrait arguer que min be-she-eino mino n’est
pas comparable à un beit din et que le cas ne peut donc pas se déduire de
« aharei rabim lehatot », mais il se trouve qu’on ne connaît pas
d’autre type de bittul dans yavesh be-yavesh. Dès lors que personne n’envisage
la possibilité qu’il n’y ait pas de bittul dans min be-she-eino mino, alors on
est obligé d’en revenir au bittul be-rov. Il est vrai qu’un cas concret de min
be-she-eino mino yavesh be-yavesh est quelque peu compliqué à imaginer : min
be-she-eino mino suppose en effet que les éléments appartiennent à des espèces
différentes, par exemple de la viande et des crevettes, et yavesh be-yavesh
suppose que ces éléments soient isolables les uns des autres ; tandis que
le bittul suppose évidemment que le issur ne soit plus distinguable au sein du
heter. L’un des cas où une telle situation est envisageable est celui, rapporté
ici par le Pri Megadim mais qui était déjà envisagé par le Tur (YD 109,
début) : celui où il s’agit d’éléments d’espèces différentes mais
suffisamment proches d’aspect pour qu’elles soient indistinguables une fois
émincées.
La shita du Shakh
A priori, tout
le monde s’accorde pour conclure que dans min be-she-eino mino yavesh be-yavesh
on requiert un bittul be-shishim – quoique ce principe ne soit mentionné
explicitement nulle part dans le Talmud[2] ; cependant, il existe deux shitot pour
expliquer cela. La première, la plus connue, est celle du Shakh (109, 10 ;
et auparavant du Sefer ha-Teruma) :
dans la mesure où min be-she-eino mino lah be-lah requiert deOrayta un bittul
be-shishim à cause du principe deOrayta de taam ke-ikkar, la définition même de
min be-she-eino mino est liée au taam (« batar taama azlinan », cf YD
98, 2 et Shakh sk 6) et on requiert shishim dans min be-she-eino mino yavesh be-yavesh,
même si dans ce cas-là il n’y a pas encore de problème de netinat taam puisque
les éléments sont distincts, par crainte qu’on en vienne à faire cuire
l’ensemble et qu’on arrive à un issur deOrayta de taam ke-ikkar. Il s’agit donc
d’une gezera deRabbanan yavesh be-yavesh à cause de la proximité avec lah be-lah.
Le tableau ci-dessus est donc symétrique, avec deux cas extrêmes en haut à
gauche (humra) et en bas à droite (kula) et deux cas intermédiaires qu’on
aligne deRabbanan sur le cas le-humra.
La shita du Issur ve-Heter
La seconde
shita, fort différente, est celle du Issur
ve-Heter ha-Arukh (23, 8, suivi en cela par le Minhat Kohen), considère que le cas de min be-she-eino mino yavesh
be-yavesh est indépendant de celui de lah be-lah. Il ne s’agit pas ici de
problème de netinat taam mais de hakarat ha-issur, de capacité d’identifier
l’interdit au sein du mélange. Pour le Issur
ve-Heter, dès lors qu’on est dans du min be-she-eino mino les différents
éléments sont différenciables avec un peu d’effort, effort qui devient trop
important quand le issur est en très petite quantité, c’est-à-dire moins de
1/60[3].
Il s’agit donc d’une logique indépendante de la netinat taam et de lah be-lah,
qui tend en outre à voir dans cette exigence de shishim dans yavesh be-yavesh
un principe deOrayta. Le Issur ve-Heter
défend cette logique en expliquant que l’exigence de shishim pour min be-she-eino
mino yavesh be-yavesh ne peut pas être une gezera à cause d’un problème de
netinat taam si on venait à cuire le mélange parce que, selon le Rosh, dès
lors qu’il y a eu bittul be-rov au niveau d’un mélange yavesh be-yavesh
l’ensemble du mélange est intégralement permis, même le issur s’est transformé
en heter ; si donc il y avait un bittul be-rov dans min be-she-eino mino yavesh
be-yavesh, même si on faisait cuire le mélange, le issur serait auparavant
devenu heter et le taam que l’on percevrait serait de toute façon un taam
heter. Le Pri Megadim repousse cependant cette logique d’abord en pointant que
le Tur est posek comme le Sefer ha-Teruma d’une part pour min be-she-eino
mino yavesh be-yavesh et comme le Rosh d’autre part pour min be-mino yavesh be-yavesh,
ensuite en expliquant que, pour le Rosh même, l’intervention du principe de
taam ke-ikkar quand on passe de yavesh be-yavesh à lah be-lah en faisant cuire
« réactive » (hozer ve-niur) le issur qui était auparavant batel.
Dans le chapitre suivant, le Pri Megadim fait appel à une logique
différente : ce n’est pas dû au fait que le issur lui-même est hozer
ve-niur, mais au fait que si la matière même du issur, le guf ha-issur, est
bien batel, le taam, lui, n’est pas batel. La différence entre ces deux approches
dépend de la compréhension qu’on adopte du principe de taam ke-ikkar : le
taam est-il un indice de la présence du guf ha-issur et donc empêche le bittul
du guf ha-issur, la dimension physique de l’objet constituant l’essentiel du
issur, ou y a-t-il, dans le cadre des interdits alimentaires tout du moins, une
valeur particulière du taam qui fait de ce dernier l’aspect essentiel sur
lequel porte l’interdit, le guf ha-issur n’en constituant que le support – et
dès lors, il faut effectuer non seulement un bittul du guf (be-rov) et un
bittul du taam (be-shishim) ? On développera bs’’d ce débat quand on
étudiera taam ke-ikkar.
Il semble
cependant que le Pri Megadim ne repousse pas totalement la shita du Issur ve-Heter, tout en la précisant. Il
explique ainsi qu’on peut comprendre que ce principe de efshar lehakir, « il est possible de distinguer [les morceaux
interdits au sein du mélange] », invoqué pour justifier le critère de
shishim, ne saurait être que deRabbanan puisqu’il suppose la distinction entre
un effort raisonnable (proportion supérieure à 1/60) et un effort déraisonnable
(proportion inférieure à 1/60). La
Torah distingue entre le possible et l’impossible (c’est,
dirions-nous, un critère objectif), non pas entre le facile et le pénible
(critère subjectif). C’est pourquoi elle n’exige pas qu’on vérifie les 18 types
connus de tereifot, même si c’était possible, dans la mesure où la Torah nous a donné les
principes de rov et de hazaka ; ce sont les Hakhamim qui l’exigent dans
certains cas où l’effort est raisonnable, et en reste à la règle de la Torah quand l’effort est
déraisonnable (cf. Shoshanat ha-Amakim
fin du klal 15).
Conséquences pratiques des deux shitot
Pour le Shakh,
la logique de shishim dans min be-she-eino mino yavesh be-yavesh dépend du
principe que taam ke-ikkar est deOrayta et que dès lors, si on fait cuire le
mélange, on arrive à un issur deOrayta. Il ressort de cette logique que si le
issur qui s’est mélangé au heter est deRabbanan, alors même si on fait cuire ce
mélange on n’arrivera jamais à un issur deOrayta et qu’il n’y a donc pas de
raison de faire une gereza dans yavesh be-yavesh. Pour le Shakh, un issur
deRabbanan sera batel be-rov même dans min be-she-eino mino yavesh be-yavesh.
Il en sera de même quand le issur sera noten taam lifgam dans lah be-lah :
aucun problème ne pouvant surgir du fait de la cuisson, il n’y a pas lieu de
faire une gezera dans yavesh be-yavesh. Cette logique ne peut pas être suivie
par le Issur ve-Heter et le Minhat Kohen puisque pour eux, dans min
be-she-eino mino, la logique de yavesh be-yavesh est indépendante de la netinat
taam et ils exigeront donc shishim même pour un issur deRabbanan. Le Pri
Megadim propose cependant un cas où ils accepteront aussi la validité du bittul
be-rov simple, si le statut de issur deRabbanan est dû à un incident
indécelable à partir de l’aspect physique des morceaux : par exemple, si l’on
a abattu plusieurs bêtes d’espèces différentes et que l’une d’entre elles, on
ne sait pas laquelle, a été rendue taref uniquement deRabbanan (par exemple, à
cause d’une shehaya bemiut batra – si
l’on a trop tardé à finir de sectionner l’un des simanim mais que la majorité
des deux simanim était déjà tranchée, ce qui fait que la shehita était valable
deOrayta mais pas deRabbanan). Là, dans la mesure où le principe de efshar lehakir ne peut plus jouer, on
revient à un bittul be-rov. Pour le Issur
ve-Heter, on reviendrait ici au bittul be-rov même si le problème de
shehita était deOrayta ; mais le Minhat
Kohen prend en fait en compte les deux critères, efshar lehakir et netinat taam (du Shakh), et ne peut donc revenir
à un simple bittul be-rov si le issur en jeu est deOrayta.
En tout cas,
pour l’un comme dans l’autre, on a là une rupture de la symétrie dans le
tableau « classique » dans la mesure où, à l’inverse, dans min be-mino
lah be-lah on exigera shishim même si le issur est deRabbanan (cf. YD 72,
3 hagaha ; 55, 5). Reprenons ce
tableau pour un issur deRabbanan :
Min
be-she-eino mino
|
Min
be-mino
|
|
Lah
be-lah
|
Shishim de Rabbanan
(à cause de la proximité
avec le même cas mais impliquant un issur deOrayta)
|
Shishim deRabbanan
|
Yavesh
be-yavesh
|
Shakh : Rov (car même
le cas ci-dessus est deRabbanan)
Minhat Kohen : Shishim
(indépendant du cas ci-dessus), sauf certains cas précis
|
Rov deOrayta
|
Autre
conséquence qui a de grandes implications pratiques : dans la mesure où le
bittul be-shishim yavesh be-yavesh est exigé indépendamment de la problématique
du taam dans lah be-lah, le bittul se calcule toujours en fonction du nombre
d’éléments en jeu dans yavesh be-yavesh, même si l’on fait cuire le mélange.
Ainsi, si l’on fait cuire un mélange d’éléments min be-she-eino mino dans de
l’eau et que les morceaux d’origine restent distincts, on calculera la
proportion de shishim en prenant en compte uniquement les morceaux et non la
sauce, puisque la problématique initiale de efshar
lehakir n’est pas modifiée par la présence de cette dernière. Au contraire,
selon la shita du Shakh (et du Rashba, comme le démontre le Pri Megadim),
puisque la problématique essentielle de lah be-lah est le bittul du taam, la
sauce dans laquelle se diffuse également ce taam contribue bien au bittul et
rentre donc dans le calcul des shishim – tandis qu’au niveau des morceaux, le
bittul be-rov est suffisant.
Qu’est-ce que min be-she-eino mino ?
La question
essentielle qui reste en suspens est celle de la définition même de min be-she-eino
mino. On comprend bien que dans lah be-lah où tous les éléments se sont dissous
et l’ensemble ne forme plus qu’une purée indistincte, le seul critère vraiment
opérant est celui de taam ke-ikkar, c’est-à-dire la perception d’un goût
distinct ou au contraire la confusion des goûts parce qu’ils sont similaires.
Jusqu’à quel point ces goûts doivent-ils cependant être identiques ?
Faut-il qu’ils soient réellement indistinguables pour que, selon l’approche du
Shakh, ils soient considérés comme min be-mino dans yavesh be-yavesh, ou
suffit-il qu’ils appartiennent à la même famille de goûts ? Des viandes
différentes (bœuf et agneau) doivent-elles être considérées comme min be-mino
parce qu’elles ont toutes les deux un goût de viande ? Selon le Pri Hadash
en effet, un morceau de foie et un morceau de steak sont min be-mino d’après le
taam (YD 98, 7). Quelle est la relation entre le critère de taam ke-ikkar dans lah
be-lah et le critère de taam pour constituer un min be-mino dans yavesh be-yavesh ?
C’est ce que nous nous proposons d’étudier à travers la sugya portant sur ce
sujet : Avoda Zara 66a.
[1]
Remarque personnelle : dans la mesure
où le Rashba estime que rov binyan
est un rov suffisant pour un bittul ; si l’on supposait également que rov minyan, une majorité numérique de
morceaux de heter, est suffisante même si on n’a pas rov binyan, bien qu’on ne puisse pas le déduire de cette teshuva ; cela signifie que l’on
pourrait imaginer un cas où le heter est rov
binyan et le issur rov minyan. Si
l’on pose que, de même que heter mevatel issur, issur metavel heter, dans quel
sens fonctionnerait alors le bittul ?
Peut-être n’y aurait-il pas de bittul ? Le fait que ce cas-là ne soit pas
envisagé comme cas où on devrait amener un asham taluy alors même qu’on aurait
un rov (et même un de trop) signifierait qu’on ne considérerait pas que issur
mevatel heter. Mais pour avancer tout cela, il faudrait vérifier que, pour le
Rashba, rov minyan est suffisant.
[2]
Sauf à considérer que, quand Rava (Hullin
97a) énumère les différentes règles deRabbanan concernant le bittul et qu’il
dit qu’ils ont exigé shishim dans min be-she-eino mino en l’absence d’un
goûteur non juif, il parle spécifiquement de yavesh be-yavesh, puisque selon
Tossefot et d’autres Rava considère bien que taam ke-ikkar deOrayta.
[3]
On peut noter au passage que selon certaines shitot (cf. Ran sur zeroa
beshela), le issur de taam ke-ikkar relève aussi de la problématique de hakarat
ha-issur. Voir plus loin bs’’d pour l’analyse des différentes shitot concernant
taam ke-ikkar).
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