Définition
de min be-mino selon le Ran (sur Nedarim 52a)
On
connaît la mahloket entre Rabbanan et Rabbi Yehuda concernant min
be-mino, dans la sugya dite de dam ha-par ve-dam ha-sa'ir
(Menahot 22a) : pour Rabbanan il n'y a pas de bittul d'un dam
dans l'autre parce que les deux sont kesherim la-zerika,
pour Rabbi Yehuda il n'y a pas de bittul parce qu'il n'y a jamais de
bittul dans min be-mino. Le Ran, qui vise dans le contexte de Nedarim
à élucider pourquoi un davar she-yesh lo matirim n'est pas batel
dans min be-mino mais est batel be-shishim dans min be-she-eino mino,
explique que la logique de Rabbi Yehuda est qu'il n'y a pas de bittul
dans min be-mino parce les deux éléments sont en fait la même
chose et que donc, loin de s'annuler, ils se renforcent, se
confirment l'un l'autre. Et, continue le Ran, en vérité, Rabbanan
sont d'accord sur ce postulat fondamental. Après tout, il est bien
clair que de la viande de bœuf cachère, par exemple, ne peut pas
être batel dans de la viande de bœuf cachère : cela n'aurait
aucun sens, puisqu'il s'agit de la même chose. Rabbanan et Rabbi
Yehuda sont en désaccord sur le critère qui permet de définir si
c'est « la même chose » (min be-mino) ou pas : pour
Rabbi Yehuda c'est l'identité naturelle, essentielle, de l'objet
(dimion ha-etsem), pour Rabbanan c'est l'identité de statut
halakhique, permis ou interdit (dimion ha-heter). Pour Rabbanan comme
pour Rabbi Yehuda, si les divers éléments sont de même etsem et de
même din, il s'agit d'un min be-mino absolu et il n'y a pas de
bittul : c'est le cas de dam ha-par ve-dam ha-sa'ir.
Pour Rabbi Yehuda, deux éléments
seront min be-mino dès lors qu'il sont de même etsem (par exemple
de la viande de bœuf), même si l'un est muttar et l'autre assur ;
pour Rabbanan au contraire, selon l'explication du Ran, deux éléments
seront min be-mino au sens où il n'y aura pas de bittul possible
lorsque l'on sera dans du heter be-heter, même quand le etsem est
différent, par exemple de la viande et du pain (shita qui n'est pas
sans poser quelques problèmes au niveau de la halakha : cf.
Rama sur YD 99, 6, qui explique que, si du lait a été rendu batel
dans un volume d'eau 60 fois supérieur, on peut cuire de la viande
dans cette eau infinitésimalement lactée, même si la viande en
elle-même ne représente pas 60 fois le volume initial de lait ;
cf. également Pri Megadim, petiha sur hilkhot Taarovet II, 1, halav
haya be-halav shehuta) ;
par contre, dès que l'on sera dans un issur be-heter, on ne sera
déjà plus pour Rabbanan dans du min be-mino absolu (même si on
continuera à appeler cela du min be-mino en regard du etsem) et il y
aura donc bien bittul.
C'est à partir de cela que le Ran hiérarchise les différents types
de davar she-yesh lo matirim. Le premier type de davar she-yesh lo
matirim se définit par rapport au critère temporel : par
exemple, un aliment interdit à cause d'un neder, dans la mesure où
tout neder a vocation à être annulé, est donc totalement interdit
à présent mais sera totalement permis à un moment du futur. Cet
aliment a donc à la fois un aspect permis et un aspect interdit ;
selon Rabbanan qui définissent min be-mino et min be-she-eino mino
selon le heter et le issur, il est donc entre les deux sur cette
échelle : c'est pourquoi, selon le Ran, ils ont été mahmir
quant à son bittul dans un cas de min be-mino d'après le etsem
(puisqu'il s'agit alors d'un min be-mino selon le etsem et d'un quasi
min be-mino selon le heter, et qu'on se rapproche donc d'un min
be-mino absolu comme dam ha-par) mais pas en cas de min be-she-eino
mino selon le etsem (même si, selon le heter, il ne s'agit pas non
plus d'un min be-she-eino mino véritable).
Le deuxième type de davar she-yesh lo matirim se définit par
rapport au critère spatial : quelque chose qui est déjà
complètement permis maintenant, mais pas partout. Le Ran en voit un
exemple en Beitsa 38b-39a, à propos d'une femme A qui, pendant Yom
Tov, a pétri une pâte avec du sel et de l'eau prêtés par une
femme B : le pain qui en résulte ne peut être consommé que
dans l 'espace commun aux tehumim des deux femmes. Pour le Ran,
le sel et l'eau sont min be-she-eino mino par rapport à la farine,
mais dans la mesure où ils sont consommables immédiatement, quoique
pas en tout lieu, il s'agit d'un davar she-yesh lo matirim encore
plus proche du heter qu'un davar she-yesh lo matirim temporel et
donc, pour Rabbanan, il convient d'être encore plus mahmir quant à
son non-bittul puisqu'on est très proche du min be-mino en termes de
heter be-heter : on est donc gozer non seulement dans min
be-mino, mais même dans min be-she-eino mino.
Le troisième type de davar she-yesh lo matirim envisagé par le Ran
se définit par rapport au critère de l'objet (objectif). Le Ran en
voit un exemple dans le Rif à propos d'un pain cuit dans un four en
même temps qu'un rôti de viande (Rif Hullin 32b d'après Pesahim
76b), qu'on n'a pas le droit de manger avec du fromage. Le Rif
explique que, bien que la halakha suive Levi1
pour lequel reiha lav milta hi, « le fumet n'a pas de
pertinence halakhique », il faut comprendre que reiha
est en réalité une forme de taam, mais tellement faible qu'il est
toujours batel, peu importe les proportions. Cela suppose cependant
qu'un bittul soit en soi possible. Or, dans le cas du fumet de viande
imprégné dans le pain, on est dans du heter be-heter gamur puisque
le résultat est parfaitement consommable dès maintenant en tout
lieu. Il n'y a donc pas de bittul, le pain a un statut bassari et il
est interdit de le consommer avec du lait. On notera cependant que le
Ran sur le Rif là-bas (Hullin 32b) réfute cette approche en
expliquant que si le fromage avait été cuit directement dans le
même four que la viande, bediavad il ne serait pas interdit à
cause de reiha et qu'il n'est pas raisonnable, dans la même
logique de reiha, d'être plus mahmir dans le cas du pain. Il
explique que ce cas du pain relève des humrot classiques de bassar
be-halav et non de la stricte logique de reiha.
Le dernier type de davar she-yesh lo matirim envisagé par le Ran se
définit par rapport au critère de la personne (subjectif). Le Ran
en trouve un exemple dans Yevamot 81b-82a à propos d'un morceau de
viande hatat mélangé dans des morceaux de viande hullin et pour
lequel il n'y a pas bittul. Rav Ashi dit que la raison de ce
non-bittul est à chercher dans le statut de davar she-yesh lo
matirim de ce morceau de viande hatat : en effet il est interdit
à un israël mais permis à un cohen. La Gemara rétorque cependant
que cette approche est erronée car cette viande sera toujours
interdite au israël et permise au cohen : dès lors, explique
le Ran, il n'y a aucune raison d'imposer une humra au israël à
cause du heter présent du côté du cohen, puisque jamais le israël
ne deviendra cohen : pour le israël, le morceau de viande hatat
n'est donc pas davar she-yesh lo matirim.
La hiérarchie des min be-mino en termes de heter et de issur est
donc pour le Ran la suivante :
Exemple type
|
din
|
|
Heter be-heter absolu
|
Dam ha-par ve-dam ha-sa'ir
|
Pas de bittul deOrayta, dans min be-mino comme
dans min be-she-eino mino
|
Davar she-yesh lo matirim objectif
|
Pain cuit dans le même four que de la viande
|
Selon le Rif, pas de bittul du reiha
(deRabbanan)
|
Davar she-yesh lo matirim spatial
|
Eau et sel à yom tov
|
Pas de bittul ni dans min be-mino ni dans min
be-she-eino mino (deRabbanan)
|
Davar she-yesh lo matirim temporel
|
neder
|
Pas de bittul dans min be-mino (deRabbanan)
|
Issur be-heter
|
Viande taref dans viande cachère
|
Bittul même dans min be-mino
|
Autres
remarques sur min be-mino
Nous avons évoqué la sugya dans Beitsa 38b à propos de la pâte
fabriquée avec de l'eau et du sel qui sont davar she-yesh lo matirim
dans ce contexte. Le Ran a défini que cette configuration devait
être analysée comme un min be-she-eino mino et que le non-bittul
s'expliquait par le fait que le davar she-yesh lo matirim était de
type spatial, et donc plus proche du heter que le davar she-yesh lo
matirim temporel pour lequel le non-bittul n'est décrété que dans
min be-mino. Tossefot sur place adopte cependant une autre approche :
ils maintiennent que c'est bien uniquement dans min be-mino que davar
she-yesh lo matirim n'est pas batel et définissent l'eau et le sel
comme min be-mino par rapport au pain final, dans la mesure où il
s'agit d'éléments indispensables à la fabrication du pain :
il n'y aurait pas de pain sans eau ou sans sel, il s'agit donc du
même objet, en tout cas dans ce contexte là – on n'ira pas
jusqu'à dire que du pain qui tombe dans l'eau est également min
be-mino.
Min be-mino se définit donc non seulement selon la nature physique
des choses, mais aussi en fonction du contexte dans lequel elles sont
mélangées.
Par ailleurs, le Ramban (sur Avoda Zara 66a) explique que du levain
(seor) et de la pâte (issa) doivent, d'après la mishna de Orla
(perek 2, kol ha-mehamets) sont min be-mino alors même qu'a priori
ils ne répondent ni au critère d'Abayé – le taam – ni au
critère de Rava – le shem. Le fait que les deux soient fabriqués
à partir de froment, par exemple, ne devrait pas être suffisant
pour dire qu'ils partagent le même min puisque l'on voit bien que,
pour Rava, du vin jeune et du raisin ne sont pas min be-mino alors
même qu'il s'agit à l'origine du même produit et qu'ils partagent
en plus le même goût, comme le montre la position d'Abayé. Le
Ramban explique qu'il s'agit dans le cas du levain et de la pâte de
min be-mino parce qu'il est dans la nature de la pâte de fermenter
et de devenir à son tour du levain : il s'agit d'un processus
naturel et inévitable, alors que du raisin ne se transforme pas tout
seul en jus de raisin. On peut peut-être trouver un distinguo
similaire en Gittin 85ba.
1On
notera que le Shulhan Arukh (YD 108) est quant à lui possek comme
Tossefot, que la halakha suit Rav pour lequel reiha milta hi
– mais uniquement dans un petit four non ventilé.
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