(Comme prévu, j'ai avancé sur le Pri Hadash afin qu'on puisse repasser sur la Gemara.)
La signification apparente de la Mishna dans Orla ainsi que du
Rambam (hilkhot maakhalot assurot 16) est que mehamets et metavel ne
sont osserim que dans min be-mino davka. Pour autant, le Pri Hadash
entend démontrer que mehamets (et par voie de conséquence metavel,
puisque les deux vont toujours ensemble) est forcément osser même
dans mbsem. La raison en est que d’une part on trouve clairement la
notion de mehamets même dans mbsem, avec un agent levant à base de
pomme (Terumot 10, 2, repris par le Rambam), d’autre part parce que
mehamets interdit du fait que, selon le langage du Rambam, nikeret
pe’ulato, « son effet est perceptible. Autrement dit la
logique est la même que pour ma’amid, un agent qui apporte
une contribution essentielle à la forme présente de l’objet.
Sur la notion de ma’amid même il importe d’apporter plusieurs
précisions annexes. Il existe une variété de shittot.
Essentiellement, la notion de ma’amid apparaît dans la fabrication
du fromage : il s’agit de l’agent qui va faire cailler le
lait et va ainsi le faire passer d’une forme liquide à une forme
solide. Généralement cet agent est un extrait de panse animale, qui
contient les enzymes nécessaires à cette fermentation (nous
préparons bsd une synthèse des teshuvot essentielles sur cette
question). La Mishna dans Hullin (116a) affirme qu’un ma’amid
issu de viande cachère ne pose un problème de bassar be-halav que
dans la mesure où il y a netitat ta’am.
La première shitta sur cette notion de ma’amid dans bassar
be-halav est celle du Ri Migash, reprise par le Ran et par la suite
par le Shul’han ‘Arukh. Elle explique que la nature de ma’amid
de la viande cachère empêche son bittul mais que la coprésence de
bassar et de halav n’est pas une condition suffisante pour former
l’objet interdit bassar be-halav : encore faut-il que soit
remplir le critère de netinat ta’am, c’est-à-dire d’une
proportion supérieure ou égale à 1/60e (derekh
bishul assera Torah, Hullin 108a).
Par contre, si le ma’amid est en lui-même interdit (de l’estomac
de bête non cachère par exemple), alors son non-bittul interdit de
facto tout le mélange.
La deuxième shitta, attribuée à Rabbeinu Tam (Sefer ha-Yashar
Hiddushim 474), semble induire qu’il n’y a jamais de véritable
problème de ma’amid mais seulement de netinat taam.
La troisième shitta, attribuée au Raavad et reprise par le
Ramban, est que dans le cas de maamid taref il n’est pas nécessaire
d’avoir recours à la notion de maamid pour interdire, par exemple
dans le cas du fromage fabriqué par un non-Juif : en effet,
explique cette shitta, quand il s’agit d’aliments confectionnés
par des non-Juifs, on ne peut pas se baser sur la te’ima (test de
goût en conditions réelles) pour permettre au cas par cas si le
taam n’est pas perceptible. La conséquence, dont l’impact sur
les questions de cacherout contemporaine nous paraît fondamentale,
est que dans le cas de produits alimentaires fabriqués par des
non-Juifs les règles de bittul taam sont peut-être plus strictes
que dans les cas classiques. Toujours est-il que cette troisième
shitta, si elle se dispense du ressort de maamid pour interdire le
fromage des non-Juifs (on considère simplement que tout élément
taref inséré volontairement par un non-Juif ne saurait être
considéré comme batel, qu’il soit ou non maamid effectivement),
n’en nie pas pour autant la pertinence dans d’autres cas.
La troisième shitta, qui s’oppose diamétralement à la
première, est celle rapportée par le Mordekhai (Hullin, par. 733)
qui considère que la netinat taam en jeu dans la définition de
bassar be-halav n’est elle-même qu’une modalité de la
coprésence du bassar et du halav : coprésence qui est
généralement obtenue du fait de la netinat taam mais qui peut aussi
bien être obtenue par une haamada : un maamid crée donc du
bassar be-halav au même titre que la netinat taam.
Ces quatre shittot ne portent que sur la notion de maamid dans
bassar be-halav ; mais toutes sont d’accord (en tout cas la
première et la dernière, et assez clairement la troisième – la
deuxième n’est pas assez explicite) pour reconnaître que quand le
maamid est en lui-même interdit il existe bien cette notion de issur
maamid, comme la Mishna elle-même l’avance (Orla 1, 7). Or non
seulement il est clair que mehamets ne saurait être raisonnablement
distingué de maamid en terme de pe’ula, mais de plus même ceux
qui défendraient la shitta selon laquelle il n’y a pas de issur
maamid devraient admettre la notion de issur mehamets à cause de ce
que dit la Gemara, shani seor she-himutso kasheh (Hullin 99b),
« le cas du levain est différent parce que son pouvoir levant
est puissant ». Toutes ces raisons suffisent au Pri Hadash pour
conclure que le issur mehamets ne saurait se limiter au cas de min
be-mino.
On peut encore, explique-t-il, ramener un autre élément. Le
issur de metavel ne fait véritablement sens que dans mbsem :
dans mbm, l’effet gustatif des tavlin n’est absolument pas
distinguable. Metavel n’interdit donc dans mbm qu’à mesure qu’il
est susceptible d’interdire dans mbsem. Donc metavel ne peut pas
être valable que dans mbm, et dans la mesure où metavel et mehamets
sont liés, alors mehamets non plus.
Tout cela semble bien fondé, mais est quand même difficilement
réconciliable avec le pshat de la Mishna et surtout du Rambam (perek
16). Autant on peut défendre que dans la Mishna (Orla 2, 7) la
notion de netinat taam inclut aussi mehamets en tant que tel,
c’est-à-dire en tant que pe’ula, et pas seulement taam au sens
strict – et le Pri Hadash propose une lecture cohérente de la
Mishna dans ce sens –, autant quand le Rambam (16, 14) semble
clairement exiger la condition de min be-mino pour illustrer le issur
de mehamets. Le texte s’énonce ainsi :
תבלין
שהם שניים או שלושה שמות ממין אחד,
או
שלושה מינין משם אחד--מצטרפין
לתבל ולאסור,
וכן
לחמץ.
כיצד:
שאור
של חיטין ושאור של שעורין--הואיל
ושם שאור אחד הוא--אינן
כמין ושאינו מינו,
אלא
הרי הן כמין אחד;
ומצטרפין
לשער בהן כדי לחמץ בעיסה של חיטין,
אם
היה טעם שניהן טעם חיטין,
או
כדי לחמץ בעיסה של שעורין,
אם
היה טעם שניהן טעם שעורין.
Autrement dit, le tsiruf des issurim se fait au niveau du shem,
c'est-à-dire, comme le Pri Hadash lui-même l'a expliqué, au niveau
de la pe'ula : l'un comme l'autre sont seor.
Ensuite, pour que ce seor mixte
interdise la pâte, encore faut-il, explique le Rambam, qu'il soit de
même goût qu'elle. La raison pour laquelle ce critère est requis
est clair : pour que le seor
et la pâte soient quand même considérés comme min be-mino, bien
qu'ils ne partagent pas le même shem (on notera ici que le Rambam
considère qu'un levain de froment et une pâte de froment ont en
commun le goût de froment, alors que le Ramban tenait, lui, que le
goût du levain était fondamentalement différent de celui d'une
pâte de même origine. Leur définition de ce qui constitue un goût
commun est donc différente : pour le Ramban, c'est le goût
constaté qui est pris en compte en tant que tel, alors que pour le
Rambam, le goût, dans le présent cas à tout le moins, fonctionne
essentiellement comme le signe d'une origine commune). Reprenons. Le
siman 16, 14 en question porte avant tout sur le tseruf d'issurim, et
seulement incidemment sur le issur de mehamets. Le Rambam pouvait
s'arrêter à l'explication de tseruf des seorim.
S'il précise qu'il est encore nécessaire de déterminer le min du
seor en regard du min
de la pâte, s'est bien parce qu'il y a une différence entre min
be-mino et min be-she-eino mino dans un tel cas. Au demeurant, le Pri
Hadash reconnaît qu'il n'a pas de solution satisfaisante pour cette
halakha du Rambam dans le cadre de sa shitta.
En retour, il est vrai que la
shitta du Minhat Kohen
que repousse le Pri Hadash, à savoir qu'effectivement, mehamets et
metavel n'est un issur distinct de noten taam au sens strict que dans
min be-mino est difficile à défendre, tant sur le plan de la svara
que sur celui des nombreuses mishnayot et autres sources ramenées
par le Pri Hadash. C'est cette difficulté qui amène les mefarshim
ultérieurs à proposer des solutions originales. Le Rosh
Yossef en particulier imagine
des configurations où la définition de min be-mino est autonomisée
par rapport à celle de la proximité de taam. Ainsi, sur la base du
Tossefot Beitsa 39b, il explique que tout ingrédient ajouté
volontairement à un mélange et qui en devient un élément
essentiel de sa définition rentre dans la catégorie de min be-mino,
à l'instar de l'eau et du sel par rapport à la farine du pain.
Cette explication se heurte cependant à plusieurs difficultés, que
le Rosh Yossef relève
d'ailleurs pour la plupart lui-même : le Rambam, s'il est vrai
qu'il définit (dans son peirush ha-Mishna) un metavel comme fonction
de l'intention de la personne, ce n'est que le-humra, car il parle
aussi du issur de mehamets quand le levain est tombé par erreur ;
à l'inverse, si l'on maintient qu'un levain tombé par erreur n'est
pas osser au titre de mehamets, cela serait valable même dans le cas
où sa pe'ula serait perceptible, et au titre de la svara du Pri
Hadash on ne voit pas pourquoi on serait mekil dans un tel cas –
sauf à soutenir que le issur mehamets est un pur issur deRabbanan et
qu'ils n'ont été gozerim que dans min be-mino davka. Mais dans ce
cas-là, selon quelle logique ? Les mêmes remarques peuvent
être opposées à une autre solution qu'avance le Rosh
Yossef, à savoir qu'il faut
lire le min be-mino de la Mishna et du Rambam selon la shitta de
batar shema azlinan.
On expliquerait ainsi, en particulier, comment il peut y avoir un
issur de metavel dans min be-mino (cf. d'ailleurs le Hazon Ish
taarovet 27, 6 qui
ramène à ce propos le cas théorique de piments à divers degrés
de maturité). Cela nous paraît cependant difficilement tenable dans
la mesure où cela ne répond toujours pas à la kushia fondamentale
du Pri Hadash, à savoir pourquoi on serait mekil dans un min
be-she-eino mino quel qu'il soit (afilo lo shave lo
be-taama ve-lo bi-shma) dans la
mesure où pe'ulato
nikeret, comme on le
voit pourtant dès la Mishna à propos d'un agent levant issu de
fruits ; de plus, comme le Rosh Yossef
le note encore lui-même, la sugya de mehamets dans Hullin 99b
implique Abayé. Il est donc indispensable d'être capable
d'expliquer la Mishna aussi selon sa shitta qui veut que batar
taama azlinan.
Beezrat Hashem, l'analyse de
Rashi et Tossefot sur cette sugya, complétée par une analyse très
pénétrante du Lev Arieh,
nous permettra de démêler un peu cet écheveau.
Bienvenue sur le blog Yoreh Deah !
Comme son titre l'indique, il est consacré aux questions de איסור והיתר, et plus spécifiquement aux questions de cacherout à partir des textes : Gemara 'Hullin, Yoreh Deah, Pri Megadim... que j'essaie modestement d'enseigner dans divers batei midrashim parisiens.
Vous retrouverez ici le programme de mes cours, mais aussi leurs enregistrements vidéo semaine après semaine, les archives audio des années précédentes, ainsi que des synthèses sous forme de textes.
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Horaires des cours proposés :
Niveau avancé: le lundi soir de 21h à 22h30, à la Yéchiva des étudiants de Paris, 10 rue Cadet, dans le bureau du haut.
Niveau intermédiaire : le dimanche matin de 11h à 12h à Ohalei Yaacov au 11, rue Henri-Murger, à l'étage sur la gauche.
En espérant vous voir nombreux !
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