Bienvenue sur le blog Yoreh Deah !
Comme son titre l'indique, il est consacré aux questions de איסור והיתר, et plus spécifiquement aux questions de cacherout à partir des textes : Gemara 'Hullin, Yoreh Deah, Pri Megadim... que j'essaie modestement d'enseigner dans divers batei midrashim parisiens.
Vous retrouverez ici le programme de mes cours, mais aussi leurs enregistrements vidéo semaine après semaine, les archives audio des années précédentes, ainsi que des synthèses sous forme de textes.

Horaires des cours proposés :
Niveau avancé: le lundi soir de 21h à 22h30, à la Yéchiva des étudiants de Paris, 10 rue Cadet, dans le bureau du haut.
Niveau intermédiaire : le dimanche matin de 11h à 12h à Ohalei Yaacov au 11, rue Henri-Murger, à l'étage sur la gauche.
En espérant vous voir nombreux !

Rechercher dans ce blog

Affichage des articles dont le libellé est Tossefot. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Tossefot. Afficher tous les articles

lundi 22 octobre 2012

Hullin 99b fin de mehamets Rashi/Tossefot


Je ne reprends pas toute l’analyse des Rashi et Tossefot sur la sugya qui sont assez clairs et dont nous avons relevé les enjeux (100 & 101 vs. 99 & 100) dans l’introduction. Je voudrais simplement revenir sur la définition de mehamets selon Rashi et Tossefot. Nous avons vu chez le Pri Hadash un débat pour savoir s’il y avait un réel issur de mehamets en tant que tel, c’est-à-dire au titre de ma’amid, ou si un mehamets n’était interdit qu’en tant qu’il est noten ta’am. Rashi laisse planer une ambiguïté révélatrice, puisqu’il dit que יש בו כדי לחמץ היינו נותן טעם, « mehamets signifie noten taam ». Cela peut se comprendre de deux façon : le mehamets interdit au même titre qu’une netinat ta’am au titre de hakarat ha-issur, ou pour le dire comme le Rambam, de pe’ulato nikeret ; ou au contraire il n’y a pas d’issur propre de mehamets, mais un agent levant n’interdit que dans la mesure où il est noten ta’am mamash. Dans le premier cas, on aurait un issur de mehamets aussi bien dans min be-mino que dans min be-she-eino mino, comme l'écrit le Pri Hadash ; dans le second cas, on comprendrait que mehamets constituerait justement un cas où on serait à la fois dans du min be-mino et dans une netinat ta'am perceptible (cf. le Ramban). Tossefot semblent confirmer assez clairement la deuxième lecture, puisqu'ils déduisent de la mishna (116a) qu'il n'existe pas d'issur de ma'amid mais seulement de noten ta'am, ce qui les amène à poser la question de savoir comment un mehamets peut interdire au titre de netinat ta'am, c'est-à-dire de ta'am gamur et non de ta'am kalush (cf. 98b ד"ה אמר רבא לא נצרכא אלא לטכ"ע), au delà de 100 (sachant que pour Tossefot la question d'Abayé porte directement sur la mishna et non sur la seule lecture de Rav Dimi). Et c'est pourquoi ils répondent que c'est effectivement ce que veut dire Abayé quand il dit חמוצו קשה, certains levains ont effectivement un potentiel de netinat ta'am supérieur à 100, contrairement à la plupart des issurim ; et la sugya continue sur cette hypothèse-là – en fait, on ouvre ici une nouvelle sugya.



Avant d'entamer cette nouvelle sugya, j'aimerais rapporter deux hiddushim du Lev Arieh qui apportent à mes yeux un éclairage essentiel.
Tout d'abord, à propos de la mahloket dans zeroa' beshela de savoir s'il faut en déduire le shiur de 60 ou de 100, il explique que le nœud du débat, dans la mesure où de toute façon dans le cas du eil nazir le ta'am n'est pas perceptible, est justement de savoir si l'on fonde dessus un issur de ta'am gamur seulement (i. e. 60) où si l'on interdit même un ta'am kalush (donc jusqu'à 100). Cette approche donne un tout autre éclairage tant sur le dernier Tossefot que sur leur mahloket avec Rashi en 98b.
Ensuite, pour résoudre l'incongruité de la Mishna qui semble laisser entendre que le issur de mehamets n'existe que dans min be-mino, il explique que le levain a ceci de particulier que non seulement il fait lever la pâte mais encore il amène la pâte à lever d'elle-même : la simple présence d'un mehamets crée donc une situation de min be-mino dans la mesure où il fait acquérir à la pâte des propriétés de mehamets qui rendent indiscernable l'effet propre du issur originel.
Et dans la lignée des hypothèses que nous avons pu développer auparavant, j'aurais tendance à dire que la même analyse peut être appliquée à metavel si l'on définit celui-ci comme un exhausteur de goût : dans la mesure où il n'apporte pas de goût distinct mais vient plutôt accentuer le goût du plat, alors on est dans du min be-mino puisqu'on n'est plus en mesure de distinguer l'effet gustatif propre du issur et le goût de base du plat.

lundi 11 juin 2012

Fin de l'analyse de AZ 66a


Reste maintenant, pour finir l’analyse de la maholket entre Rambam et Raavad sur la sugya de shemot tavlin, à comprendre la réapparition soudaine de la définition de shem comme shem issur dans Rambam (14, 6) et le fait que Raavad remarque, à partir du memra dans le Yerushalmi parallèle à notre beraïta de Hezekia, que le shem issur seul n’est pas suffisant pour le tsiruf et qu’on requiert en sus le critère de taam. Or cela est étonnant dans la mesure où, sur ce point-là, on avait jusque là plus ou moins identifié les shitot de Rambam et de Rashi d’une part, de Raavad et de Tossefot d’autre part : à savoir pour le premier groupe que si, dans la mishna comme chez Rava, shem signifiait shem mamash, la notion de shem issur n’intervenait pas, pas plus que le taam d’ailleurs ; et, pour le second groupe, que shem dans la mishna signifiait shem issur (indépendamment de Rava).
Le Pri Hadash explique alors que Rambam ne revient pas sur sa lecture première exposé plus tôt, mais qu’il apporte un nouveau hiddush selon lequel shem issur s’appelle aussi shem, cette appellation n’étant pas limitée à shem mamash. C’est d’ailleurs la mahloket entre Rabbanan et R. Shimon au début du deuxième perek de Orla. Ce que dit Rambam – et Rashi possiblement aussi, ce qui serait une réponse à Tossefot – c’est que shem signifie avant tout shem mamash : c’est ce que l’on apprend de shemot tavlin et de Rava. Mais shem issur, même si cela constitue un degré en dessous de shem mamash, est aussi un critère de shem suffisant même pour R. Shimon, ce qu’enseigne la première mishna du deuxième perek de Orla comprise par le Yerushalmi.
Prenons maintenant le point de vue de Raavad, qui réintroduit Hezekia. On se rappelle que Tossefot réintroduisait Hezekia, c’est-à-dire taam, comme critère valide uniquement selon R. Meir, ce qui, selon le Pri Hadash, mène forcément à la conclusion que pour Tossefot la halakha est comme R. Meir. Mais on ne peut pas affirmer la même chose pour Raavad puisque, quand Rambam (14, 4) est possek que la halakha ne suit pas R. Meir sur ce point, Raavad ne dit rien et montre par là son accord sur ce point. Le Pri Hadash propose alors une solution, basée sur le fait que Raavad tire sa preuve non de nos sugyot du Bavli où est rapportée le memra de Hezekia, mais du passage parallèle dans le Yersuhalmi : selon lui, on peut comprendre que ce que veut dire le Yerushalmi, c’est qu’on a besoin aussi du critère du taam quand le shem est uniquement un shem issur – ce qui est la signification de shem dans la mishna, mais pas chez Rava.

Pour conclure ces analyses de cette sugya de batar shema azlinan selon Rashi, Tossefot, Rambam et Raavad, on peut en résumer les conclusions halakhiques dans le tableau suivant :

Hiérarchie des critères permettant de définir un min be-mino,
du plus important au moins important, selon Rava (la halakha étant comme Rava)

Rashi
Rambam
Tossefot
Raavad
1
Min réel
Min réel
Min réel
Min réel
2
Shem mamash (sous-catégorie de min réel)
Shem mamash (dans la mesure où il reflète une pe’ula)
Shem issur (mishna)/
Shem mamash (Rava)
Shem mamash
3

Shem issur
Shem issur avec ta’am
4
Ta’am
Ta’am ?
Ta’am



vendredi 18 mai 2012

Divers klalim sur min be-mino : Ran sur Nedarim 52a, Tossefot sur Beitsa 38b-39a, Ramban sur AZ 66a

Définition de min be-mino selon le Ran (sur Nedarim 52a)

On connaît la mahloket entre Rabbanan et Rabbi Yehuda concernant min be-mino, dans la sugya dite de dam ha-par ve-dam ha-sa'ir (Menahot 22a) : pour Rabbanan il n'y a pas de bittul d'un dam dans l'autre parce que les deux sont kesherim la-zerika, pour Rabbi Yehuda il n'y a pas de bittul parce qu'il n'y a jamais de bittul dans min be-mino. Le Ran, qui vise dans le contexte de Nedarim à élucider pourquoi un davar she-yesh lo matirim n'est pas batel dans min be-mino mais est batel be-shishim dans min be-she-eino mino, explique que la logique de Rabbi Yehuda est qu'il n'y a pas de bittul dans min be-mino parce les deux éléments sont en fait la même chose et que donc, loin de s'annuler, ils se renforcent, se confirment l'un l'autre. Et, continue le Ran, en vérité, Rabbanan sont d'accord sur ce postulat fondamental. Après tout, il est bien clair que de la viande de bœuf cachère, par exemple, ne peut pas être batel dans de la viande de bœuf cachère : cela n'aurait aucun sens, puisqu'il s'agit de la même chose. Rabbanan et Rabbi Yehuda sont en désaccord sur le critère qui permet de définir si c'est « la même chose » (min be-mino) ou pas : pour Rabbi Yehuda c'est l'identité naturelle, essentielle, de l'objet (dimion ha-etsem), pour Rabbanan c'est l'identité de statut halakhique, permis ou interdit (dimion ha-heter). Pour Rabbanan comme pour Rabbi Yehuda, si les divers éléments sont de même etsem et de même din, il s'agit d'un min be-mino absolu et il n'y a pas de bittul : c'est le cas de dam ha-par ve-dam ha-sa'ir. Pour Rabbi Yehuda, deux éléments seront min be-mino dès lors qu'il sont de même etsem (par exemple de la viande de bœuf), même si l'un est muttar et l'autre assur ; pour Rabbanan au contraire, selon l'explication du Ran, deux éléments seront min be-mino au sens où il n'y aura pas de bittul possible lorsque l'on sera dans du heter be-heter, même quand le etsem est différent, par exemple de la viande et du pain (shita qui n'est pas sans poser quelques problèmes au niveau de la halakha : cf. Rama sur YD 99, 6, qui explique que, si du lait a été rendu batel dans un volume d'eau 60 fois supérieur, on peut cuire de la viande dans cette eau infinitésimalement lactée, même si la viande en elle-même ne représente pas 60 fois le volume initial de lait ; cf. également Pri Megadim, petiha sur hilkhot Taarovet II, 1, halav haya be-halav shehuta) ; par contre, dès que l'on sera dans un issur be-heter, on ne sera déjà plus pour Rabbanan dans du min be-mino absolu (même si on continuera à appeler cela du min be-mino en regard du etsem) et il y aura donc bien bittul.
C'est à partir de cela que le Ran hiérarchise les différents types de davar she-yesh lo matirim. Le premier type de davar she-yesh lo matirim se définit par rapport au critère temporel : par exemple, un aliment interdit à cause d'un neder, dans la mesure où tout neder a vocation à être annulé, est donc totalement interdit à présent mais sera totalement permis à un moment du futur. Cet aliment a donc à la fois un aspect permis et un aspect interdit ; selon Rabbanan qui définissent min be-mino et min be-she-eino mino selon le heter et le issur, il est donc entre les deux sur cette échelle : c'est pourquoi, selon le Ran, ils ont été mahmir quant à son bittul dans un cas de min be-mino d'après le etsem (puisqu'il s'agit alors d'un min be-mino selon le etsem et d'un quasi min be-mino selon le heter, et qu'on se rapproche donc d'un min be-mino absolu comme dam ha-par) mais pas en cas de min be-she-eino mino selon le etsem (même si, selon le heter, il ne s'agit pas non plus d'un min be-she-eino mino véritable).
Le deuxième type de davar she-yesh lo matirim se définit par rapport au critère spatial : quelque chose qui est déjà complètement permis maintenant, mais pas partout. Le Ran en voit un exemple en Beitsa 38b-39a, à propos d'une femme A qui, pendant Yom Tov, a pétri une pâte avec du sel et de l'eau prêtés par une femme B : le pain qui en résulte ne peut être consommé que dans l 'espace commun aux tehumim des deux femmes. Pour le Ran, le sel et l'eau sont min be-she-eino mino par rapport à la farine, mais dans la mesure où ils sont consommables immédiatement, quoique pas en tout lieu, il s'agit d'un davar she-yesh lo matirim encore plus proche du heter qu'un davar she-yesh lo matirim temporel et donc, pour Rabbanan, il convient d'être encore plus mahmir quant à son non-bittul puisqu'on est très proche du min be-mino en termes de heter be-heter : on est donc gozer non seulement dans min be-mino, mais même dans min be-she-eino mino.
Le troisième type de davar she-yesh lo matirim envisagé par le Ran se définit par rapport au critère de l'objet (objectif). Le Ran en voit un exemple dans le Rif à propos d'un pain cuit dans un four en même temps qu'un rôti de viande (Rif Hullin 32b d'après Pesahim 76b), qu'on n'a pas le droit de manger avec du fromage. Le Rif explique que, bien que la halakha suive Levi1 pour lequel reiha lav milta hi, « le fumet n'a pas de pertinence halakhique », il faut comprendre que reiha est en réalité une forme de taam, mais tellement faible qu'il est toujours batel, peu importe les proportions. Cela suppose cependant qu'un bittul soit en soi possible. Or, dans le cas du fumet de viande imprégné dans le pain, on est dans du heter be-heter gamur puisque le résultat est parfaitement consommable dès maintenant en tout lieu. Il n'y a donc pas de bittul, le pain a un statut bassari et il est interdit de le consommer avec du lait. On notera cependant que le Ran sur le Rif là-bas (Hullin 32b) réfute cette approche en expliquant que si le fromage avait été cuit directement dans le même four que la viande, bediavad il ne serait pas interdit à cause de reiha et qu'il n'est pas raisonnable, dans la même logique de reiha, d'être plus mahmir dans le cas du pain. Il explique que ce cas du pain relève des humrot classiques de bassar be-halav et non de la stricte logique de reiha.
Le dernier type de davar she-yesh lo matirim envisagé par le Ran se définit par rapport au critère de la personne (subjectif). Le Ran en trouve un exemple dans Yevamot 81b-82a à propos d'un morceau de viande hatat mélangé dans des morceaux de viande hullin et pour lequel il n'y a pas bittul. Rav Ashi dit que la raison de ce non-bittul est à chercher dans le statut de davar she-yesh lo matirim de ce morceau de viande hatat : en effet il est interdit à un israël mais permis à un cohen. La Gemara rétorque cependant que cette approche est erronée car cette viande sera toujours interdite au israël et permise au cohen : dès lors, explique le Ran, il n'y a aucune raison d'imposer une humra au israël à cause du heter présent du côté du cohen, puisque jamais le israël ne deviendra cohen : pour le israël, le morceau de viande hatat n'est donc pas davar she-yesh lo matirim.
La hiérarchie des min be-mino en termes de heter et de issur est donc pour le Ran la suivante :


Exemple type
din
Heter be-heter absolu
Dam ha-par ve-dam ha-sa'ir
Pas de bittul deOrayta, dans min be-mino comme dans min be-she-eino mino
Davar she-yesh lo matirim objectif
Pain cuit dans le même four que de la viande
Selon le Rif, pas de bittul du reiha (deRabbanan)
Davar she-yesh lo matirim spatial
Eau et sel à yom tov
Pas de bittul ni dans min be-mino ni dans min be-she-eino mino (deRabbanan)
Davar she-yesh lo matirim temporel
neder
Pas de bittul dans min be-mino (deRabbanan)
Issur be-heter
Viande taref dans viande cachère
Bittul même dans min be-mino


Autres remarques sur min be-mino

Nous avons évoqué la sugya dans Beitsa 38b à propos de la pâte fabriquée avec de l'eau et du sel qui sont davar she-yesh lo matirim dans ce contexte. Le Ran a défini que cette configuration devait être analysée comme un min be-she-eino mino et que le non-bittul s'expliquait par le fait que le davar she-yesh lo matirim était de type spatial, et donc plus proche du heter que le davar she-yesh lo matirim temporel pour lequel le non-bittul n'est décrété que dans min be-mino. Tossefot sur place adopte cependant une autre approche : ils maintiennent que c'est bien uniquement dans min be-mino que davar she-yesh lo matirim n'est pas batel et définissent l'eau et le sel comme min be-mino par rapport au pain final, dans la mesure où il s'agit d'éléments indispensables à la fabrication du pain : il n'y aurait pas de pain sans eau ou sans sel, il s'agit donc du même objet, en tout cas dans ce contexte là – on n'ira pas jusqu'à dire que du pain qui tombe dans l'eau est également min be-mino.
Min be-mino se définit donc non seulement selon la nature physique des choses, mais aussi en fonction du contexte dans lequel elles sont mélangées.

Par ailleurs, le Ramban (sur Avoda Zara 66a) explique que du levain (seor) et de la pâte (issa) doivent, d'après la mishna de Orla (perek 2, kol ha-mehamets) sont min be-mino alors même qu'a priori ils ne répondent ni au critère d'Abayé – le taam – ni au critère de Rava – le shem. Le fait que les deux soient fabriqués à partir de froment, par exemple, ne devrait pas être suffisant pour dire qu'ils partagent le même min puisque l'on voit bien que, pour Rava, du vin jeune et du raisin ne sont pas min be-mino alors même qu'il s'agit à l'origine du même produit et qu'ils partagent en plus le même goût, comme le montre la position d'Abayé. Le Ramban explique qu'il s'agit dans le cas du levain et de la pâte de min be-mino parce qu'il est dans la nature de la pâte de fermenter et de devenir à son tour du levain : il s'agit d'un processus naturel et inévitable, alors que du raisin ne se transforme pas tout seul en jus de raisin. On peut peut-être trouver un distinguo similaire en Gittin 85ba.
1On notera que le Shulhan Arukh (YD 108) est quant à lui possek comme Tossefot, que la halakha suit Rav pour lequel reiha milta hi – mais uniquement dans un petit four non ventilé.

mardi 1 mai 2012

Tossefot AZ66a et Shabbat 89b : version texte


Tossefot (d.h. Tavlin) interroge la lecture de Rashi qui considère, pour les raisons que nous avons expliquées, que la beraïta ne parle que dans un cas de lah be-lah ; l’expression assurin u-mistarefin ne doit selon Rashbam pas être contractée en une seule indication, mistarefin le-essor, mais comme deux : assurin d’une part, mistarefin de l’autre. La première renvoie bien à lah be-lah, mais la seconde réfère à yavesh be-yavesh. Autrement dit, deux éléments interdits qui font partie de la même catégorie (qu’on la définisse, selon les uns ou les autres, par le min, le shem et/ou le taam) s’additionnent quand on calcule les proportions (1/100 ou 1/200) d’un mélange yavesh be-yavesh. On voit déjà ici qu’on sort de la logique stricte, établie par Rashi, du min be-mino lo batel puisque ici aussi bien les deux issurim que le heter dans lequel ils ont été mélangés sont de même min (quelle que soit la fçon dont on le définisse) : ceci est bien évident puisque le calcul des proportions 1/100 ou 1/200 (dans teruma ou dans orla) ne fonctionne que dans min be-mino ; dans min be-she-eino mino, on revient au bittul be-shishim.
Dans lah be-lah, un deuxième paramètre, indiqué par le terme assurim, vient se surajouter : celui de la netinat taam. Si l’on est toujours dans du min be-mino, le critère numérique antérieur ne disparaîtra pas, mais le critère souverain dans lah be-lah est la netinat taam (quelle que soit la façon dont on le justifie ; cf. la mahloket entre le Rashba – bittul ha-taam - et le Ran –hakarat ha-issur-). C’est pour cela, continue Rashbam, que la beraïta ne se contente pas d’indiquer le cas de yavesh be-yavesh dont on aurait déduit par extension le cas de lah be-lah : en effet, explique-t-il, R. Shimon, qui est en désaccord avec le Tana Kama de la mishna, n’est en désaccord que sur le tseruf dans yavesh be-yavesh, estimant qu’il faut pour cela que soient réunis les deux critères du min et du shem (on verra comment il faut, dans son optique, définir ce deuxième terme) ; par contre, il est d’accord avec le fait que les différents issurim peuvent se cumuler dans un cas de lah be-lah même s’il n’y a que le min ou le shem qui est commun parce que, dans ce cas précis, intervient le critère additionnel du taam tel que défini par Hezekiah (c’est-à-dire non seulement par une identité de goût, mais dès que les effets gustatifs sont de même ordre – c’est ce qu’indique minei metika, cf. Hazon Ish YD 25).
On voit donc que le hiddush de Hezekia, dans la perspective du Tana Kama telle que la comprend Rashbam, consiste précisément en ce que le critère de taam est opérant pour faire entrer deux objets interdits dans une même catégorie même dans yavesh be-yavesh. Le Tana Kama comme R. Shimon retiennent tous deux le critère identifié par Hezekiah comme « rauy lematek ba et hakadeira » mais pour des raisons bien différentes : pour Rabbi Shimon ce critère revient en fait à celui de netinat taam : les deux interdits contribuent à former un goût identifiable dans le mélange parce que leurs effets gustatifs sont similaires. Ils interdisent donc le mélange au titre de taam ke-ikkar. Pour Tana Kama le critère de Hezekia n’est pas directement lié à taam ke-ikkar puisqu’il fonctionne même dans yavesh be-yavesh : le taam (défini largement, selon le critère de Hezekia) fait entrer dans une catégorie commune deux éléments interdits même s’ils n’ont en commun ni le min, ni le « shem » (qu’on n’a pas encore défini dans ce contexte). Il s’agit donc de la définition même de min be-mino : quand deux éléments ne font pas « naturellement » partie du même min, parce qu’ils appartiennent à des espèces botaniques différentes, et qu’ils ne partagent pas non plus le même shem (qui reste, encore une foi, à définir), Hezekiah vient indiquer que le critère « large » de taam est aussi opérant pour créer une catégorie commune, en dehors de toute considération de taam ke-ikkar.
On pourrait cependant envisager, à ce stade tout du moins, que ce critère de taam dans yavesh be-yavesh est opérant au titre d’une gezera de-rabbanan, par crainte qu’on en vienne à cuire l’ensemble et qu’on se retrouve confronté, dans lah be-lah, à un problème de taam ke-ikkar de-Oraïta (ce qui est, rappelons-le, l’argument « classique » pour justifier l’exigence de shishim dans min be-she-eino mino yavesh be-yavesh). Cependant cela paraît peu probable puisque, dans le cas présent de yavesh be-yavesh, on se soucie de calculer des proportions de bittul qui sont bien supérieures à shishim, puisque le contexte est celui de bittul de teruma (dans 100) voire de orla (dans 200), configurations dans lesquelles on a normalement évacué le problème de netinat taam puisqu’on est au-delà de shishim. Pour autant, dans la mesure où l’on parle ici de tavlin, c’est-à-dire d’épices dont le rôle est justement de donner du goût (le-taama avidei), le critère de shishim n’est peut-être plus pertinent1 ; mais il semble que l’on puisse répondre que le critère de Hezekia, c’est-à-dire le rauy lematek, puisse être appliqué non seulement aux deux tavlin assurim, mais aussi au heter dans lequel ils tombent. On pourrait ainsi imaginer une épice A et une épice B, toutes deux interdites, qui tombent dans un récipient contenant une épice C permise ; si les trois épices étaient d’espèces totalement différentes mais d’effet gustatif comparable on serait dans du min be-mino selon Hezekia et les épices A et B se combineraient dans le calcul des proportions du bittul, en dehors pourtant de toute considération de netinat taam puisqu’on serait dans du min be-mino yavesh be-yavesh.


Le Tossefot suivant s'intéresse à la notion de shem présente dans la beraïta. Une lecture rapide de la sugya pourrait laisser à penser que le shem de la beraïta est le même que le shem auquel se réfère Rava ; mais on a vu que chez Rashi déjà ce n'était pas vraiment le cas puisqu'il donnait pour exemple de shemot différents pour un même min « pilpel lavan, pilpel shahor » etc., le premier mot renvoyant au min et le second au shem (prati), alors que Rava donnait comme exemple convers de même shem pour des minim différents « hala de-hamra ve-hala de-shikhra », où le premier mot renvoyait au shem et le second au min. Autrement dit le shem renvoie chez Rashi à une sous-catégorie du min, il correspond à une détermination supplémentaire à l'intérieur d'une catégorie naturelle ; tandis que dans les cas donnés par Rava, le shem est une catégorie qui fait du min « naturel » (les composants du produit) un critère secondaire par rapport au shem, qui désigne ici la « nature » de l'objet : non pas sa nature première, mais sa nature actuelle, ce qu'il est actuellement : du vinaigre, le fait qu'il ait été obtenu à partir de tel ou tel matière première étant adventice.
Tossefot pousse plus loin encore cette disjonction entre le shem de la beraïta (et plus largement, de la mishna) et le shem de Rava. Ils admettent la logique Rashi dans sa définition du shem prati comme sous-catégorie d'un min : le shem vient préciser une catégorie naturelle. Mais, dès lors, il ne saurait y avoir deux objets relevant de minim différents et portant pourtant le même shem défini comme sous-catégorie naturelle. Ou plutôt, on peut bien l'imaginer, mais ce serait alors une simple homonymie, comme par exemple une pomme verte et une pomme de terre. Tossefot, dans un texte parallèle (Shabbat 89b), souligne qu'on ne comprendrait pas pourquoi une simple homonymie aurait un quelconque effet de catégorisation halakhique. Or, dans la suite de la mishna, Rabbi Shimon énonce que ne sont mistarefin ni deux tavlin de même min et de shem différent, ni deux tavlin de même shem et de min différent : c'est donc bien que la notion de shem identique malgré un min différent est envisageable. Or, selon la définition de Rashi, pour qui le shem désigne une catégorie naturelle de même ordre que le min, ce cas est impossible. Tossefot identifie donc le shem de la mishna et de la beraïta, sur la foi d'expressions identiques ailleurs dans le Talmud, comme désignant une catégorie non pas naturelle, mais halakhique : sont de même shem deux objets qui relèvent du même interdit (ou de la même catégorie d'interdits, comme teruma, terumat maasser, hala et bikkurim, ainsi que le montre la mishna dans Orla (2, 1). Selon Tossefot, la mishna énonce donc que le min « naturel » n'est pas le seul min halakhiquement signifiant, mais que le fait de relever de la même catégorie de issurim l'est aussi, même si les éléments appartiennent à des espèces naturelles différentes ; en fait, dans la mesure où la conclusion du Tana Kama (tel que le comprend Rashi, lecture qui n'est pas remise en cause par Tossefot) même des éléments ne relevant ni du même min naturel ni du même min halakhique (c'est ainsi qu'il faut comprendre shem) sont mistarefin. Pour Abayé, la précision apportée par Hezekia vient expliquer cela par le critère de taam : le taam permet de constituer un min au même titre que le min « naturel » et que le shem, c'est-à-dire le min « halakhique ». Pour Rava, cela s'explique plutôt par le fait que cette mishna exprime la position de Rabbi Meir, pour lequel tous les issurim de la Torah sont, à la base, mistarefin.
Est-ce à dire que pour Rabbi Meir le critère de Hezekiah est complètement superflu et doit être rejeté comme ne jouant aucun rôle halakhique ? C'est effectivement, on l'a vu, la position de Rashi. Tossefot considèrent cependant qu'elle pose problème : en effet, si tel était le cas, dans la mesure où la halakha suit Rava, cette beraïta devrait être complètement ignorée dans la halakha : la proximité d'effet gustatif ne devrait jamais intervenir dans le calcul d'un tsiruf yavesh be-yavesh. Or on voit en Shabbat 89b-90a que ce principe-là est précisément sollicité. Le contexte là-bas est celui de la définition de la mesure minimale d'un objet pour qu'on soit coupable d'avoir transgressé l'interdit de hotsaa à shabbat en le transposant d'un domaine à l'autre. Chaque objet s'y voit attribuer une mesure spécifique en fonction de son usage : ce n'est pas le seul aspect physique de l'objet qui compte, mais sa fonction : en dessous d'une certaine taille, il n'est propre à aucun usage et n'a donc pas le statut d'objet qui rendrait hayav de hotsaa. Ainsi, des brindilles de bois doivent être en quantité suffisante pour alimenter un feu capable de cuire un œuf de poule. De même, des épices doivent être en quantité suffisante pour épicer un œuf de poule, et la mishna précise que différentes épices peuvent se combiner dans le calcul de cette mesure. La Gemara demande pourquoi différentes épices peuvent se combiner alors même qu'elles sont d'espèces différentes et répond en invoquant le principe de Hezekia, qu'elles se combinent ici dans la mesure où elles ont en commun le même effet gustatif. Or selon la lecture de Rashi, pour Rava, on n'a pas besoin du principe de Hezekia pour expliquer la mishna selon Rabbi Meir et ce principe tombe de lui-même. Pourquoi resurgirait-il ici ? C'est pourquoi Tossefot explique que Rabbi Meir a lui aussi besoin de ce principe de Hezekia. En effet, bien que Rabbi Meir considère que kol ha-issurin mistarefin, cela n'est valable au sens le plus absolu, c'est-à-dire même quand il s'agit de minim et d'issurim différents, que quand les objets interdits sont présents dans leur intégrité physique (be-ayin) ; mais dès qu'ils font partie d'un mélange lah be-lah, il est nécessaire qu'ils aient en commun le même effet gustatif car autrement on les principes de netinat taam entrent en jeu : soit que le mélange de goûts discordants produise un effet non souhaitable, et on est alors dans un cas de noten taam li-fgam (c'est l'option exprimée par Tossefot en Shabbat 90a), soit que les effets sont simplement opposés et se masquent l'un l'autre (c'est la lecture adoptée par Tossefot chez nous ; nous reviendrons plus tard longuement sur ces précisions). L'application du principe de Hezekia dans lah be-lah est donc, d'après Tossefot, valable autant pour Rabbi Meir que pour Rabbi Shimon. Là où Rabbi Meir va plus loin, c'est qu'il affirme en outre que ce critère de taam ne se limite pas à lah be-lah, qu'il ne relève pas uniquement des halakhot de taam ke-ikkar, mais qu'il constitue également un socle commun minimal pour rassembler différents éléments dans un même min, même s'ils relèvent par ailleurs de minim « naturels » et de issurim différents. Le débat entre Abayé et Rava est donc le suivant : pour Abayé, la remarque de Hezekia est valable pour tout le monde et établit donc que le taam est un critère souverain qui permet de regrouper dans un même min même des éléments relevant de minim « naturels » et de issurim différents ; pour Rava, la remarque de Hezekia n'est valable pour tout le monde que dans un contexte de lah be-lah où entrent en jeu les halakhot de netinat taam ; mais dans yavesh be-yavesh, elle n'est valable que selon la shita de Rabbi Meir pour lequel dans l'absolu tous les issurim sont mistarefin, ce qui fait que dans un mélange yavesh be-yavesh même un critère particulièrement faible, qui est en général insuffisant, celui de Hezekia, est suffisant pour opérer un tsiruf. On notera ainsi que pour Rabbi Meir le tsiruf n'est pas une conséquence d'un min be-mino ; il opère de lui-même dans yavesh be-yavesh dès qu'il existe une propriété commune comme le taam, même si celui-ci n'est pas suffisant pour constituer un min commun.
Reste à comprendre quel avis suit la halakha. Dans la mesure où la beraïta de Hezekia, que Rava a établie comme suivant Rabbi Meir, est reprise sans autre objection (stam). C'est l'argument même de Tossefot. Mais pour autant, même s'il est clair que Rava pourrait suivre Rabbi Meir sans pour autant se ranger à la shita d'Abayé, il semble bien que la halakha ne suive pas Rabbi Meir, c'est-à-dire qu'on ne tienne pas que kol ha-issurin mistarefin, ce qui, pour Rava tel que le comprend Tossefot, est bien le principe qui est à la base de la validité du critère « faible » de Hezekia dans yavesh be-yavesh. Si la halakha ne suit pas Rabbi Meir, et Rava non plus, comment comprendre la réapparition du critère de Hezekia dans la sugya de Shabbat ? On revient, semble-t-il, à la difficulté initiale de Tossefot. Il me semble que l'on peut résoudre cette difficulté de la manière suivante : dans le contexte de cette sugya de shabbat, le shiur minimal des objets pour rendre hayav de hotsaa n'est pas lié aux propriétés physiques de l'objet, mais à sa fonction. Or la fonction des épices est précisément de produire un effet gustatif : on peut dès lors comprendre que le critère de Hezekia soit opérant dans ce contexte précis, même si la beraïta dans laquelle il est exprimé, celle qui énonce le principe général de tsiruf des tavlin assurin dans yavesh be-yavesh sur le seul critère du taam, n'est pas retenu par la halakha parce qu'il n'est vrai que dans le contexte de la shita de Rabbi Meir pour lequel kol ha-issurin mistarefin.
Il n'en demeure pas moins que pour Rava le taam n'est pas un critère permettant d'établir un min be-mino. Il demandera, toujours suivant Tossefot, que le min be-mino soit établi soit par une coïncidence de issurim (le shem de la mishna), soit par un min « naturel », soit par ce que lui-même appelle shem, qui est très différent du shem de la mishna et qui est en fait plus proche de la définition du min naturel. Actuellement il n'est pas encore possible de définir précisément le shem selon Rava ; mais, avec l'aide de D., l'analyse d'autres textes va nous y aider.


Remarquons déjà que l'identification des catégories d'issurim comme une des variables permettant d'établir un min be-mino nous permet de sortir de la lecture de Rashi qui voulait que le fait que des tavlin soient mistarefin parce qu'ils sont de même min suppose qu'il n'y a jamais de bittul dans min be-mino, selon la shita de Rabbi Yehuda. Les éléments mis en place par Tossefot nous permettent de faire référence à l'analyse du Ran dans Nedarim 52 qui explique que les Hakhamim sont d'accord avec le principe abstrait de Rabbi Yehuda selon lequel il n'y a pas de bittul dans min be-mino ; mais pour les Hakhamim dès lors qu'on est dans un mélange de issur et de heter on n'est plus dans du « vrai » min be-mino absolu. En suivant les Hakhamim, on peut donc comprendre que des tavlin assurim de même min sont mistarefin sans que cela n'interdise pour autant qu'ils puissent être batel dans du heter, et l'on peut aussi comprendre que des tavlin de minim différents puissent être mistarefin dès lors qu'il relèvent de la même catégorie de issur : pour les Hakhamim en effet, le statut de issur ou de heter est essentiel dans la définition du min.



1Quoique ; Tossefot défendent ailleurs (Hullin, sugya de Zeroa beshela) qu’un goût perceptible au-delà de shishim n’est jamais un taam gamur mais juste un taam kol she-hu ; c’est Rashi qui considère que shishim n’est qu’un critère par défaut pour définir la netinat taam en l’absence de goûteur. On pourrait ainsi expliquer que le « fumet » qu’apportent les épices n’est pas un taam gamur (référence à venir BS"D).

Translate