Exceptionnellement, en version audio. Quoique c'est peut-être plus pratique pour vous...
Tosefot zevahim 78B
Allez, un petit sondage en marge extérieure...
Bienvenue sur le blog Yoreh Deah !
Comme son titre l'indique, il est consacré aux questions de איסור והיתר, et plus spécifiquement aux questions de cacherout à partir des textes : Gemara 'Hullin, Yoreh Deah, Pri Megadim... que j'essaie modestement d'enseigner dans divers batei midrashim parisiens.
Vous retrouverez ici le programme de mes cours, mais aussi leurs enregistrements vidéo semaine après semaine, les archives audio des années précédentes, ainsi que des synthèses sous forme de textes.
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Horaires des cours proposés :
Niveau avancé: le lundi soir de 21h à 22h30, à la Yéchiva des étudiants de Paris, 10 rue Cadet, dans le bureau du haut.
Niveau intermédiaire : le dimanche matin de 11h à 12h à Ohalei Yaacov au 11, rue Henri-Murger, à l'étage sur la gauche.
En espérant vous voir nombreux !
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mercredi 7 novembre 2012
jeudi 1 novembre 2012
shitat R. Yehuda dans Zevahim 77b-79a : selon Rashi
La Mishna en Zevahim
77b, à propos de dam zerika, énonce que si le sang du
korban s’est mélangé à 1. de l’eau, il reste considéré
comme valable pour l’aspersion tant qu’il a l’aspect de sang
(ce qu’on appellera par la suite bitul be-hazuta, une
annulation qui dépend de l’aspect visuel), même s’il y a plus
d’eau que de sang ; 2. du vin rouge, on en évalue l’aspect
comme si c’était de l’eau – la Gemara va discuter de savoir si
c’est le vin qu’on considère comme de l’eau (option 2a),
autrement dit on ramènera le cas du vin à celui de l’eau, ou si
c’est le sang qui est considéré comme de l’eau, autrement dit
on est dans du bitul be-rov (option 2b) ; 3. du sang de
hullin, on applique la même règle que pour le vin (option 2a
ou 2b), tandis que R. Yehuda tient que dans ce cas-là il n’y a pas
de bitul, même avec une conséquence le-kula puisque
ici le sang du korban reste kasher la-zerika même en
infime quantité.
Avant de passer à
l’analyse de la Gemara, on peut d’ores et déjà poser le cadre
théorique qui définit l’ordre des différents cas et l’éventail
des shitot. Le sang et l’eau sont min be-she-eino mino
autant par leur nature même que par leur aspect visuel ; le
sang et le vin rouge sont min be-she-eino mino par nature mais
sont d’aspect similaire ; le sang et le sang sont min
be-mino. La question est entre autres de savoir si, dans un
contexte donné, le fait que les objets possèdent en commun
propriété pertinente dans ce contexte (ici, l’aspect visuel) peut
prendre le pas sur l’hétérogénéité de leurs essences (sang et
vin en l’occurrence) ou si le point de vue de l’essence prime
toujours sur les attributs, considérés somme toute comme
accidentels.
La Gemara part du maamar
de Resh Lakish sur ha-pigul ha-notar ve-ha-tamé pour avancer,
avant de la rejeter immédiatement, l’idée qu’il y aurait bitul
be-rov même dans min be-she-eino mino (on ne discutera
pas ici de savoir comment Rashi, qui tient que taam ke-ikkar
est deRabbanan, s’accomode de ce Resh Lakish ; cf.
Minhat Kohen) et proposer plutôt que dans min be-mino
au moins, il y a bien bitul be-rov. La question surgit alors :
pourquoi, dans min be-mino, n’applique-t-on pas le principe
de roïn oto, « on considère comme ci »,
c’est-à-dire qu’on évalue le shiur nécessaire pour le
bitul dans min be-mino en imaginant qu’on est dans un
min be-she-eino mino : le paradigme en serait le 2a de la
mishna, c’est-à-dire qu’on ramènerait le cas du sang mélangé
à du vin rouge (min be-mino du point de vue de l’aspect,
propriété pertinente dans le contexte) au cas du sang mélangé à
de l’eau (min be-she-eino mino). La Gemara objecte alors
qu’on pourrait comprendre non pas 2a mais 2b, et qu’on est donc
bien dans un bitul be-rov même pour un tel min be-mino
limité à une propriété rendue pertinente par le contexte, ce qui
soulève à son tour deux objections. Tout d’abord, s’il
s’agissait juste de dire que le sang est batel be-rov dans
ce cas-là, il n’était pas nécessaire de faire appel à la notion
compliquée de roïn oto, il suffisait de dire « batel ».
Ensuite, cette alternative renvoie en fait à une mahloket Tannaïm
impliquant R. Yehuda.
On montre ainsi, à partir
d’une beraïta à propos d’un seau qu’on trempe dans un mikvé,
que R. Yehuda applique le principe de roïn oto dans le cas
d’un min be-mino limité à la seule propriété pertinente,
tandis que les Hakhamim se suffisent dans un tel cas d’un bitul
be-rov comme dans un vrai min be-mino. Cela veut donc dire
que pour R. Yehuda ce n’est pas le contexte qui détermine le min
be-mino en privilégiant une propriété pertinente, mais bien
l’essence des choses : or ici, dans le cas du vin blanc
mélangé à l’eau, on est dans un min be-she-eino mino du
point de vue de l’essence, et on applique le même shiur que
si ce min be-she-eino mino se reflétait dans la propriété
contextuelle, si le vin était rouge et non blanc en l’occurrence.
Pour la Hakhamim au contraire, le min be-mino est déterminé
par le contexte qui rend pertinent telle propriété.
Si l’on s’arrête là,
on doit donc dire que notre Mishna doit être construite comme ceci :
comme en 3 on a une mahloket entre Hakahmim et R. Yehuda, on doit
dire qu’il faut comprendre le roïn oto de ce 3 non pas dans
le sens fort que R. Yehuda donne à cette notion (2a), mais dans le
sens faible des Hakhamim, à savoir un simple bitul be-rov (2b) ;
aussi bien est-on pour tout le monde dans un vrai min be-mino.
Il faut donc comprendre qu’en 2 aussi on parle de bitul be-rov,
où à la limite que le langage de la Mishna est sciemment ambigu
pour pouvoir être lu selon la shita des Hakhahim ou selon celle de
R. Yehuda ; mais c’est quand même difficile à défendre
parce que si 2 allait selon R. Yehuda le roïn oto prendrait
deux sens différents dans la même Mishna puisqu’en 3 il va
forcément selon Hakhamim.
La Gemara objecte ensuite
à partir d’une autre beraïta faisant intervenir le roïn oto
de R. Yehuda. L’interprétation de cette beraïta, à quel élément
susmentionné constitue-t-elle précisément une objection, et
comment comprendre la résolution subséquente de cette objection par
Abayé d’une part, par Rava d’autre part, fait l’objet d’un
débat profond entre Rashi et Tossefot. La beraïta, que la Gemara
attribue à R. Yehuda parce qu’elle fait intervenir le principe de
roïn oto, énonce que dans un cas similaire d’un seau
partiellement rempli qu’on immerge dans un mikvé, l’urine est
considérée (roïn otan) comme de l’eau, tandis que mei
hatat (les « eaux lustrales » de la vache rousse),
sont batel be-rov.
Expliquons d’abord
shitat Rashi. Pour Rashi, cette beraïta vient en contradiction de la
beraïta précédente sur le vin blanc. Il expose pour R. Yehuda que
l’urine est considérée comme de l’eau et qu’il n’y a même
pas besoin de bitul be-rov parce que, du point de vue de
l’essence, c’est de l’eau, et ce même si son aspect est
sensiblement différent. On a donc ici l’application converse du
roïn oto de R. Yehuda : de même que quand on est dans
un min be-she-eino mino du
point de vue de l'essence mais que du point de vue de la propriété
pertinente dans le contexte on est dans du min be-mino
alors on va faire comme si (roïn
oto) la propriété pertinente
dans le contexte reflétait l'hétérogénéité des essences, de
même quand on est dans un min be-mino du
point de vue de l'essence mais que du point de vue de la propriété
pertinente dans le contexte on est dans du min be-she-eino
mino alors on va faire comme si
(roïn oto) la
propriété pertinente dans le contexte reflétait l'homogénéité
des essences. Le vin blanc n'est donc pas de l'eau même s'il a une
couleur proche, et l'urine est de l'eau même si elle a une couleur
différente. Par contre, au niveau de mei hatat,
explique toujours Rashi, le fait que le statut de pureté soit
hétérogène semble plus important encore que l'essence naturelle :
en effet, l'eau du mikvé a pour propriété essentielle de rendre
pur l'impur, tandis que les mei hatat ont
pour propriété essentielle de rendre impur le pur (sauf pour
quelqu'un qui est tame met,
mais cela est considéré ici comme l'exception au statut général
de mei hatat).
D'après
Rashi, cette opposition tuma/tahara
est considérée par R. Yehuda comme plus déterminante encore que
l'essence naturelle puisqu'on voit ici que bien que les mei
hatat soient du point de vue
physique de l'eau, elles sont considérée comme min
be-she-eino mino dès lors qu'on
ne se suffit pas de hashaka (mise
en contact) avec l'eau du mikvé comme dans le cas de l'urine mais
qu'on demande un bitul.
Autrement dit, on applique encore ici une fois le principe de roïn
oto en disant que quand deux
objets ont un statut de tuma/tahara
différent (ou peut-être n'est-ce vrai que parce qu'ici on n'est pas
seulement dans tame/tahor
mais encore dans metame/metaher),
ils sont considérés comme min be-she-eino mino même
s'ils sont min be-mino selon
leur nature physique. Cela signifie, d'un point de vue ontologique,
qu'il existe une hiérarchie des propriétés d'un objet : ses
propriétés visuelles sont purement accidentelles en regard de sa
nature physique, mais cette nature physique elle-même est secondaire
par rapport à une propriété plus essentielle encore qui est
metaher/metame.
Ou peut-être metaher/metame
n'est-elle pas non plus dans l'absolu une propriété essentielle,
mais que c'est uniquement le contexte de la purification dans un
mikvé qui fait de cette propriété le critère déterminant ici.
Dans la première hypothèse, on aurait une proposition ontologique :
le statut de metaher/metame
est plus essentiel que la nature physique, tandis que dans la
première hypothèse, R. Yehuda rejoindrait simplement les Hakhamim
sur l'idée que le contexte peut effectivement influer sur la
constitution d'un min be-mino/min be-she-eino mino,
à ceci près qu'il considérerait que la seule propriété
pertinente pour un contexte de mikvé est d'être à tout le moins
non-metame. Si l'on compare cette shita à celle du Ran (Nedarim 52a)
qui dit que R. Yehuda est holek sur les Hakahamim en ce qu'il
considère que le statut de issur ve-heter
n'est pas suffisant, même contextuellement, pour déterminer un min
be-she-eino mino, alors on est
bien obligé de conclure que pour R. Yehuda le din de metame/metaher
est fondamentalement différent, et plus important ontologiquement,
que le din de issur ve-heter.
Rashi
conclut ainsi que la contradiction entre les deux beraïtot est que
pour R. Yehuda, dans le cas d'un min be-she-eino mino (que
celui-ci soit déterminé par la nature physique ou par le statut de
metame/metaher), dans
la première beraïta on exige un bitul be-hazuta
alors que dans la seconde on se satisfait d'un bitul
be-rov.
La
Gemara propose alors deux résolutions à cette contradiction. Pour
Abayé, l'une des shitot n'est en réalité pas celle de R. Yehuda
lui-même mais celle de son maître, Rabban Gamliel, comme on le voit
d'une beraïta qui énonce que la formule אין
דם מבטל דם est dite par R. Yehuda au non de Rabban
Gamliel. Rashi, à la lumière de sa compréhension de la
contradiction entre les deux beraïtot, explique qu'il faut
comprendre ainsi : de même que Rabban Gamliel est mahmir dans
min be-mino en considérant qu'il n'y a pas de bitul possible,
de même il est mahmir dans min be-she-eino mino en exigeant
toujours un bitul be-hazuta en faisant jouer le principe de
roïn oto le-humra (le cas de l'eau et du vin blanc dans la
première beraïta) ; par contre, R. Yehuda tiendrait
qu'il y a bitul be-rov dans min be-mino et que même
quand le contexte transforme un min be-mino en min
be-she-eino mino (deuxième beraïta), soit il s'agit d'une
propriété accidentelle comme la couleur et alors on applique un
roïn oto le-kula (urine), soit il s'agit d'une propriété
essentielle comme metame/metaher et on se satisfait quand même
d'un bitul be-rov.
Il
semble qu'il faille en déduire que même dans un min be-she-eino
mino sous tous points de vue R. Yehuda dirait qu'on se contente
d'un bitul be-rov, mais cette option semble difficile à
soutenir au vu de notre mishna, dont le premier cas, le mélange de
sang et d'eau, semble exiger un bitul be-hazuta pour tout le
monde. Deux réponses sont possibles : soit effectivement R.
Yehuda serait holek et dirait que même dans ce cas-là un bitul
be-rov opèrerait, mais la mishna n'évoquerait pas cette
possibilité ; soit R. Yehuda maintiendrait que du point de vue
du bitul ha-guf c'est bien le bitul be-rov qui joue,
même dans min be-she-eino mino, mais que pour autant
l'aspect visuel (ou gustatif, ou toute autre propriété sensorielle
que R. Yehuda considèrerait dès lors comme accidentelle par rapport
à l'essence), sans être un déterminant du din de min
be-mino/min be-she-eino mino, serait quand même un facteur pour
empêcher le bitul, indépendamment du din de min
be-mino/min be-she-eino mino. Il serait ainsi d'accord avec les
Hakhamim tant dans le cas du mélange d'eau et de sang que dans celui
du mélange de vin rouge et de sang, à savoir qu'on aurait un bitul
be-hazuta dans le premier cas et un bitul be-rov dans le
second cas, mais pour des raisons différentes : pour les
Hakhamim, l'aspect visuel détermine le din de min
be-mino/min be-she-eino mino, pour R. Yehuda, il y a bitul
be-rov même dans min be-she-eino mino mais,
indépendamment de cela, l'aspect visuel peut empêcher le bitul.
Tout
ceci va selon le teiruts d'Abayé. Pour Rava, la shita de R.
Yehuda est bien que dans min be-mino il n'y a pas de bitul
et que dans min be-she-eino mino on applique roïn oto pour
exiger un bitul be-hazuta. La dernière beraïta, à propos de
mei hatat, concerne une situation exceptionnelle où il n'est
pas nécessaire d'effectuer la tevila de la face interne du
seau, et que c'est uniquement pour s'assurer que la face externe du
seau était entièrement immergée dans le mikvé que les Sages ont
exigé qu'il y ait un rov d'eau du mikvé à l'intérieur du seau :
c'est dans ce cas-là uniquement que R. Yehuda est meikil,
parce qu'en vérité cette exigence de rov n'a aucun rapport
avec un din de bitul.
mardi 30 octobre 2012
mardi 23 octobre 2012
lundi 22 octobre 2012
Hullin 99b fin de mehamets Rashi/Tossefot
Je ne reprends pas toute l’analyse des Rashi et Tossefot sur la sugya qui sont assez clairs et dont nous avons relevé les enjeux (100 & 101 vs. 99 & 100) dans l’introduction. Je voudrais simplement revenir sur la définition de mehamets selon Rashi et Tossefot. Nous avons vu chez le Pri Hadash un débat pour savoir s’il y avait un réel issur de mehamets en tant que tel, c’est-à-dire au titre de ma’amid, ou si un mehamets n’était interdit qu’en tant qu’il est noten ta’am. Rashi laisse planer une ambiguïté révélatrice, puisqu’il dit que יש בו כדי לחמץ היינו נותן טעם, « mehamets signifie noten taam ». Cela peut se comprendre de deux façon : le mehamets interdit au même titre qu’une netinat ta’am au titre de hakarat ha-issur, ou pour le dire comme le Rambam, de pe’ulato nikeret ; ou au contraire il n’y a pas d’issur propre de mehamets, mais un agent levant n’interdit que dans la mesure où il est noten ta’am mamash. Dans le premier cas, on aurait un issur de mehamets aussi bien dans min be-mino que dans min be-she-eino mino, comme l'écrit le Pri Hadash ; dans le second cas, on comprendrait que mehamets constituerait justement un cas où on serait à la fois dans du min be-mino et dans une netinat ta'am perceptible (cf. le Ramban). Tossefot semblent confirmer assez clairement la deuxième lecture, puisqu'ils déduisent de la mishna (116a) qu'il n'existe pas d'issur de ma'amid mais seulement de noten ta'am, ce qui les amène à poser la question de savoir comment un mehamets peut interdire au titre de netinat ta'am, c'est-à-dire de ta'am gamur et non de ta'am kalush (cf. 98b ד"ה אמר רבא לא נצרכא אלא לטכ"ע), au delà de 100 (sachant que pour Tossefot la question d'Abayé porte directement sur la mishna et non sur la seule lecture de Rav Dimi). Et c'est pourquoi ils répondent que c'est effectivement ce que veut dire Abayé quand il dit חמוצו קשה, certains levains ont effectivement un potentiel de netinat ta'am supérieur à 100, contrairement à la plupart des issurim ; et la sugya continue sur cette hypothèse-là – en fait, on ouvre ici une nouvelle sugya.
Avant d'entamer cette nouvelle sugya, j'aimerais rapporter deux hiddushim du Lev Arieh qui apportent à mes yeux un éclairage essentiel.
Tout d'abord, à propos de la mahloket dans zeroa' beshela de savoir s'il faut en déduire le shiur de 60 ou de 100, il explique que le nœud du débat, dans la mesure où de toute façon dans le cas du eil nazir le ta'am n'est pas perceptible, est justement de savoir si l'on fonde dessus un issur de ta'am gamur seulement (i. e. 60) où si l'on interdit même un ta'am kalush (donc jusqu'à 100). Cette approche donne un tout autre éclairage tant sur le dernier Tossefot que sur leur mahloket avec Rashi en 98b.
Ensuite, pour résoudre l'incongruité de la Mishna qui semble laisser entendre que le issur de mehamets n'existe que dans min be-mino, il explique que le levain a ceci de particulier que non seulement il fait lever la pâte mais encore il amène la pâte à lever d'elle-même : la simple présence d'un mehamets crée donc une situation de min be-mino dans la mesure où il fait acquérir à la pâte des propriétés de mehamets qui rendent indiscernable l'effet propre du issur originel.
Et dans la lignée des hypothèses que nous avons pu développer auparavant, j'aurais tendance à dire que la même analyse peut être appliquée à metavel si l'on définit celui-ci comme un exhausteur de goût : dans la mesure où il n'apporte pas de goût distinct mais vient plutôt accentuer le goût du plat, alors on est dans du min be-mino puisqu'on n'est plus en mesure de distinguer l'effet gustatif propre du issur et le goût de base du plat.
mardi 11 septembre 2012
dimanche 9 septembre 2012
mardi 24 juillet 2012
Hullin 99a : Rashi version texte
Retour,
enfin, à la sugya de mehamets et metavel en Hullin 99ab (cliquer ici pour afficher le daf). Rappelons
le contexte. La Gemara vient de rapporter la sugya de zeroa' beshela,
d'où l'on apprend le principe qu'il existe un shiur uniforme pour le
bittul des issurim et que ce shiur est une humra deRabbanan par
rapport au principe de bittul be-rov. Dans la mesure où le cas
précis de zeroa' beshela, celui du eil nazir, relève
vraisemblablement de min be-mino1,
la question reste ouverte quant au din précis de min be-she-eino
mino : c'est toute la mahloket entre Rashi et Tossefot sur
place, à propos de ta'am ke-ikkar. Toujours est-il que cette sugya,
énoncée au nom de R. Yehoshua b. Levi citant Bar Kappara, établit
qu'il existe le-ma'asseh, deRabbanan au moins, un shiur minimal exigé
pour le bittul. Ce shiur lui-même fait l'objet d'un débat :
d'après R. Hiyya b. Abba, il est de 60 fois la quantité de issur,
d'après Rav Assi, il est de 1002.
La
sugya qui suit part de ce débat : face à Rav Dimi, Abayé met
en question cette option rapportée au nom de Rav Assi que le bittul
« de base » serait de 100 : en effet, objecte-t-il,
le shiur de bittul pour teruma est lui aussi de 100 et est présenté
dans la Mishna (Orla 2) comme une humra par rapport au shiur de base.
Voici, très grossièrement résumé, l'objet de la sugya devant
nous. Le texte intégral est le suivant :
Rav Dimi
יתיב
רב דימי וקאמר לה להא שמעתא
Abayé
אמר
ליה אביי וכל איסורין שבתורה במאה והתנן
Mishna Orla 2, 4
למה
אמרו כל המחמץ ומתבל ומדמע להחמיר מין
ומינו להקל ולהחמיר מין ושאינו מינו
Mishna Orla 2, 7 (min be-she-eino mino)
וקתני
סיפא להקל ולהחמיר מין ושאינו מינו כיצד
גריסין שנתבשלו עם העדשים אם יש בהם בנותן
טעם בין יש בהן להעלות במאה ואחד בין אין
בהן להעלות במאה ואחד אסור אין בהן בנותן
טעם בין שיש בהן להעלות במאה ואחד בין אין
בהן להעלות במאה ואחד מותר
Abayé
אין
בהן להעלות במאה ואחד אלא במאי לאו בששים
Rav Dimi
לא
במאה
Abayé
והא
מדרישא במאה הוי סיפא בששים דקתני
Mishna Orla 2, 6 (min be-mino)
רישא
להחמיר מין ומינו כיצד שאור של חטין שנפל
לעיסת חטין ויש בו כדי לחמץ בין יש בו כדי
להעלות במאה ואחד בין אין בו כדי להעלות
במאה ואחד אסור אין בו להעלות במאה ואחד
בין שיש בו כדי לחמץ בין אין בו כדי לחמץ
אסור
Abayé
רישא
וסיפא במאה
Rav Dimi
לא
רישא במאה וחד וסיפא במאה
Abayé
וכי
יש בו כדי לחמץ במאה וחד אמאי לא בטיל
Rav Dimi
אישתיק
Abayé
אמר
ליה דלמא שאני שאור דחימוצו קשה
Rav Dimi
אמר
ליה אדכרתן מילתא דאמר רבי יוסי בר'
חנינא
R. Yossi b. R. Hanina
לא
כל השיעורין שוין שהרי ציר שיעורו קרוב
למאתים דתנן דג טמא צירו אסור רבי יהודה
אומר רביעית בסאתים
Stam kushia
והאמר
רבי יהודה מין במינו לא בטיל
Stam tiruts
שאני
ציר דזיעה בעלמא הוא
Il est important, avant de commencer, de
préciser les shittot d'Abayé que l'on connaît par ailleurs et qui
constituent le contexte de ce débat. Tout d'abord, pour Abayé,
ta'am ke-ikkar deOrayta, ce qu'on apprend de bassar be-halav (cf.
Hullin 108a). Ensuite, min be-mino est déterminé par le ta'am :
batar ta'ama azlinan (AZ 66a). Enfin, dans la sugya de Zeroa'
beshela, Abayé apprend deux dinim différents : d'une part que
même pour R. Yehuda il y a là-bas bittul dans min be-mino, d'autre
part que dans min be-she-eino mino on exige deRabbanan 60
indépendamment de la réalité de la netinat ta'am (cf. Rashi et
Tossefot sur place3).
Le débat entre Abayé et Rav Dimi porte donc
sur ce double shiur de 100. La réponse de Rav Dimi, d'après une
première lecture rapide de la sugya, est de distinguer entre 100
(dans les issurim classiques) et 101 (dans teruma). La maholket entre
Rashi et Tossefot porte sur le sens précis de cette distinction
entre 100 et 101 : pour Rashi, c'est sans compter le issur (ce
qui va bien pour 100 dans les issurim classiques, mais qui demande à
être expliqué pour 101 dans teruma, dans la mesure où la drasha à
partir de « et mikdesho » en Bamidbar 18, 29
implique normalement 1/100 et non 1/101), pour Tossefot, c'est y
compris le issur (donc 1/100 pour teruma, ce qui va bien avec la
drasha, mais 1/99 pour les autres issurim, ce qui n'est pas la
mashma'ut classique de bittul be-shishim et donc de bittul be-mea).
Toujours est-il qu'il faut reconnaître que cette distinction entre
bittul dans 99 et bittul dans 100, ou dans 100 et 101, paraît à
première vue difficile à admettre et ne pas répondre à la kushia
d'Abayé qui semble demander une distinction claire, comme entre 60
et 100. Pour répondre à cette difficulté, peut-être peut-on faire
appel à la logique du Rambam qui (dans dinei k'hal notamment)
explique que le shiur « classique » de 60 est
multiforme : les issurim classiques sont batel dans 60 en sus du
issur, les issurim de rabbanan sont batel dans 60 dont le issur
(exemple : le k'hal), les issurim qui présentent un aspect de
beriya sont batel dans 1 de plus, donc dans 61 pour un œuf contenant
un poussin, et dans 60 (59+1) pour une beriya deRabbanan comme la
graisse du gid ha-nashe. Tout cela, explique le Rambam, fait partie
de la notion même de shishim, qui est deRabbanan, et que les
hakhamim ont modulé en fonction des différents aspects du issur
afin de créer des hekerim, des indices distinctifs. On pourrait
imaginer ici, dans la logique que défend Rav Dimi, que le 100 (ou
101) de teruma serait un simple heker par rapport au 99 (ou 100) des
autres issurim.
Prenons maintenant Rashi. La grande difficulté
dont il faut tenir compte dans son approche de la sugya est le fait
qu'il considère normalement que la halakha suit Rabbi Yehuda, à
savoir qu'il n'y a pas de bittul dans min be-mino. Or ici la Mishna,
si elle postule bien que le shiur du bittul dans min be-mino est
supérieur à celui de min be-she-eino mino, suppose clairement qu'il
y a bittul dans min be-mino – et il paraît clair que R. Yehuda est
d'accord avec cette mishna, et au contraire peu probable qu'il réfute
totalement la notion de bittul teruma. De plus, si l'on se réfère
au débat Rashi/Tosfot en Yevamot 82a, on voit que Rashi considère
que pour R. Yehuda min be-mino lo batel même dans yavesh be-yavesh,
tandis que Tossefot considère que c'est uniquement dans lah be-lah.
Rashi commence par préciser que la Mishna,
quand elle parle de mehamets,
metavel et medamea',
parle de trois cas, c'est-à-dire (contrairement au Rambam
dans le Peirush ha-Mishna) que medamea'
n'est pas juste ici un terme générique qui décrirait la
conséquence de mehamets et
metavel, c'est-à-dire
de donner à l'ensemble du mélange le statut de teruma (c'est le
sens de medamea').
Surtout, il précise ici que le cas de medamea'
est celui où on a cuit ensemble la teruma et le reste, autrement dit
qu'il s'agit davka d'un cas de lah be-lah. Pour l'instant, la
nécessité de cette hava amina n'apparaît pas du tout, sauf à
vouloir forcer le parallélisme entre mehamets,
metavel et medamea',
dont les deux premiers ne font effectivement sens que dans lah
be-lah.
Rashi précise
ensuite quea dans
min be-she-eino mino, la configuration est qu'on a goûté le mélange
et qu'il subsiste un goût au-delà de 100 – goût forcément très
faible, dès lors ; et pourtant la Mishna interdit le mélange.
Il semble que c'est de là que Rashi tire sa notion qu'un taam
perceptible interdit même au-delà de 60. C'est dans ce contexte de
min be-she-eino mino qu'il choisit de développer la source
midrashique du shiur de 100 pour teruma, c'est-à-dire le Sifré
sur Bamidbar 18, 29
(Kora'h piska §,
siman 121). Le verset,
qui parle de terumat maaser, qui est identique au maaser min
ha-maaser et qui vaut donc 1/100 de la récolte (en fait
1/99,9999..., puisqu'un seul grain suffit en théorie pour la teruma
gedola, prélevée avant le maaser rishon4),
qualifie cette terumat maaser de kol 'helbo et mikdesho
mimenu, « la meilleure
partie, celle qui le sanctifie ». Les Hakhamim se basent sur ce
verset pour dire que si ce centième retombe dans le grain d'où
(mimenu) il a été
prélevé, il le sanctifie (mikdesho,
lu mekadesho) ;
autrement dit, si le 1 tombe dans les 99 restants, il les
« sanctifie », s'il tombe dans plus (100 voire, selon un
autre avis, 99+ε),
il ne les sanctifie pas. En réalité, cela signifie que si elle
tombe dans 99 ou moins, cette teruma donne à l'ensemble le statut de
teruma, si elle tombe dans plus, elle ne change pas le statut hullin
et il faut juste prélever la quantité équivalente à la teruma
initiale pour la donner au cohen afin que celui-ci ne soit pas lésé
financièrement. Si Rashi semble au début présenter la drasha comme
une drasha gemura avant de dire mi-kan
amru,
ce qui signifie qu'il s'agit d'une simple asmakhta
et
donc d'une loi deRabbanan, il ne fait en fait que reprendre la
formulation du Sifré
en la commentant. Et on comprend bien qu'il s'agit d'un din
uniquement deRabbanan puisque si cette logique était deOraïta elle
serait forcément différente : d'une part on pourrait l'étendre
à la teruma gedola et dire que de même qu'un seul grain suffit
comme teruma gedola pour tout un silo, de même un seul grain de
teruma suffit à interdire tout un silo (autrement dit qu'il n'y
aurait pas de bittul teruma possible), d'une part il faudrait dire
qu'un grain de teruma qui tombe dans un seau de hullin restitue ce
dernier au statut de tevel, et non pas, comme c'est le cas ici, qu'il
lui donne le statut de teruma.
Rashi
explique ensuite que la mishna veut dire qu'en cas de netinat taam
dans min be-she-eino mino, le taam n'est pas batel (taama
lo batil)
même si, selon le din de bittul teruma be-mea, le guf ha-issur est
batel. Or cela est un grand hiddush : il signifie qu'a priori
pour Rashi le shiur de 100 pour le bittul teruma est valable aussi
bien dans min be-she-eino mino que dans min be-mino, ce qu'il n'est
pas du tout le pshat apparent de la mishna. On pourrait objecter
qu'il s'agit d'une lecture forcée de Rashi, qu'il amène juste cette
drasha de bittul teruma ici et non dans min be-mino uniquement du
fait qu'Abayé lui-même, dans sa démonstration, a rapporté la
seifa de la Mishna, qui parle de min be-she-eino mino, avant la
reisha, qui parle de min be-mino.
Mais
il nous semble que notre lecture est rendue nécessaire par le Rashi
suivant qui explicite la raison pour laquelle il y a bittul dans min
be-she-eino mino quand il n'y a pas de netinat taam : דכי
בעינן אחד ומאה היכא דאיסורא בעיניה הוא
כגון חטין בחטין או כל דבר שלא נתבשל,
« on n'exige que le heter soit cent fois supérieur au issur
uniquement quand le issur subsiste sous sa forme initiale [même si,
évidemment, on ne peut plus le distinguer, sinon il n'y aurait pas
de bittul] : par exemple, du froment mélangé à du froment, ou
toute chose qui n'a pas été cuite ». Kol
davar she-lo nitbashel
renvoie à yavesh be-yavesh ; hitin
be-hitin
renvoie à min be-mino, et si Rashi mentionne les deux, c'est que
l'un n'est pas inclus dans l'autre. Autrement dit, on exige bittul
be-mea dans yavesh be-yavesh, même dans min be-she-eino mino ;
et on exige bittul be-mea dans min be-mino, que ce soit dans lah
be-lah ou dans yavesh be-yavesh.
Cela
pose plusieurs problèmes par rapport à la compréhension naïve de
bittul teruma be-mea qui, aurait-on pu croire, ne s'appliquait qu'à
min be-mino. D'une part, pour Rashi, la question n'est pas min
be-mino ou min be-she-eino mino mais est-ce que le issur est be-eineh
(sous sa forme initiale) ou non. D'autre part, dès lors que Rashi
donne comme deux manifestations distinctes de be-eineh yavesh
be-yavesh et min be-mino, cela signifie que dans min be-mino on est
toujours be-eineh. Cela demande à être expliqué dans la mesure où,
a priori, Rashi considère au contraire qu'un issur nimuah, qui a
perdu sa forme initiale pour se fondre dans la masse du plat, ne
s'appelle même plus mamasho shel issur mais seulement taam (voir
Avoda Zara 67b en haut). Le Rosh Yossef (sur Hullin ici) peut, nous
semble-t-il, nous éclairer ici. Il explique que (selon la conclusion
que Tossefot vont tirer de Rashi par la suite), pour R. Yehuda même
dans min be-mino un taam sans mamashut est batel. Comment concilier
cela avec le fait que le modèle de R. Yehuda est un mélange de
liquides, où par définition le mélange est total et qu'on devrait
avoir le même din que nimuah, donc un din de taam sans mamashut pour
Rashi ? Il répond qu'un issur solide qui est nimuah perd son
statut de mamashut parce qu'il a vu sa forme dégradée, ce qui n'est
pas le cas d'un issur liquide dont la forme n'a pas été tant
dégradée5.
Mais, pourrait-on alors prolonger le raisonnement, cette « kula »
du issur nimuah n'est valable que dans min be-she-eino mino dans la
mesure où le issur s'est assimilé à un élément hétérogène ;
dans le cas de min be-mino, même un issur nimuah ne change pas de
catégorie (ce que Rashi appelle hitin
be-hitin :
avant, c'était du froment, maintenant, c'est toujours du froment) et
serait donc considéré comme be-eineh même dans lah be-lah.
Ensuite,
si l'on fait intervenir le fait que pour Rashi Abayé est possek
comme R. Yehuda que min be-mino lo batel, alors on a beaucoup de mal
à comprendre comment s'applique cette mishna de bittul be-mea dans
min be-mino selon Abayé (à dire vrai, la solution de facilité
serait de dire que cette mishna ne va pas selon R. Yehuda ; mais
Abayé est censé être possek selon R. Yehuda, et pourtant cette
objection possible n'intervient nulle part dans la sugya ; on
est donc obligé de se plier à une autre logique). En effet, ainsi
que l'explique le Ran (sur Nedarim), la raison du non-bittul est que
les deux éléments sont presque identique et se renforcent au lieu
de s'annuler. Or, on l'a vu, pour Rashi, il semble que ce soit une
logique similaire qui fait que le din d'issur nimuah ne s'applique
pas dans min be-mino ; autrement dit, la règle de R. Yehuda est
valable en premier lieu dans yavesh be-yavesh, et par extension dans
lah be-lah. Mais alors dans quel cas y aura-t-il, pour R. Yehuda,
bittul teruma be-mea dans min be-mino ? Dans yavesh be-yavesh,
apparemment jamais, puisque min be-mino lo batel en premier lieu dans
yavesh be-yavesh et qu'on ne peut pas retirer le issur (puisque si on
peut le retirer dans yavesh be-yavesh c'est qu'il est identifiable et
donc il n'y a évidemment bittul pour personne tant qu'on ne l'a pas
retiré, et quand on l'a retiré il est évident qu'il n'y a plus
aucun problème puisqu'il n'y a pas de résidu de type netinat taam
ou autre). Dans lah be-lah, tant que le guf ha-issur est présent, il
n'est pas considéré comme nimuah et il ne saurait donc non plus
être batel. C'est uniquement dans un cas de lah be-lah où on aurait
retiré le issur mais qu'il resterait quand même un taam (ou quelque
chose d'équivalent, comme mehamets) que s'appliquerait le bittul
be-mea. Et c'est, effectivement, à peu près la conclusion que
Tossefot va tirer de shittat Rashi.
Cela
supposerait que pour R. Yehuda dans min be-mino le taam seul est bien
batel, ce qui serait compatible avec la shitta de Rashi pour qui taam
ke-ikkar est deRabbanan, mais pas avec la shitta d'Abayé pour lequel
taam ke-ikkar est bien deOrayta (Hullin 108a) – sauf à distinguer
le taamo ve-lo mamasho d'un issur nimuah, qui serait deOrayta, et un
pur taam, qui serait deRabbanan, et cela, nous le verrons peut-être
à la lumière de la fin de la sugya, avec tsir dagim. On pourrait
également avancer que la règle de R. Yehuda ne s'applique pas pour
un issur deRabbanan et postuler que la Mishna et toute notre sugya
discute implicitement de teruma bi-zman ha-ze qui, selon certains,
est deRabbanan (mahloket Reish Lakish/ R. Yohanan en Yevamot 81a, qui
se poursuit jusque chez le Mehaber/Rama YD 331, 2) ; mais, pour
être franc, rien ne le suggère nulle part ni dans la sugya, ni dans
les mefarshim6.
1cf.
le Rosh Yossef sur place pour des lectures alternatives, notamment
où l'on considèrerait que le rotev serait min be-she-eino mino par
rapport à la viande (sur la base de Shut Rashba I, 272 à la fin),
ou plus largement en définissant le min d'après le shem, à
l'exclusion du min « naturel » (voir ce qu'on a écrit
plus haut dans le Pri Hadash à ce sujet).
2On
se reportera au Ran sur place pour les inférences pratiques de ces
deux calculs, notamment la fonction des éléments « neutres »
(os, écorces) dans le calcul du bittul.
3
Dans la sugya de te'imat kfeila et dans la sugya présente, il faut
noter une grande différence entre Rashi et Tossefot. Pour Rashi, on
exige de toute façon 60 et il faut lekhthila faire goûter pour
vérifier qu'il n'y a plus de taam ; pour Tossefot, un taam
perceptible au-delà de 60 ne s'appelle plus un taam gamur mais un
taam kol she-hu et ne sera pas interdit deOrayta même pour
quelqu'un qui tient, comme Abayé, que taam ke-ikkar deOrayta ;
et même en deçà de 60, s'il n'y a pas de taam perceptible, ce
serait muttar ; ce n'est que deRabbanan qu'on exige teimat
kfeila ou, à défaut, 60.
4Sauf
si on met l'accent sur le cas particulier où le lévi a acquis le
maaser rishon alors que le blé était encore en épis avant que le
cohen ait pris la teruma gedola, auquel cas le maaser rishon déjà
prélevé est patur de teruma gedola et la terumat maaser vaut
exactement 1/100 (ce n'est plus vrai quand le grain est déjà
lissé). Cf. Yerushalmi Halla 1, 3.
5Peut-être
peut-on rapprocher cela de ce que dit le Rambam dans le Moreh
Nevukhim (I, 69): אם
נפסדה צורתו נפסדה הוויתו ובטל .
6On
pourrait cependant comprendre que pour R. Yehuda sa règle ne
s'appliquerait pas pour un issur deRabbanan, même si on la comprend
comme le Ran. Certes, selon la logique du Ran, le fait que ce ne
soit qu'un issur de Rabbanan devrait remettre en cause l'efficacité
du bittul même pour les hakhamim, a fortiori pour R. Yehuda. Et, in
hakhi nami, on pourrait dire qu'il n'y a pas de bittul d'un issur
deRabbanan dans min be-mino ni pour R. Yehuda, ni pour les Hakhamim,
et on pourrait cependant imaginer un pseudo-bittul : en fait,
puisque deOrayta le issur n'est pas vraiment assur, il n'y a pas de
bittul (dans cette shita du Ran), mais les hakhamim n'ont été
gozer un issur que quand l'objet visé n'est pas mélangé à une
quantité telle qu'il serait batel s'il était interdit deOrayta :
donc en-deçà du shiur il n'est pas batel et il est assur
deRabbanan, au-delà du shiur il n'est toujours pas batel mais il
n'est pas non plus assur. Ceci a clairement de grandes nafka minot,
mais pas plus que la notion selon laquelle heter be-heter lo batel.
cf. Pri Megadim, petiha le-hilkhot taarovet helek 2, perek 1.
jeudi 12 juillet 2012
mardi 3 juillet 2012
Mehamets et Metavel, suite
(Comme prévu, j'ai avancé sur le Pri Hadash afin qu'on puisse repasser sur la Gemara.)
La signification apparente de la Mishna dans Orla ainsi que du Rambam (hilkhot maakhalot assurot 16) est que mehamets et metavel ne sont osserim que dans min be-mino davka. Pour autant, le Pri Hadash entend démontrer que mehamets (et par voie de conséquence metavel, puisque les deux vont toujours ensemble) est forcément osser même dans mbsem. La raison en est que d’une part on trouve clairement la notion de mehamets même dans mbsem, avec un agent levant à base de pomme (Terumot 10, 2, repris par le Rambam), d’autre part parce que mehamets interdit du fait que, selon le langage du Rambam, nikeret pe’ulato, « son effet est perceptible. Autrement dit la logique est la même que pour ma’amid, un agent qui apporte une contribution essentielle à la forme présente de l’objet.
Sur la notion de ma’amid même il importe d’apporter plusieurs précisions annexes. Il existe une variété de shittot. Essentiellement, la notion de ma’amid apparaît dans la fabrication du fromage : il s’agit de l’agent qui va faire cailler le lait et va ainsi le faire passer d’une forme liquide à une forme solide. Généralement cet agent est un extrait de panse animale, qui contient les enzymes nécessaires à cette fermentation (nous préparons bsd une synthèse des teshuvot essentielles sur cette question). La Mishna dans Hullin (116a) affirme qu’un ma’amid issu de viande cachère ne pose un problème de bassar be-halav que dans la mesure où il y a netitat ta’am.
La première shitta sur cette notion de ma’amid dans bassar be-halav est celle du Ri Migash, reprise par le Ran et par la suite par le Shul’han ‘Arukh. Elle explique que la nature de ma’amid de la viande cachère empêche son bittul mais que la coprésence de bassar et de halav n’est pas une condition suffisante pour former l’objet interdit bassar be-halav : encore faut-il que soit remplir le critère de netinat ta’am, c’est-à-dire d’une proportion supérieure ou égale à 1/60e (derekh bishul assera Torah, Hullin 108a). Par contre, si le ma’amid est en lui-même interdit (de l’estomac de bête non cachère par exemple), alors son non-bittul interdit de facto tout le mélange.
La deuxième shitta, attribuée à Rabbeinu Tam (Sefer ha-Yashar Hiddushim 474), semble induire qu’il n’y a jamais de véritable problème de ma’amid mais seulement de netinat taam.
La troisième shitta, attribuée au Raavad et reprise par le Ramban, est que dans le cas de maamid taref il n’est pas nécessaire d’avoir recours à la notion de maamid pour interdire, par exemple dans le cas du fromage fabriqué par un non-Juif : en effet, explique cette shitta, quand il s’agit d’aliments confectionnés par des non-Juifs, on ne peut pas se baser sur la te’ima (test de goût en conditions réelles) pour permettre au cas par cas si le taam n’est pas perceptible. La conséquence, dont l’impact sur les questions de cacherout contemporaine nous paraît fondamentale, est que dans le cas de produits alimentaires fabriqués par des non-Juifs les règles de bittul taam sont peut-être plus strictes que dans les cas classiques. Toujours est-il que cette troisième shitta, si elle se dispense du ressort de maamid pour interdire le fromage des non-Juifs (on considère simplement que tout élément taref inséré volontairement par un non-Juif ne saurait être considéré comme batel, qu’il soit ou non maamid effectivement), n’en nie pas pour autant la pertinence dans d’autres cas.
La troisième shitta, qui s’oppose diamétralement à la première, est celle rapportée par le Mordekhai (Hullin, par. 733) qui considère que la netinat taam en jeu dans la définition de bassar be-halav n’est elle-même qu’une modalité de la coprésence du bassar et du halav : coprésence qui est généralement obtenue du fait de la netinat taam mais qui peut aussi bien être obtenue par une haamada : un maamid crée donc du bassar be-halav au même titre que la netinat taam.
Ces quatre shittot ne portent que sur la notion de maamid dans bassar be-halav ; mais toutes sont d’accord (en tout cas la première et la dernière, et assez clairement la troisième – la deuxième n’est pas assez explicite) pour reconnaître que quand le maamid est en lui-même interdit il existe bien cette notion de issur maamid, comme la Mishna elle-même l’avance (Orla 1, 7). Or non seulement il est clair que mehamets ne saurait être raisonnablement distingué de maamid en terme de pe’ula, mais de plus même ceux qui défendraient la shitta selon laquelle il n’y a pas de issur maamid devraient admettre la notion de issur mehamets à cause de ce que dit la Gemara, shani seor she-himutso kasheh (Hullin 99b), « le cas du levain est différent parce que son pouvoir levant est puissant ». Toutes ces raisons suffisent au Pri Hadash pour conclure que le issur mehamets ne saurait se limiter au cas de min be-mino.
On peut encore, explique-t-il, ramener un autre élément. Le issur de metavel ne fait véritablement sens que dans mbsem : dans mbm, l’effet gustatif des tavlin n’est absolument pas distinguable. Metavel n’interdit donc dans mbm qu’à mesure qu’il est susceptible d’interdire dans mbsem. Donc metavel ne peut pas être valable que dans mbm, et dans la mesure où metavel et mehamets sont liés, alors mehamets non plus.
Tout cela semble bien fondé, mais est quand même difficilement réconciliable avec le pshat de la Mishna et surtout du Rambam (perek 16). Autant on peut défendre que dans la Mishna (Orla 2, 7) la notion de netinat taam inclut aussi mehamets en tant que tel, c’est-à-dire en tant que pe’ula, et pas seulement taam au sens strict – et le Pri Hadash propose une lecture cohérente de la Mishna dans ce sens –, autant quand le Rambam (16, 14) semble clairement exiger la condition de min be-mino pour illustrer le issur de mehamets. Le texte s’énonce ainsi :
תבלין שהם שניים או שלושה שמות ממין אחד, או שלושה מינין משם אחד--מצטרפין לתבל ולאסור, וכן לחמץ. כיצד: שאור של חיטין ושאור של שעורין--הואיל ושם שאור אחד הוא--אינן כמין ושאינו מינו, אלא הרי הן כמין אחד; ומצטרפין לשער בהן כדי לחמץ בעיסה של חיטין, אם היה טעם שניהן טעם חיטין, או כדי לחמץ בעיסה של שעורין, אם היה טעם שניהן טעם שעורין.
Autrement dit, le tsiruf des issurim se fait au niveau du shem, c'est-à-dire, comme le Pri Hadash lui-même l'a expliqué, au niveau de la pe'ula : l'un comme l'autre sont seor. Ensuite, pour que ce seor mixte interdise la pâte, encore faut-il, explique le Rambam, qu'il soit de même goût qu'elle. La raison pour laquelle ce critère est requis est clair : pour que le seor et la pâte soient quand même considérés comme min be-mino, bien qu'ils ne partagent pas le même shem (on notera ici que le Rambam considère qu'un levain de froment et une pâte de froment ont en commun le goût de froment, alors que le Ramban tenait, lui, que le goût du levain était fondamentalement différent de celui d'une pâte de même origine. Leur définition de ce qui constitue un goût commun est donc différente : pour le Ramban, c'est le goût constaté qui est pris en compte en tant que tel, alors que pour le Rambam, le goût, dans le présent cas à tout le moins, fonctionne essentiellement comme le signe d'une origine commune). Reprenons. Le siman 16, 14 en question porte avant tout sur le tseruf d'issurim, et seulement incidemment sur le issur de mehamets. Le Rambam pouvait s'arrêter à l'explication de tseruf des seorim. S'il précise qu'il est encore nécessaire de déterminer le min du seor en regard du min de la pâte, s'est bien parce qu'il y a une différence entre min be-mino et min be-she-eino mino dans un tel cas. Au demeurant, le Pri Hadash reconnaît qu'il n'a pas de solution satisfaisante pour cette halakha du Rambam dans le cadre de sa shitta.
En retour, il est vrai que la shitta du Minhat Kohen que repousse le Pri Hadash, à savoir qu'effectivement, mehamets et metavel n'est un issur distinct de noten taam au sens strict que dans min be-mino est difficile à défendre, tant sur le plan de la svara que sur celui des nombreuses mishnayot et autres sources ramenées par le Pri Hadash. C'est cette difficulté qui amène les mefarshim ultérieurs à proposer des solutions originales. Le Rosh Yossef en particulier imagine des configurations où la définition de min be-mino est autonomisée par rapport à celle de la proximité de taam. Ainsi, sur la base du Tossefot Beitsa 39b, il explique que tout ingrédient ajouté volontairement à un mélange et qui en devient un élément essentiel de sa définition rentre dans la catégorie de min be-mino, à l'instar de l'eau et du sel par rapport à la farine du pain. Cette explication se heurte cependant à plusieurs difficultés, que le Rosh Yossef relève d'ailleurs pour la plupart lui-même : le Rambam, s'il est vrai qu'il définit (dans son peirush ha-Mishna) un metavel comme fonction de l'intention de la personne, ce n'est que le-humra, car il parle aussi du issur de mehamets quand le levain est tombé par erreur ; à l'inverse, si l'on maintient qu'un levain tombé par erreur n'est pas osser au titre de mehamets, cela serait valable même dans le cas où sa pe'ula serait perceptible, et au titre de la svara du Pri Hadash on ne voit pas pourquoi on serait mekil dans un tel cas – sauf à soutenir que le issur mehamets est un pur issur deRabbanan et qu'ils n'ont été gozerim que dans min be-mino davka. Mais dans ce cas-là, selon quelle logique ? Les mêmes remarques peuvent être opposées à une autre solution qu'avance le Rosh Yossef, à savoir qu'il faut lire le min be-mino de la Mishna et du Rambam selon la shitta de batar shema azlinan. On expliquerait ainsi, en particulier, comment il peut y avoir un issur de metavel dans min be-mino (cf. d'ailleurs le Hazon Ish taarovet 27, 6 qui ramène à ce propos le cas théorique de piments à divers degrés de maturité). Cela nous paraît cependant difficilement tenable dans la mesure où cela ne répond toujours pas à la kushia fondamentale du Pri Hadash, à savoir pourquoi on serait mekil dans un min be-she-eino mino quel qu'il soit (afilo lo shave lo be-taama ve-lo bi-shma) dans la mesure où pe'ulato nikeret, comme on le voit pourtant dès la Mishna à propos d'un agent levant issu de fruits ; de plus, comme le Rosh Yossef le note encore lui-même, la sugya de mehamets dans Hullin 99b implique Abayé. Il est donc indispensable d'être capable d'expliquer la Mishna aussi selon sa shitta qui veut que batar taama azlinan.
Beezrat Hashem, l'analyse de Rashi et Tossefot sur cette sugya, complétée par une analyse très pénétrante du Lev Arieh, nous permettra de démêler un peu cet écheveau.
La signification apparente de la Mishna dans Orla ainsi que du Rambam (hilkhot maakhalot assurot 16) est que mehamets et metavel ne sont osserim que dans min be-mino davka. Pour autant, le Pri Hadash entend démontrer que mehamets (et par voie de conséquence metavel, puisque les deux vont toujours ensemble) est forcément osser même dans mbsem. La raison en est que d’une part on trouve clairement la notion de mehamets même dans mbsem, avec un agent levant à base de pomme (Terumot 10, 2, repris par le Rambam), d’autre part parce que mehamets interdit du fait que, selon le langage du Rambam, nikeret pe’ulato, « son effet est perceptible. Autrement dit la logique est la même que pour ma’amid, un agent qui apporte une contribution essentielle à la forme présente de l’objet.
Sur la notion de ma’amid même il importe d’apporter plusieurs précisions annexes. Il existe une variété de shittot. Essentiellement, la notion de ma’amid apparaît dans la fabrication du fromage : il s’agit de l’agent qui va faire cailler le lait et va ainsi le faire passer d’une forme liquide à une forme solide. Généralement cet agent est un extrait de panse animale, qui contient les enzymes nécessaires à cette fermentation (nous préparons bsd une synthèse des teshuvot essentielles sur cette question). La Mishna dans Hullin (116a) affirme qu’un ma’amid issu de viande cachère ne pose un problème de bassar be-halav que dans la mesure où il y a netitat ta’am.
La première shitta sur cette notion de ma’amid dans bassar be-halav est celle du Ri Migash, reprise par le Ran et par la suite par le Shul’han ‘Arukh. Elle explique que la nature de ma’amid de la viande cachère empêche son bittul mais que la coprésence de bassar et de halav n’est pas une condition suffisante pour former l’objet interdit bassar be-halav : encore faut-il que soit remplir le critère de netinat ta’am, c’est-à-dire d’une proportion supérieure ou égale à 1/60e (derekh bishul assera Torah, Hullin 108a). Par contre, si le ma’amid est en lui-même interdit (de l’estomac de bête non cachère par exemple), alors son non-bittul interdit de facto tout le mélange.
La deuxième shitta, attribuée à Rabbeinu Tam (Sefer ha-Yashar Hiddushim 474), semble induire qu’il n’y a jamais de véritable problème de ma’amid mais seulement de netinat taam.
La troisième shitta, attribuée au Raavad et reprise par le Ramban, est que dans le cas de maamid taref il n’est pas nécessaire d’avoir recours à la notion de maamid pour interdire, par exemple dans le cas du fromage fabriqué par un non-Juif : en effet, explique cette shitta, quand il s’agit d’aliments confectionnés par des non-Juifs, on ne peut pas se baser sur la te’ima (test de goût en conditions réelles) pour permettre au cas par cas si le taam n’est pas perceptible. La conséquence, dont l’impact sur les questions de cacherout contemporaine nous paraît fondamentale, est que dans le cas de produits alimentaires fabriqués par des non-Juifs les règles de bittul taam sont peut-être plus strictes que dans les cas classiques. Toujours est-il que cette troisième shitta, si elle se dispense du ressort de maamid pour interdire le fromage des non-Juifs (on considère simplement que tout élément taref inséré volontairement par un non-Juif ne saurait être considéré comme batel, qu’il soit ou non maamid effectivement), n’en nie pas pour autant la pertinence dans d’autres cas.
La troisième shitta, qui s’oppose diamétralement à la première, est celle rapportée par le Mordekhai (Hullin, par. 733) qui considère que la netinat taam en jeu dans la définition de bassar be-halav n’est elle-même qu’une modalité de la coprésence du bassar et du halav : coprésence qui est généralement obtenue du fait de la netinat taam mais qui peut aussi bien être obtenue par une haamada : un maamid crée donc du bassar be-halav au même titre que la netinat taam.
Ces quatre shittot ne portent que sur la notion de maamid dans bassar be-halav ; mais toutes sont d’accord (en tout cas la première et la dernière, et assez clairement la troisième – la deuxième n’est pas assez explicite) pour reconnaître que quand le maamid est en lui-même interdit il existe bien cette notion de issur maamid, comme la Mishna elle-même l’avance (Orla 1, 7). Or non seulement il est clair que mehamets ne saurait être raisonnablement distingué de maamid en terme de pe’ula, mais de plus même ceux qui défendraient la shitta selon laquelle il n’y a pas de issur maamid devraient admettre la notion de issur mehamets à cause de ce que dit la Gemara, shani seor she-himutso kasheh (Hullin 99b), « le cas du levain est différent parce que son pouvoir levant est puissant ». Toutes ces raisons suffisent au Pri Hadash pour conclure que le issur mehamets ne saurait se limiter au cas de min be-mino.
On peut encore, explique-t-il, ramener un autre élément. Le issur de metavel ne fait véritablement sens que dans mbsem : dans mbm, l’effet gustatif des tavlin n’est absolument pas distinguable. Metavel n’interdit donc dans mbm qu’à mesure qu’il est susceptible d’interdire dans mbsem. Donc metavel ne peut pas être valable que dans mbm, et dans la mesure où metavel et mehamets sont liés, alors mehamets non plus.
Tout cela semble bien fondé, mais est quand même difficilement réconciliable avec le pshat de la Mishna et surtout du Rambam (perek 16). Autant on peut défendre que dans la Mishna (Orla 2, 7) la notion de netinat taam inclut aussi mehamets en tant que tel, c’est-à-dire en tant que pe’ula, et pas seulement taam au sens strict – et le Pri Hadash propose une lecture cohérente de la Mishna dans ce sens –, autant quand le Rambam (16, 14) semble clairement exiger la condition de min be-mino pour illustrer le issur de mehamets. Le texte s’énonce ainsi :
תבלין שהם שניים או שלושה שמות ממין אחד, או שלושה מינין משם אחד--מצטרפין לתבל ולאסור, וכן לחמץ. כיצד: שאור של חיטין ושאור של שעורין--הואיל ושם שאור אחד הוא--אינן כמין ושאינו מינו, אלא הרי הן כמין אחד; ומצטרפין לשער בהן כדי לחמץ בעיסה של חיטין, אם היה טעם שניהן טעם חיטין, או כדי לחמץ בעיסה של שעורין, אם היה טעם שניהן טעם שעורין.
Autrement dit, le tsiruf des issurim se fait au niveau du shem, c'est-à-dire, comme le Pri Hadash lui-même l'a expliqué, au niveau de la pe'ula : l'un comme l'autre sont seor. Ensuite, pour que ce seor mixte interdise la pâte, encore faut-il, explique le Rambam, qu'il soit de même goût qu'elle. La raison pour laquelle ce critère est requis est clair : pour que le seor et la pâte soient quand même considérés comme min be-mino, bien qu'ils ne partagent pas le même shem (on notera ici que le Rambam considère qu'un levain de froment et une pâte de froment ont en commun le goût de froment, alors que le Ramban tenait, lui, que le goût du levain était fondamentalement différent de celui d'une pâte de même origine. Leur définition de ce qui constitue un goût commun est donc différente : pour le Ramban, c'est le goût constaté qui est pris en compte en tant que tel, alors que pour le Rambam, le goût, dans le présent cas à tout le moins, fonctionne essentiellement comme le signe d'une origine commune). Reprenons. Le siman 16, 14 en question porte avant tout sur le tseruf d'issurim, et seulement incidemment sur le issur de mehamets. Le Rambam pouvait s'arrêter à l'explication de tseruf des seorim. S'il précise qu'il est encore nécessaire de déterminer le min du seor en regard du min de la pâte, s'est bien parce qu'il y a une différence entre min be-mino et min be-she-eino mino dans un tel cas. Au demeurant, le Pri Hadash reconnaît qu'il n'a pas de solution satisfaisante pour cette halakha du Rambam dans le cadre de sa shitta.
En retour, il est vrai que la shitta du Minhat Kohen que repousse le Pri Hadash, à savoir qu'effectivement, mehamets et metavel n'est un issur distinct de noten taam au sens strict que dans min be-mino est difficile à défendre, tant sur le plan de la svara que sur celui des nombreuses mishnayot et autres sources ramenées par le Pri Hadash. C'est cette difficulté qui amène les mefarshim ultérieurs à proposer des solutions originales. Le Rosh Yossef en particulier imagine des configurations où la définition de min be-mino est autonomisée par rapport à celle de la proximité de taam. Ainsi, sur la base du Tossefot Beitsa 39b, il explique que tout ingrédient ajouté volontairement à un mélange et qui en devient un élément essentiel de sa définition rentre dans la catégorie de min be-mino, à l'instar de l'eau et du sel par rapport à la farine du pain. Cette explication se heurte cependant à plusieurs difficultés, que le Rosh Yossef relève d'ailleurs pour la plupart lui-même : le Rambam, s'il est vrai qu'il définit (dans son peirush ha-Mishna) un metavel comme fonction de l'intention de la personne, ce n'est que le-humra, car il parle aussi du issur de mehamets quand le levain est tombé par erreur ; à l'inverse, si l'on maintient qu'un levain tombé par erreur n'est pas osser au titre de mehamets, cela serait valable même dans le cas où sa pe'ula serait perceptible, et au titre de la svara du Pri Hadash on ne voit pas pourquoi on serait mekil dans un tel cas – sauf à soutenir que le issur mehamets est un pur issur deRabbanan et qu'ils n'ont été gozerim que dans min be-mino davka. Mais dans ce cas-là, selon quelle logique ? Les mêmes remarques peuvent être opposées à une autre solution qu'avance le Rosh Yossef, à savoir qu'il faut lire le min be-mino de la Mishna et du Rambam selon la shitta de batar shema azlinan. On expliquerait ainsi, en particulier, comment il peut y avoir un issur de metavel dans min be-mino (cf. d'ailleurs le Hazon Ish taarovet 27, 6 qui ramène à ce propos le cas théorique de piments à divers degrés de maturité). Cela nous paraît cependant difficilement tenable dans la mesure où cela ne répond toujours pas à la kushia fondamentale du Pri Hadash, à savoir pourquoi on serait mekil dans un min be-she-eino mino quel qu'il soit (afilo lo shave lo be-taama ve-lo bi-shma) dans la mesure où pe'ulato nikeret, comme on le voit pourtant dès la Mishna à propos d'un agent levant issu de fruits ; de plus, comme le Rosh Yossef le note encore lui-même, la sugya de mehamets dans Hullin 99b implique Abayé. Il est donc indispensable d'être capable d'expliquer la Mishna aussi selon sa shitta qui veut que batar taama azlinan.
Beezrat Hashem, l'analyse de Rashi et Tossefot sur cette sugya, complétée par une analyse très pénétrante du Lev Arieh, nous permettra de démêler un peu cet écheveau.
mardi 19 juin 2012
Mehamets et Metavel
Suite du Pri Hadash 98, 7 : dinei mehamets u-metavel, retour à la sugya Hullin 99b.
lundi 11 juin 2012
Fin de l'analyse de AZ 66a
Reste
maintenant, pour finir l’analyse de la maholket entre Rambam et Raavad sur la
sugya de shemot tavlin, à comprendre la réapparition soudaine de la définition
de shem comme shem issur dans Rambam (14, 6) et le fait que Raavad remarque, à
partir du memra dans le Yerushalmi parallèle à notre beraïta de Hezekia, que le
shem issur seul n’est pas suffisant pour le tsiruf et qu’on requiert en sus le
critère de taam. Or cela est étonnant dans la mesure où, sur ce point-là, on
avait jusque là plus ou moins identifié les shitot de Rambam et de Rashi d’une
part, de Raavad et de Tossefot d’autre part : à savoir pour le premier
groupe que si, dans la mishna comme chez Rava, shem signifiait shem mamash, la
notion de shem issur n’intervenait pas, pas plus que le taam d’ailleurs ;
et, pour le second groupe, que shem dans la mishna signifiait shem issur
(indépendamment de Rava).
Le Pri Hadash
explique alors que Rambam ne revient pas sur sa lecture première exposé plus
tôt, mais qu’il apporte un nouveau hiddush selon lequel shem issur s’appelle aussi
shem, cette appellation n’étant pas limitée à shem mamash. C’est d’ailleurs la
mahloket entre Rabbanan et R. Shimon au début du deuxième perek de Orla. Ce que
dit Rambam – et Rashi possiblement aussi, ce qui serait une réponse à Tossefot
– c’est que shem signifie avant tout shem mamash : c’est ce que l’on
apprend de shemot tavlin et de Rava. Mais shem issur, même si cela constitue un
degré en dessous de shem mamash, est aussi un critère de shem suffisant même
pour R. Shimon, ce qu’enseigne la première mishna du deuxième perek de Orla
comprise par le Yerushalmi.
Prenons
maintenant le point de vue de Raavad, qui réintroduit Hezekia. On se rappelle
que Tossefot réintroduisait Hezekia, c’est-à-dire taam, comme critère valide
uniquement selon R. Meir, ce qui, selon le Pri Hadash, mène forcément à la
conclusion que pour Tossefot la halakha est comme R. Meir. Mais on ne peut pas
affirmer la même chose pour Raavad puisque, quand Rambam (14, 4) est possek que
la halakha ne suit pas R. Meir sur ce point, Raavad ne dit rien et montre par
là son accord sur ce point. Le Pri Hadash propose alors une solution, basée sur
le fait que Raavad tire sa preuve non de nos sugyot du Bavli où est rapportée
le memra de Hezekia, mais du passage parallèle dans le Yersuhalmi : selon
lui, on peut comprendre que ce que veut dire le Yerushalmi, c’est qu’on a
besoin aussi du critère du taam quand le shem est uniquement un shem issur – ce
qui est la signification de shem dans la mishna, mais pas chez Rava.
Pour conclure
ces analyses de cette sugya de batar shema azlinan selon Rashi, Tossefot,
Rambam et Raavad, on peut en résumer les conclusions halakhiques dans le
tableau suivant :
Hiérarchie des critères permettant de définir
un min be-mino,
du plus important au moins important, selon
Rava (la halakha
étant comme Rava)
|
Rashi
|
Rambam
|
Tossefot
|
Raavad
|
1
|
Min réel
|
Min réel
|
Min réel
|
Min réel
|
2
|
Shem mamash
(sous-catégorie de min réel)
|
Shem mamash
(dans la mesure où il reflète une pe’ula)
|
Shem issur
(mishna)/
Shem mamash
(Rava)
|
Shem mamash
|
3
|
|
Shem issur
|
Shem issur
avec ta’am
|
|
4
|
|
Ta’am ?
|
Ta’am
|
|
vendredi 25 mai 2012
Suite du Rambam : la notion de pe'ula
Le Pri Hadash répond qu'il aurait été
possible d'établir la mishna dans Shabbat en accord avec ce qu'il a
établi comme étant la lecture que, selon Rambam, Rava donne de la
mishna dans Orla, à savoir qu'il n'y a tsiruf que s'il y a un min
commun ou au moins un shem commun ; et on pourrait même
comprendre la Gemara dans Shabbat, qui rapporte Hezekia, comme une
manière d'exacerber la contradiction apparente entre la mishna dans
Shabbat (qui semble dire qu'il y a toujours tsiruf même quand les
shemot et les minim sont différents) et la beraïta dans Orla qui,
dans une telle configuration, demande au minimum le critère de
Hezekia, même selon Rabbi Meïr. Le problème est que Rambam, dans
Hilkhot Shabbat IX, 5, rapporte cette mishna de Shabbat sans autre
précision, alors qu'on aurait attendu qu'il précise qu'il faut, en
accord avec Rava, qu'il y ait ou le min ou le shem de commun. Le Pri
Hadash avance alors la réponse que nous avions rapportée dans
l'analyse de Tossefot (et, mistama, c'est parce que nous souvenions
du Pri Hadash que nous l'avions retrouvée), à savoir que le tsiruf
fonctionne dans Shabbat même selon le seul critère de Hezekia et
même si l'on est possek que la halakha n'est par ailleurs pas comme
Rabbi Meir parce que le critière de lefi she rauy lematek bah et
ha-kadeira n'est pas un critère
de taam mais un critère de pe'ula :
il s'agit ici de l'effet produit par ces tavlin, effet recherché qui
correspond à leur usage standard ; or c'est précisément cet
usage standard qui est déterminant dans ces hilkhot shabbat. Mais
alors, répond le Pri Hadash, si l'effet gustatif (qui se
différencie, au fur et à mesure de notre analyse, de plus en plus
du taam) est un aspect essentiel de la définition des tavlin,
pourquoi n'est-il pas pris en compte également dans hilkhot
maakhalot assurot ?
La
hasaga du Raavad permet d'approfondir ce problème. Elle est proche
de la remarque de Tossefot sur Rashi : si le shem n'est en fait
qu'une sous-catégorie de min, il ne sert à rien ; s'il renvoie
à une simple homonymie, on ne voit pas pourquoi cela aurait un
impact halakhique. Et, de fait, on voit dans le peirush sur la Mishna
que le Rambam définissait aussi les différents karpass comme
exemple de même shem pour des minim différents, alors que c'est
l'inverse dans le Mishneh Torah. Le Pri Hadash explique qu'il est
revenu sur son premier avis précisément à cause du problème de
l'homonymie, qui ne saurait avoir d'impact halakhique, et qu'il
définit le shem halakhiquement valable comme un shem reflétant une
pe'ula : ainsi les différents types de levain, qui ont tous le
même effet, ou les différents types de vinaigre, même si leurs
composants sont différents. Par contre, les différents types de
karpass, si l'on estime qu'ils ont des effets différents, ne peuvent
donc pas être considérés comme partageant le même shem (sinon une
simple homonymie) et sont mistarefin du fait qu'ils sont de même
min. Le Pri Hadash rapporte une explication alternative (qui se
trouve déjà chez le Ramban) selon laquelle seor shel hitin ve-seor
shel se'orim sont shem ehad parce qu'on les désigne communément
comme seor sans autre qualificatif tandis que les différents karpass
sont des shemot différents parce qu'on précise systématiquement
« karpass shel neharot » ou « karpass shel gina » ;
il ne voit cependant pas la pertinence de cette distinction, la
qualifiant de « divrei neviut » (autrement dit, ça sort
un peu de nulle part). Il me semble que cette distinction va en fait
précisément dans son sens. En effet, si l'on prend le langage non
pas selon son aspect de description objective du monde mais selon son
aspect de communication, on comprend tout à fait que si l'usage est
identique pour les différents types de seor, même si leurs
composants sont différents, on peut dire à quelqu'un « mets
du seor dans cette pâte » ; par contre, si l'usage est
différent, même si le min est identique, on ne peut pas dire stam à
quelqu'un « mets du piment dans ce plat », parce que
l'effet du piment doux est très différent de celui du piment de
cayenne : on est obligé de préciser « piment doux »
ou « piment de cayenne ». L'usage détermine donc le
shem, et parfois ce shem n'est pas un seul mot mais un syntagme dont
l'un des éléments est le min, justement dans les cas où il n'y a
pas de correspondance exacte entre l'identité de min et l'identité
de pe'ula.
Les
exemples donnés dans le peirush ha-Mishna corroborent cette lecture.
Là-bas, on donne comme exemple de même min mais shemot différents
la qâlqah en arabe
classique, hâl ou hîl
en arabe moderne, qui signifie selon R. Kaffah la cardamome : on
conçoit très bien que les différents types de cardamome (blanche,
verte, etc.), même s'il s'agit exactement de la même plante à
différents stades de maturation, sont employés dans des usages
différents parce que leurs effets gustatifs sont différents. À
l'inverse, explique encore R. Kaffah, il existe des tavlin qui, bien
qu'ils appartiennent à des espèces botaniques différentes, se
prêtent à un même usage (comme le karpass ici, contrairement au
Mishneh Torah), et de ce fait portent le même shem. Cela reflète
deux modes de rapport au monde : soit on envisage les objets
selon leur nature « scientifique » ou « naturelle »
- c'est le min -, soit on les envisage en tant qu'outils, selon leur
usage – c'est le shem. Par contre, il est important de préciser
que pour Rava et pour le Rambam à sa suite, une identité de pe'ula
qui ne se reflèterait pas dans l'identité des shemot ne serait pas
suffisante à établir un tsiruf et, plus globalement, un min be-mino
– sauf d'après Rabbi Meir.
Le
critère intervient cependant pour définir ce qu'on appelle tavlin.
Le Rambam, dans le peirush ha-Mishna, précise bien qu'on n'appelle
pas seulement tavlin les épices, comme le poivre ou la cannelle,
mais que cela inclut également tout ce qui s'utilise pour relever le
goût d'un plat, comme l'ail, l'oignon, le vin ou l'huile. Or il est
bien clair que l'oignon peut s'utiliser aussi comme légume, dans une
salade par exemple, ou dans une soupe à l'oignon ; mais ce
n'est pas le même usage que quand on prépare un fond d'oignons pour
un autre type de plat. Dans le premier cas, on utilise l'oignon en
tant qu'oignon, on recherche le goût et éventuellement la texture
de l'oignon : le critère essentiel est alors le taam. Dans le
second cas, on ne cherche pas à donner un goût d'oignon, mais à
rehausser le goût de la viande ou d'autre chose : on recherche
la pe'ula de l'oignon en tant qu'exhausteur de goût. Le critère est
donc non pas le taam mais la pe'ula, ce qui est sensiblement
différent. On comprend mieux pourquoi la mishna regroupe les cas de
mehamets et de metavel et semble les distinguer de la netinat taam
classique : en effet, dans metavel comme dans mehamets, la
netinat taam est secondaire par rapport à la pe'ula. Et un même
ingrédient peut avoir un din de tavlin ou non selon l'usage que l'on
en fait. Selon les mots du Rambam, אם
נתכוון באחד מאלו וכיוצא בהן להשביח האוכל
נקראין תבלין,
« Si l'on avait l'intention, en utilisant l'un des ingrédients
mentionnés ci-dessus ou d'autres similaires, d'améliorer le plat,
alors ils sont appelés tavlin ».
Il
faudrait sans doute, pour être complet et pour aller dans le sens du
Rambam, étudier la sugya correspondante dans le Yerushalmi (Orla II,
5), où l'on trouve même une notion de noten taam lishvah
muttar...
mercredi 23 mai 2012
vendredi 18 mai 2012
Divers klalim sur min be-mino : Ran sur Nedarim 52a, Tossefot sur Beitsa 38b-39a, Ramban sur AZ 66a
Définition
de min be-mino selon le Ran (sur Nedarim 52a)
On
connaît la mahloket entre Rabbanan et Rabbi Yehuda concernant min
be-mino, dans la sugya dite de dam ha-par ve-dam ha-sa'ir
(Menahot 22a) : pour Rabbanan il n'y a pas de bittul d'un dam
dans l'autre parce que les deux sont kesherim la-zerika,
pour Rabbi Yehuda il n'y a pas de bittul parce qu'il n'y a jamais de
bittul dans min be-mino. Le Ran, qui vise dans le contexte de Nedarim
à élucider pourquoi un davar she-yesh lo matirim n'est pas batel
dans min be-mino mais est batel be-shishim dans min be-she-eino mino,
explique que la logique de Rabbi Yehuda est qu'il n'y a pas de bittul
dans min be-mino parce les deux éléments sont en fait la même
chose et que donc, loin de s'annuler, ils se renforcent, se
confirment l'un l'autre. Et, continue le Ran, en vérité, Rabbanan
sont d'accord sur ce postulat fondamental. Après tout, il est bien
clair que de la viande de bœuf cachère, par exemple, ne peut pas
être batel dans de la viande de bœuf cachère : cela n'aurait
aucun sens, puisqu'il s'agit de la même chose. Rabbanan et Rabbi
Yehuda sont en désaccord sur le critère qui permet de définir si
c'est « la même chose » (min be-mino) ou pas : pour
Rabbi Yehuda c'est l'identité naturelle, essentielle, de l'objet
(dimion ha-etsem), pour Rabbanan c'est l'identité de statut
halakhique, permis ou interdit (dimion ha-heter). Pour Rabbanan comme
pour Rabbi Yehuda, si les divers éléments sont de même etsem et de
même din, il s'agit d'un min be-mino absolu et il n'y a pas de
bittul : c'est le cas de dam ha-par ve-dam ha-sa'ir.
Pour Rabbi Yehuda, deux éléments
seront min be-mino dès lors qu'il sont de même etsem (par exemple
de la viande de bœuf), même si l'un est muttar et l'autre assur ;
pour Rabbanan au contraire, selon l'explication du Ran, deux éléments
seront min be-mino au sens où il n'y aura pas de bittul possible
lorsque l'on sera dans du heter be-heter, même quand le etsem est
différent, par exemple de la viande et du pain (shita qui n'est pas
sans poser quelques problèmes au niveau de la halakha : cf.
Rama sur YD 99, 6, qui explique que, si du lait a été rendu batel
dans un volume d'eau 60 fois supérieur, on peut cuire de la viande
dans cette eau infinitésimalement lactée, même si la viande en
elle-même ne représente pas 60 fois le volume initial de lait ;
cf. également Pri Megadim, petiha sur hilkhot Taarovet II, 1, halav
haya be-halav shehuta) ;
par contre, dès que l'on sera dans un issur be-heter, on ne sera
déjà plus pour Rabbanan dans du min be-mino absolu (même si on
continuera à appeler cela du min be-mino en regard du etsem) et il y
aura donc bien bittul.
C'est à partir de cela que le Ran hiérarchise les différents types
de davar she-yesh lo matirim. Le premier type de davar she-yesh lo
matirim se définit par rapport au critère temporel : par
exemple, un aliment interdit à cause d'un neder, dans la mesure où
tout neder a vocation à être annulé, est donc totalement interdit
à présent mais sera totalement permis à un moment du futur. Cet
aliment a donc à la fois un aspect permis et un aspect interdit ;
selon Rabbanan qui définissent min be-mino et min be-she-eino mino
selon le heter et le issur, il est donc entre les deux sur cette
échelle : c'est pourquoi, selon le Ran, ils ont été mahmir
quant à son bittul dans un cas de min be-mino d'après le etsem
(puisqu'il s'agit alors d'un min be-mino selon le etsem et d'un quasi
min be-mino selon le heter, et qu'on se rapproche donc d'un min
be-mino absolu comme dam ha-par) mais pas en cas de min be-she-eino
mino selon le etsem (même si, selon le heter, il ne s'agit pas non
plus d'un min be-she-eino mino véritable).
Le deuxième type de davar she-yesh lo matirim se définit par
rapport au critère spatial : quelque chose qui est déjà
complètement permis maintenant, mais pas partout. Le Ran en voit un
exemple en Beitsa 38b-39a, à propos d'une femme A qui, pendant Yom
Tov, a pétri une pâte avec du sel et de l'eau prêtés par une
femme B : le pain qui en résulte ne peut être consommé que
dans l 'espace commun aux tehumim des deux femmes. Pour le Ran,
le sel et l'eau sont min be-she-eino mino par rapport à la farine,
mais dans la mesure où ils sont consommables immédiatement, quoique
pas en tout lieu, il s'agit d'un davar she-yesh lo matirim encore
plus proche du heter qu'un davar she-yesh lo matirim temporel et
donc, pour Rabbanan, il convient d'être encore plus mahmir quant à
son non-bittul puisqu'on est très proche du min be-mino en termes de
heter be-heter : on est donc gozer non seulement dans min
be-mino, mais même dans min be-she-eino mino.
Le troisième type de davar she-yesh lo matirim envisagé par le Ran
se définit par rapport au critère de l'objet (objectif). Le Ran en
voit un exemple dans le Rif à propos d'un pain cuit dans un four en
même temps qu'un rôti de viande (Rif Hullin 32b d'après Pesahim
76b), qu'on n'a pas le droit de manger avec du fromage. Le Rif
explique que, bien que la halakha suive Levi1
pour lequel reiha lav milta hi, « le fumet n'a pas de
pertinence halakhique », il faut comprendre que reiha
est en réalité une forme de taam, mais tellement faible qu'il est
toujours batel, peu importe les proportions. Cela suppose cependant
qu'un bittul soit en soi possible. Or, dans le cas du fumet de viande
imprégné dans le pain, on est dans du heter be-heter gamur puisque
le résultat est parfaitement consommable dès maintenant en tout
lieu. Il n'y a donc pas de bittul, le pain a un statut bassari et il
est interdit de le consommer avec du lait. On notera cependant que le
Ran sur le Rif là-bas (Hullin 32b) réfute cette approche en
expliquant que si le fromage avait été cuit directement dans le
même four que la viande, bediavad il ne serait pas interdit à
cause de reiha et qu'il n'est pas raisonnable, dans la même
logique de reiha, d'être plus mahmir dans le cas du pain. Il
explique que ce cas du pain relève des humrot classiques de bassar
be-halav et non de la stricte logique de reiha.
Le dernier type de davar she-yesh lo matirim envisagé par le Ran se
définit par rapport au critère de la personne (subjectif). Le Ran
en trouve un exemple dans Yevamot 81b-82a à propos d'un morceau de
viande hatat mélangé dans des morceaux de viande hullin et pour
lequel il n'y a pas bittul. Rav Ashi dit que la raison de ce
non-bittul est à chercher dans le statut de davar she-yesh lo
matirim de ce morceau de viande hatat : en effet il est interdit
à un israël mais permis à un cohen. La Gemara rétorque cependant
que cette approche est erronée car cette viande sera toujours
interdite au israël et permise au cohen : dès lors, explique
le Ran, il n'y a aucune raison d'imposer une humra au israël à
cause du heter présent du côté du cohen, puisque jamais le israël
ne deviendra cohen : pour le israël, le morceau de viande hatat
n'est donc pas davar she-yesh lo matirim.
La hiérarchie des min be-mino en termes de heter et de issur est
donc pour le Ran la suivante :
Exemple type
|
din
|
|
Heter be-heter absolu
|
Dam ha-par ve-dam ha-sa'ir
|
Pas de bittul deOrayta, dans min be-mino comme
dans min be-she-eino mino
|
Davar she-yesh lo matirim objectif
|
Pain cuit dans le même four que de la viande
|
Selon le Rif, pas de bittul du reiha
(deRabbanan)
|
Davar she-yesh lo matirim spatial
|
Eau et sel à yom tov
|
Pas de bittul ni dans min be-mino ni dans min
be-she-eino mino (deRabbanan)
|
Davar she-yesh lo matirim temporel
|
neder
|
Pas de bittul dans min be-mino (deRabbanan)
|
Issur be-heter
|
Viande taref dans viande cachère
|
Bittul même dans min be-mino
|
Autres
remarques sur min be-mino
Nous avons évoqué la sugya dans Beitsa 38b à propos de la pâte
fabriquée avec de l'eau et du sel qui sont davar she-yesh lo matirim
dans ce contexte. Le Ran a défini que cette configuration devait
être analysée comme un min be-she-eino mino et que le non-bittul
s'expliquait par le fait que le davar she-yesh lo matirim était de
type spatial, et donc plus proche du heter que le davar she-yesh lo
matirim temporel pour lequel le non-bittul n'est décrété que dans
min be-mino. Tossefot sur place adopte cependant une autre approche :
ils maintiennent que c'est bien uniquement dans min be-mino que davar
she-yesh lo matirim n'est pas batel et définissent l'eau et le sel
comme min be-mino par rapport au pain final, dans la mesure où il
s'agit d'éléments indispensables à la fabrication du pain :
il n'y aurait pas de pain sans eau ou sans sel, il s'agit donc du
même objet, en tout cas dans ce contexte là – on n'ira pas
jusqu'à dire que du pain qui tombe dans l'eau est également min
be-mino.
Min be-mino se définit donc non seulement selon la nature physique
des choses, mais aussi en fonction du contexte dans lequel elles sont
mélangées.
Par ailleurs, le Ramban (sur Avoda Zara 66a) explique que du levain
(seor) et de la pâte (issa) doivent, d'après la mishna de Orla
(perek 2, kol ha-mehamets) sont min be-mino alors même qu'a priori
ils ne répondent ni au critère d'Abayé – le taam – ni au
critère de Rava – le shem. Le fait que les deux soient fabriqués
à partir de froment, par exemple, ne devrait pas être suffisant
pour dire qu'ils partagent le même min puisque l'on voit bien que,
pour Rava, du vin jeune et du raisin ne sont pas min be-mino alors
même qu'il s'agit à l'origine du même produit et qu'ils partagent
en plus le même goût, comme le montre la position d'Abayé. Le
Ramban explique qu'il s'agit dans le cas du levain et de la pâte de
min be-mino parce qu'il est dans la nature de la pâte de fermenter
et de devenir à son tour du levain : il s'agit d'un processus
naturel et inévitable, alors que du raisin ne se transforme pas tout
seul en jus de raisin. On peut peut-être trouver un distinguo
similaire en Gittin 85ba.
1On
notera que le Shulhan Arukh (YD 108) est quant à lui possek comme
Tossefot, que la halakha suit Rav pour lequel reiha milta hi
– mais uniquement dans un petit four non ventilé.
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