Bienvenue sur le blog Yoreh Deah !
Comme son titre l'indique, il est consacré aux questions de איסור והיתר, et plus spécifiquement aux questions de cacherout à partir des textes : Gemara 'Hullin, Yoreh Deah, Pri Megadim... que j'essaie modestement d'enseigner dans divers batei midrashim parisiens.
Vous retrouverez ici le programme de mes cours, mais aussi leurs enregistrements vidéo semaine après semaine, les archives audio des années précédentes, ainsi que des synthèses sous forme de textes.

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mardi 1 mai 2012

Tossefot AZ66a et Shabbat 89b : version texte


Tossefot (d.h. Tavlin) interroge la lecture de Rashi qui considère, pour les raisons que nous avons expliquées, que la beraïta ne parle que dans un cas de lah be-lah ; l’expression assurin u-mistarefin ne doit selon Rashbam pas être contractée en une seule indication, mistarefin le-essor, mais comme deux : assurin d’une part, mistarefin de l’autre. La première renvoie bien à lah be-lah, mais la seconde réfère à yavesh be-yavesh. Autrement dit, deux éléments interdits qui font partie de la même catégorie (qu’on la définisse, selon les uns ou les autres, par le min, le shem et/ou le taam) s’additionnent quand on calcule les proportions (1/100 ou 1/200) d’un mélange yavesh be-yavesh. On voit déjà ici qu’on sort de la logique stricte, établie par Rashi, du min be-mino lo batel puisque ici aussi bien les deux issurim que le heter dans lequel ils ont été mélangés sont de même min (quelle que soit la fçon dont on le définisse) : ceci est bien évident puisque le calcul des proportions 1/100 ou 1/200 (dans teruma ou dans orla) ne fonctionne que dans min be-mino ; dans min be-she-eino mino, on revient au bittul be-shishim.
Dans lah be-lah, un deuxième paramètre, indiqué par le terme assurim, vient se surajouter : celui de la netinat taam. Si l’on est toujours dans du min be-mino, le critère numérique antérieur ne disparaîtra pas, mais le critère souverain dans lah be-lah est la netinat taam (quelle que soit la façon dont on le justifie ; cf. la mahloket entre le Rashba – bittul ha-taam - et le Ran –hakarat ha-issur-). C’est pour cela, continue Rashbam, que la beraïta ne se contente pas d’indiquer le cas de yavesh be-yavesh dont on aurait déduit par extension le cas de lah be-lah : en effet, explique-t-il, R. Shimon, qui est en désaccord avec le Tana Kama de la mishna, n’est en désaccord que sur le tseruf dans yavesh be-yavesh, estimant qu’il faut pour cela que soient réunis les deux critères du min et du shem (on verra comment il faut, dans son optique, définir ce deuxième terme) ; par contre, il est d’accord avec le fait que les différents issurim peuvent se cumuler dans un cas de lah be-lah même s’il n’y a que le min ou le shem qui est commun parce que, dans ce cas précis, intervient le critère additionnel du taam tel que défini par Hezekiah (c’est-à-dire non seulement par une identité de goût, mais dès que les effets gustatifs sont de même ordre – c’est ce qu’indique minei metika, cf. Hazon Ish YD 25).
On voit donc que le hiddush de Hezekia, dans la perspective du Tana Kama telle que la comprend Rashbam, consiste précisément en ce que le critère de taam est opérant pour faire entrer deux objets interdits dans une même catégorie même dans yavesh be-yavesh. Le Tana Kama comme R. Shimon retiennent tous deux le critère identifié par Hezekiah comme « rauy lematek ba et hakadeira » mais pour des raisons bien différentes : pour Rabbi Shimon ce critère revient en fait à celui de netinat taam : les deux interdits contribuent à former un goût identifiable dans le mélange parce que leurs effets gustatifs sont similaires. Ils interdisent donc le mélange au titre de taam ke-ikkar. Pour Tana Kama le critère de Hezekia n’est pas directement lié à taam ke-ikkar puisqu’il fonctionne même dans yavesh be-yavesh : le taam (défini largement, selon le critère de Hezekia) fait entrer dans une catégorie commune deux éléments interdits même s’ils n’ont en commun ni le min, ni le « shem » (qu’on n’a pas encore défini dans ce contexte). Il s’agit donc de la définition même de min be-mino : quand deux éléments ne font pas « naturellement » partie du même min, parce qu’ils appartiennent à des espèces botaniques différentes, et qu’ils ne partagent pas non plus le même shem (qui reste, encore une foi, à définir), Hezekiah vient indiquer que le critère « large » de taam est aussi opérant pour créer une catégorie commune, en dehors de toute considération de taam ke-ikkar.
On pourrait cependant envisager, à ce stade tout du moins, que ce critère de taam dans yavesh be-yavesh est opérant au titre d’une gezera de-rabbanan, par crainte qu’on en vienne à cuire l’ensemble et qu’on se retrouve confronté, dans lah be-lah, à un problème de taam ke-ikkar de-Oraïta (ce qui est, rappelons-le, l’argument « classique » pour justifier l’exigence de shishim dans min be-she-eino mino yavesh be-yavesh). Cependant cela paraît peu probable puisque, dans le cas présent de yavesh be-yavesh, on se soucie de calculer des proportions de bittul qui sont bien supérieures à shishim, puisque le contexte est celui de bittul de teruma (dans 100) voire de orla (dans 200), configurations dans lesquelles on a normalement évacué le problème de netinat taam puisqu’on est au-delà de shishim. Pour autant, dans la mesure où l’on parle ici de tavlin, c’est-à-dire d’épices dont le rôle est justement de donner du goût (le-taama avidei), le critère de shishim n’est peut-être plus pertinent1 ; mais il semble que l’on puisse répondre que le critère de Hezekia, c’est-à-dire le rauy lematek, puisse être appliqué non seulement aux deux tavlin assurim, mais aussi au heter dans lequel ils tombent. On pourrait ainsi imaginer une épice A et une épice B, toutes deux interdites, qui tombent dans un récipient contenant une épice C permise ; si les trois épices étaient d’espèces totalement différentes mais d’effet gustatif comparable on serait dans du min be-mino selon Hezekia et les épices A et B se combineraient dans le calcul des proportions du bittul, en dehors pourtant de toute considération de netinat taam puisqu’on serait dans du min be-mino yavesh be-yavesh.


Le Tossefot suivant s'intéresse à la notion de shem présente dans la beraïta. Une lecture rapide de la sugya pourrait laisser à penser que le shem de la beraïta est le même que le shem auquel se réfère Rava ; mais on a vu que chez Rashi déjà ce n'était pas vraiment le cas puisqu'il donnait pour exemple de shemot différents pour un même min « pilpel lavan, pilpel shahor » etc., le premier mot renvoyant au min et le second au shem (prati), alors que Rava donnait comme exemple convers de même shem pour des minim différents « hala de-hamra ve-hala de-shikhra », où le premier mot renvoyait au shem et le second au min. Autrement dit le shem renvoie chez Rashi à une sous-catégorie du min, il correspond à une détermination supplémentaire à l'intérieur d'une catégorie naturelle ; tandis que dans les cas donnés par Rava, le shem est une catégorie qui fait du min « naturel » (les composants du produit) un critère secondaire par rapport au shem, qui désigne ici la « nature » de l'objet : non pas sa nature première, mais sa nature actuelle, ce qu'il est actuellement : du vinaigre, le fait qu'il ait été obtenu à partir de tel ou tel matière première étant adventice.
Tossefot pousse plus loin encore cette disjonction entre le shem de la beraïta (et plus largement, de la mishna) et le shem de Rava. Ils admettent la logique Rashi dans sa définition du shem prati comme sous-catégorie d'un min : le shem vient préciser une catégorie naturelle. Mais, dès lors, il ne saurait y avoir deux objets relevant de minim différents et portant pourtant le même shem défini comme sous-catégorie naturelle. Ou plutôt, on peut bien l'imaginer, mais ce serait alors une simple homonymie, comme par exemple une pomme verte et une pomme de terre. Tossefot, dans un texte parallèle (Shabbat 89b), souligne qu'on ne comprendrait pas pourquoi une simple homonymie aurait un quelconque effet de catégorisation halakhique. Or, dans la suite de la mishna, Rabbi Shimon énonce que ne sont mistarefin ni deux tavlin de même min et de shem différent, ni deux tavlin de même shem et de min différent : c'est donc bien que la notion de shem identique malgré un min différent est envisageable. Or, selon la définition de Rashi, pour qui le shem désigne une catégorie naturelle de même ordre que le min, ce cas est impossible. Tossefot identifie donc le shem de la mishna et de la beraïta, sur la foi d'expressions identiques ailleurs dans le Talmud, comme désignant une catégorie non pas naturelle, mais halakhique : sont de même shem deux objets qui relèvent du même interdit (ou de la même catégorie d'interdits, comme teruma, terumat maasser, hala et bikkurim, ainsi que le montre la mishna dans Orla (2, 1). Selon Tossefot, la mishna énonce donc que le min « naturel » n'est pas le seul min halakhiquement signifiant, mais que le fait de relever de la même catégorie de issurim l'est aussi, même si les éléments appartiennent à des espèces naturelles différentes ; en fait, dans la mesure où la conclusion du Tana Kama (tel que le comprend Rashi, lecture qui n'est pas remise en cause par Tossefot) même des éléments ne relevant ni du même min naturel ni du même min halakhique (c'est ainsi qu'il faut comprendre shem) sont mistarefin. Pour Abayé, la précision apportée par Hezekia vient expliquer cela par le critère de taam : le taam permet de constituer un min au même titre que le min « naturel » et que le shem, c'est-à-dire le min « halakhique ». Pour Rava, cela s'explique plutôt par le fait que cette mishna exprime la position de Rabbi Meir, pour lequel tous les issurim de la Torah sont, à la base, mistarefin.
Est-ce à dire que pour Rabbi Meir le critère de Hezekiah est complètement superflu et doit être rejeté comme ne jouant aucun rôle halakhique ? C'est effectivement, on l'a vu, la position de Rashi. Tossefot considèrent cependant qu'elle pose problème : en effet, si tel était le cas, dans la mesure où la halakha suit Rava, cette beraïta devrait être complètement ignorée dans la halakha : la proximité d'effet gustatif ne devrait jamais intervenir dans le calcul d'un tsiruf yavesh be-yavesh. Or on voit en Shabbat 89b-90a que ce principe-là est précisément sollicité. Le contexte là-bas est celui de la définition de la mesure minimale d'un objet pour qu'on soit coupable d'avoir transgressé l'interdit de hotsaa à shabbat en le transposant d'un domaine à l'autre. Chaque objet s'y voit attribuer une mesure spécifique en fonction de son usage : ce n'est pas le seul aspect physique de l'objet qui compte, mais sa fonction : en dessous d'une certaine taille, il n'est propre à aucun usage et n'a donc pas le statut d'objet qui rendrait hayav de hotsaa. Ainsi, des brindilles de bois doivent être en quantité suffisante pour alimenter un feu capable de cuire un œuf de poule. De même, des épices doivent être en quantité suffisante pour épicer un œuf de poule, et la mishna précise que différentes épices peuvent se combiner dans le calcul de cette mesure. La Gemara demande pourquoi différentes épices peuvent se combiner alors même qu'elles sont d'espèces différentes et répond en invoquant le principe de Hezekia, qu'elles se combinent ici dans la mesure où elles ont en commun le même effet gustatif. Or selon la lecture de Rashi, pour Rava, on n'a pas besoin du principe de Hezekia pour expliquer la mishna selon Rabbi Meir et ce principe tombe de lui-même. Pourquoi resurgirait-il ici ? C'est pourquoi Tossefot explique que Rabbi Meir a lui aussi besoin de ce principe de Hezekia. En effet, bien que Rabbi Meir considère que kol ha-issurin mistarefin, cela n'est valable au sens le plus absolu, c'est-à-dire même quand il s'agit de minim et d'issurim différents, que quand les objets interdits sont présents dans leur intégrité physique (be-ayin) ; mais dès qu'ils font partie d'un mélange lah be-lah, il est nécessaire qu'ils aient en commun le même effet gustatif car autrement on les principes de netinat taam entrent en jeu : soit que le mélange de goûts discordants produise un effet non souhaitable, et on est alors dans un cas de noten taam li-fgam (c'est l'option exprimée par Tossefot en Shabbat 90a), soit que les effets sont simplement opposés et se masquent l'un l'autre (c'est la lecture adoptée par Tossefot chez nous ; nous reviendrons plus tard longuement sur ces précisions). L'application du principe de Hezekia dans lah be-lah est donc, d'après Tossefot, valable autant pour Rabbi Meir que pour Rabbi Shimon. Là où Rabbi Meir va plus loin, c'est qu'il affirme en outre que ce critère de taam ne se limite pas à lah be-lah, qu'il ne relève pas uniquement des halakhot de taam ke-ikkar, mais qu'il constitue également un socle commun minimal pour rassembler différents éléments dans un même min, même s'ils relèvent par ailleurs de minim « naturels » et de issurim différents. Le débat entre Abayé et Rava est donc le suivant : pour Abayé, la remarque de Hezekia est valable pour tout le monde et établit donc que le taam est un critère souverain qui permet de regrouper dans un même min même des éléments relevant de minim « naturels » et de issurim différents ; pour Rava, la remarque de Hezekia n'est valable pour tout le monde que dans un contexte de lah be-lah où entrent en jeu les halakhot de netinat taam ; mais dans yavesh be-yavesh, elle n'est valable que selon la shita de Rabbi Meir pour lequel dans l'absolu tous les issurim sont mistarefin, ce qui fait que dans un mélange yavesh be-yavesh même un critère particulièrement faible, qui est en général insuffisant, celui de Hezekia, est suffisant pour opérer un tsiruf. On notera ainsi que pour Rabbi Meir le tsiruf n'est pas une conséquence d'un min be-mino ; il opère de lui-même dans yavesh be-yavesh dès qu'il existe une propriété commune comme le taam, même si celui-ci n'est pas suffisant pour constituer un min commun.
Reste à comprendre quel avis suit la halakha. Dans la mesure où la beraïta de Hezekia, que Rava a établie comme suivant Rabbi Meir, est reprise sans autre objection (stam). C'est l'argument même de Tossefot. Mais pour autant, même s'il est clair que Rava pourrait suivre Rabbi Meir sans pour autant se ranger à la shita d'Abayé, il semble bien que la halakha ne suive pas Rabbi Meir, c'est-à-dire qu'on ne tienne pas que kol ha-issurin mistarefin, ce qui, pour Rava tel que le comprend Tossefot, est bien le principe qui est à la base de la validité du critère « faible » de Hezekia dans yavesh be-yavesh. Si la halakha ne suit pas Rabbi Meir, et Rava non plus, comment comprendre la réapparition du critère de Hezekia dans la sugya de Shabbat ? On revient, semble-t-il, à la difficulté initiale de Tossefot. Il me semble que l'on peut résoudre cette difficulté de la manière suivante : dans le contexte de cette sugya de shabbat, le shiur minimal des objets pour rendre hayav de hotsaa n'est pas lié aux propriétés physiques de l'objet, mais à sa fonction. Or la fonction des épices est précisément de produire un effet gustatif : on peut dès lors comprendre que le critère de Hezekia soit opérant dans ce contexte précis, même si la beraïta dans laquelle il est exprimé, celle qui énonce le principe général de tsiruf des tavlin assurin dans yavesh be-yavesh sur le seul critère du taam, n'est pas retenu par la halakha parce qu'il n'est vrai que dans le contexte de la shita de Rabbi Meir pour lequel kol ha-issurin mistarefin.
Il n'en demeure pas moins que pour Rava le taam n'est pas un critère permettant d'établir un min be-mino. Il demandera, toujours suivant Tossefot, que le min be-mino soit établi soit par une coïncidence de issurim (le shem de la mishna), soit par un min « naturel », soit par ce que lui-même appelle shem, qui est très différent du shem de la mishna et qui est en fait plus proche de la définition du min naturel. Actuellement il n'est pas encore possible de définir précisément le shem selon Rava ; mais, avec l'aide de D., l'analyse d'autres textes va nous y aider.


Remarquons déjà que l'identification des catégories d'issurim comme une des variables permettant d'établir un min be-mino nous permet de sortir de la lecture de Rashi qui voulait que le fait que des tavlin soient mistarefin parce qu'ils sont de même min suppose qu'il n'y a jamais de bittul dans min be-mino, selon la shita de Rabbi Yehuda. Les éléments mis en place par Tossefot nous permettent de faire référence à l'analyse du Ran dans Nedarim 52 qui explique que les Hakhamim sont d'accord avec le principe abstrait de Rabbi Yehuda selon lequel il n'y a pas de bittul dans min be-mino ; mais pour les Hakhamim dès lors qu'on est dans un mélange de issur et de heter on n'est plus dans du « vrai » min be-mino absolu. En suivant les Hakhamim, on peut donc comprendre que des tavlin assurim de même min sont mistarefin sans que cela n'interdise pour autant qu'ils puissent être batel dans du heter, et l'on peut aussi comprendre que des tavlin de minim différents puissent être mistarefin dès lors qu'il relèvent de la même catégorie de issur : pour les Hakhamim en effet, le statut de issur ou de heter est essentiel dans la définition du min.



1Quoique ; Tossefot défendent ailleurs (Hullin, sugya de Zeroa beshela) qu’un goût perceptible au-delà de shishim n’est jamais un taam gamur mais juste un taam kol she-hu ; c’est Rashi qui considère que shishim n’est qu’un critère par défaut pour définir la netinat taam en l’absence de goûteur. On pourrait ainsi expliquer que le « fumet » qu’apportent les épices n’est pas un taam gamur (référence à venir BS"D).

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