Bienvenue sur le blog Yoreh Deah !
Comme son titre l'indique, il est consacré aux questions de איסור והיתר, et plus spécifiquement aux questions de cacherout à partir des textes : Gemara 'Hullin, Yoreh Deah, Pri Megadim... que j'essaie modestement d'enseigner dans divers batei midrashim parisiens.
Vous retrouverez ici le programme de mes cours, mais aussi leurs enregistrements vidéo semaine après semaine, les archives audio des années précédentes, ainsi que des synthèses sous forme de textes.

Horaires des cours proposés :
Niveau avancé: le lundi soir de 21h à 22h30, à la Yéchiva des étudiants de Paris, 10 rue Cadet, dans le bureau du haut.
Niveau intermédiaire : le dimanche matin de 11h à 12h à Ohalei Yaacov au 11, rue Henri-Murger, à l'étage sur la gauche.
En espérant vous voir nombreux !

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mercredi 7 novembre 2012

shitat R. Yehuda dans Zevahim 77b-79a : selon Tossefot

Exceptionnellement, en version audio. Quoique c'est peut-être plus pratique pour vous...
Tosefot zevahim 78B

Allez, un petit sondage en marge extérieure...

jeudi 1 novembre 2012

shitat R. Yehuda dans Zevahim 77b-79a : selon Rashi


La Mishna en Zevahim 77b, à propos de dam zerika, énonce que si le sang du korban s’est mélangé à 1. de l’eau, il reste considéré comme valable pour l’aspersion tant qu’il a l’aspect de sang (ce qu’on appellera par la suite bitul be-hazuta, une annulation qui dépend de l’aspect visuel), même s’il y a plus d’eau que de sang ; 2. du vin rouge, on en évalue l’aspect comme si c’était de l’eau – la Gemara va discuter de savoir si c’est le vin qu’on considère comme de l’eau (option 2a), autrement dit on ramènera le cas du vin à celui de l’eau, ou si c’est le sang qui est considéré comme de l’eau, autrement dit on est dans du bitul be-rov (option 2b) ; 3. du sang de hullin, on applique la même règle que pour le vin (option 2a ou 2b), tandis que R. Yehuda tient que dans ce cas-là il n’y a pas de bitul, même avec une conséquence le-kula puisque ici le sang du korban reste kasher la-zerika même en infime quantité.

Avant de passer à l’analyse de la Gemara, on peut d’ores et déjà poser le cadre théorique qui définit l’ordre des différents cas et l’éventail des shitot. Le sang et l’eau sont min be-she-eino mino autant par leur nature même que par leur aspect visuel ; le sang et le vin rouge sont min be-she-eino mino par nature mais sont d’aspect similaire ; le sang et le sang sont min be-mino. La question est entre autres de savoir si, dans un contexte donné, le fait que les objets possèdent en commun propriété pertinente dans ce contexte (ici, l’aspect visuel) peut prendre le pas sur l’hétérogénéité de leurs essences (sang et vin en l’occurrence) ou si le point de vue de l’essence prime toujours sur les attributs, considérés somme toute comme accidentels.

La Gemara part du maamar de Resh Lakish sur ha-pigul ha-notar ve-ha-tamé pour avancer, avant de la rejeter immédiatement, l’idée qu’il y aurait bitul be-rov même dans min be-she-eino mino (on ne discutera pas ici de savoir comment Rashi, qui tient que taam ke-ikkar est deRabbanan, s’accomode de ce Resh Lakish ; cf. Minhat Kohen) et proposer plutôt que dans min be-mino au moins, il y a bien bitul be-rov. La question surgit alors : pourquoi, dans min be-mino, n’applique-t-on pas le principe de roïn oto, « on considère comme ci », c’est-à-dire qu’on évalue le shiur nécessaire pour le bitul dans min be-mino en imaginant qu’on est dans un min be-she-eino mino : le paradigme en serait le 2a de la mishna, c’est-à-dire qu’on ramènerait le cas du sang mélangé à du vin rouge (min be-mino du point de vue de l’aspect, propriété pertinente dans le contexte) au cas du sang mélangé à de l’eau (min be-she-eino mino). La Gemara objecte alors qu’on pourrait comprendre non pas 2a mais 2b, et qu’on est donc bien dans un bitul be-rov même pour un tel min be-mino limité à une propriété rendue pertinente par le contexte, ce qui soulève à son tour deux objections. Tout d’abord, s’il s’agissait juste de dire que le sang est batel be-rov dans ce cas-là, il n’était pas nécessaire de faire appel à la notion compliquée de roïn oto, il suffisait de dire « batel ». Ensuite, cette alternative renvoie en fait à une mahloket Tannaïm impliquant R. Yehuda.

On montre ainsi, à partir d’une beraïta à propos d’un seau qu’on trempe dans un mikvé, que R. Yehuda applique le principe de roïn oto dans le cas d’un min be-mino limité à la seule propriété pertinente, tandis que les Hakhamim se suffisent dans un tel cas d’un bitul be-rov comme dans un vrai min be-mino. Cela veut donc dire que pour R. Yehuda ce n’est pas le contexte qui détermine le min be-mino en privilégiant une propriété pertinente, mais bien l’essence des choses : or ici, dans le cas du vin blanc mélangé à l’eau, on est dans un min be-she-eino mino du point de vue de l’essence, et on applique le même shiur que si ce min be-she-eino mino se reflétait dans la propriété contextuelle, si le vin était rouge et non blanc en l’occurrence. Pour la Hakhamim au contraire, le min be-mino est déterminé par le contexte qui rend pertinent telle propriété.
Si l’on s’arrête là, on doit donc dire que notre Mishna doit être construite comme ceci : comme en 3 on a une mahloket entre Hakahmim et R. Yehuda, on doit dire qu’il faut comprendre le roïn oto de ce 3 non pas dans le sens fort que R. Yehuda donne à cette notion (2a), mais dans le sens faible des Hakhamim, à savoir un simple bitul be-rov (2b) ; aussi bien est-on pour tout le monde dans un vrai min be-mino. Il faut donc comprendre qu’en 2 aussi on parle de bitul be-rov, où à la limite que le langage de la Mishna est sciemment ambigu pour pouvoir être lu selon la shita des Hakhahim ou selon celle de R. Yehuda ; mais c’est quand même difficile à défendre parce que si 2 allait selon R. Yehuda le roïn oto prendrait deux sens différents dans la même Mishna puisqu’en 3 il va forcément selon Hakhamim.

La Gemara objecte ensuite à partir d’une autre beraïta faisant intervenir le roïn oto de R. Yehuda. L’interprétation de cette beraïta, à quel élément susmentionné constitue-t-elle précisément une objection, et comment comprendre la résolution subséquente de cette objection par Abayé d’une part, par Rava d’autre part, fait l’objet d’un débat profond entre Rashi et Tossefot. La beraïta, que la Gemara attribue à R. Yehuda parce qu’elle fait intervenir le principe de roïn oto, énonce que dans un cas similaire d’un seau partiellement rempli qu’on immerge dans un mikvé, l’urine est considérée (roïn otan) comme de l’eau, tandis que mei hatat (les « eaux lustrales » de la vache rousse), sont batel be-rov.
Expliquons d’abord shitat Rashi. Pour Rashi, cette beraïta vient en contradiction de la beraïta précédente sur le vin blanc. Il expose pour R. Yehuda que l’urine est considérée comme de l’eau et qu’il n’y a même pas besoin de bitul be-rov parce que, du point de vue de l’essence, c’est de l’eau, et ce même si son aspect est sensiblement différent. On a donc ici l’application converse du roïn oto de R. Yehuda : de même que quand on est dans un min be-she-eino mino du point de vue de l'essence mais que du point de vue de la propriété pertinente dans le contexte on est dans du min be-mino alors on va faire comme si (roïn oto) la propriété pertinente dans le contexte reflétait l'hétérogénéité des essences, de même quand on est dans un min be-mino du point de vue de l'essence mais que du point de vue de la propriété pertinente dans le contexte on est dans du min be-she-eino mino alors on va faire comme si (roïn oto) la propriété pertinente dans le contexte reflétait l'homogénéité des essences. Le vin blanc n'est donc pas de l'eau même s'il a une couleur proche, et l'urine est de l'eau même si elle a une couleur différente. Par contre, au niveau de mei hatat, explique toujours Rashi, le fait que le statut de pureté soit hétérogène semble plus important encore que l'essence naturelle : en effet, l'eau du mikvé a pour propriété essentielle de rendre pur l'impur, tandis que les mei hatat ont pour propriété essentielle de rendre impur le pur (sauf pour quelqu'un qui est tame met, mais cela est considéré ici comme l'exception au statut général de mei hatat).


D'après Rashi, cette opposition tuma/tahara est considérée par R. Yehuda comme plus déterminante encore que l'essence naturelle puisqu'on voit ici que bien que les mei hatat soient du point de vue physique de l'eau, elles sont considérée comme min be-she-eino mino dès lors qu'on ne se suffit pas de hashaka (mise en contact) avec l'eau du mikvé comme dans le cas de l'urine mais qu'on demande un bitul. Autrement dit, on applique encore ici une fois le principe de roïn oto en disant que quand deux objets ont un statut de tuma/tahara différent (ou peut-être n'est-ce vrai que parce qu'ici on n'est pas seulement dans tame/tahor mais encore dans metame/metaher), ils sont considérés comme min be-she-eino mino même s'ils sont min be-mino selon leur nature physique. Cela signifie, d'un point de vue ontologique, qu'il existe une hiérarchie des propriétés d'un objet : ses propriétés visuelles sont purement accidentelles en regard de sa nature physique, mais cette nature physique elle-même est secondaire par rapport à une propriété plus essentielle encore qui est metaher/metame. Ou peut-être metaher/metame n'est-elle pas non plus dans l'absolu une propriété essentielle, mais que c'est uniquement le contexte de la purification dans un mikvé qui fait de cette propriété le critère déterminant ici. Dans la première hypothèse, on aurait une proposition ontologique : le statut de metaher/metame est plus essentiel que la nature physique, tandis que dans la première hypothèse, R. Yehuda rejoindrait simplement les Hakhamim sur l'idée que le contexte peut effectivement influer sur la constitution d'un min be-mino/min be-she-eino mino, à ceci près qu'il considérerait que la seule propriété pertinente pour un contexte de mikvé est d'être à tout le moins non-metame. Si l'on compare cette shita à celle du Ran (Nedarim 52a) qui dit que R. Yehuda est holek sur les Hakahamim en ce qu'il considère que le statut de issur ve-heter n'est pas suffisant, même contextuellement, pour déterminer un min be-she-eino mino, alors on est bien obligé de conclure que pour R. Yehuda le din de metame/metaher est fondamentalement différent, et plus important ontologiquement, que le din de issur ve-heter.


Rashi conclut ainsi que la contradiction entre les deux beraïtot est que pour R. Yehuda, dans le cas d'un min be-she-eino mino (que celui-ci soit déterminé par la nature physique ou par le statut de metame/metaher), dans la première beraïta on exige un bitul be-hazuta alors que dans la seconde on se satisfait d'un bitul be-rov.


La Gemara propose alors deux résolutions à cette contradiction. Pour Abayé, l'une des shitot n'est en réalité pas celle de R. Yehuda lui-même mais celle de son maître, Rabban Gamliel, comme on le voit d'une beraïta qui énonce que la formule אין דם מבטל דם est dite par R. Yehuda au non de Rabban Gamliel. Rashi, à la lumière de sa compréhension de la contradiction entre les deux beraïtot, explique qu'il faut comprendre ainsi : de même que Rabban Gamliel est mahmir dans min be-mino en considérant qu'il n'y a pas de bitul possible, de même il est mahmir dans min be-she-eino mino en exigeant toujours un bitul be-hazuta en faisant jouer le principe de roïn oto le-humra (le cas de l'eau et du vin blanc dans la première beraïta) ; par contre, R. Yehuda tiendrait qu'il y a bitul be-rov dans min be-mino et que même quand le contexte transforme un min be-mino en min be-she-eino mino (deuxième beraïta), soit il s'agit d'une propriété accidentelle comme la couleur et alors on applique un roïn oto le-kula (urine), soit il s'agit d'une propriété essentielle comme metame/metaher et on se satisfait quand même d'un bitul be-rov.
Il semble qu'il faille en déduire que même dans un min be-she-eino mino sous tous points de vue R. Yehuda dirait qu'on se contente d'un bitul be-rov, mais cette option semble difficile à soutenir au vu de notre mishna, dont le premier cas, le mélange de sang et d'eau, semble exiger un bitul be-hazuta pour tout le monde. Deux réponses sont possibles : soit effectivement R. Yehuda serait holek et dirait que même dans ce cas-là un bitul be-rov opèrerait, mais la mishna n'évoquerait pas cette possibilité ; soit R. Yehuda maintiendrait que du point de vue du bitul ha-guf c'est bien le bitul be-rov qui joue, même dans min be-she-eino mino, mais que pour autant l'aspect visuel (ou gustatif, ou toute autre propriété sensorielle que R. Yehuda considèrerait dès lors comme accidentelle par rapport à l'essence), sans être un déterminant du din de min be-mino/min be-she-eino mino, serait quand même un facteur pour empêcher le bitul, indépendamment du din de min be-mino/min be-she-eino mino. Il serait ainsi d'accord avec les Hakhamim tant dans le cas du mélange d'eau et de sang que dans celui du mélange de vin rouge et de sang, à savoir qu'on aurait un bitul be-hazuta dans le premier cas et un bitul be-rov dans le second cas, mais pour des raisons différentes : pour les Hakhamim, l'aspect visuel détermine le din de min be-mino/min be-she-eino mino, pour R. Yehuda, il y a bitul be-rov même dans min be-she-eino mino mais, indépendamment de cela, l'aspect visuel peut empêcher le bitul.


Tout ceci va selon le teiruts d'Abayé. Pour Rava, la shita de R. Yehuda est bien que dans min be-mino il n'y a pas de bitul et que dans min be-she-eino mino on applique roïn oto pour exiger un bitul be-hazuta. La dernière beraïta, à propos de mei hatat, concerne une situation exceptionnelle où il n'est pas nécessaire d'effectuer la tevila de la face interne du seau, et que c'est uniquement pour s'assurer que la face externe du seau était entièrement immergée dans le mikvé que les Sages ont exigé qu'il y ait un rov d'eau du mikvé à l'intérieur du seau : c'est dans ce cas-là uniquement que R. Yehuda est meikil, parce qu'en vérité cette exigence de rov n'a aucun rapport avec un din de bitul.



lundi 22 octobre 2012

Hullin 99b fin de mehamets Rashi/Tossefot


Je ne reprends pas toute l’analyse des Rashi et Tossefot sur la sugya qui sont assez clairs et dont nous avons relevé les enjeux (100 & 101 vs. 99 & 100) dans l’introduction. Je voudrais simplement revenir sur la définition de mehamets selon Rashi et Tossefot. Nous avons vu chez le Pri Hadash un débat pour savoir s’il y avait un réel issur de mehamets en tant que tel, c’est-à-dire au titre de ma’amid, ou si un mehamets n’était interdit qu’en tant qu’il est noten ta’am. Rashi laisse planer une ambiguïté révélatrice, puisqu’il dit que יש בו כדי לחמץ היינו נותן טעם, « mehamets signifie noten taam ». Cela peut se comprendre de deux façon : le mehamets interdit au même titre qu’une netinat ta’am au titre de hakarat ha-issur, ou pour le dire comme le Rambam, de pe’ulato nikeret ; ou au contraire il n’y a pas d’issur propre de mehamets, mais un agent levant n’interdit que dans la mesure où il est noten ta’am mamash. Dans le premier cas, on aurait un issur de mehamets aussi bien dans min be-mino que dans min be-she-eino mino, comme l'écrit le Pri Hadash ; dans le second cas, on comprendrait que mehamets constituerait justement un cas où on serait à la fois dans du min be-mino et dans une netinat ta'am perceptible (cf. le Ramban). Tossefot semblent confirmer assez clairement la deuxième lecture, puisqu'ils déduisent de la mishna (116a) qu'il n'existe pas d'issur de ma'amid mais seulement de noten ta'am, ce qui les amène à poser la question de savoir comment un mehamets peut interdire au titre de netinat ta'am, c'est-à-dire de ta'am gamur et non de ta'am kalush (cf. 98b ד"ה אמר רבא לא נצרכא אלא לטכ"ע), au delà de 100 (sachant que pour Tossefot la question d'Abayé porte directement sur la mishna et non sur la seule lecture de Rav Dimi). Et c'est pourquoi ils répondent que c'est effectivement ce que veut dire Abayé quand il dit חמוצו קשה, certains levains ont effectivement un potentiel de netinat ta'am supérieur à 100, contrairement à la plupart des issurim ; et la sugya continue sur cette hypothèse-là – en fait, on ouvre ici une nouvelle sugya.



Avant d'entamer cette nouvelle sugya, j'aimerais rapporter deux hiddushim du Lev Arieh qui apportent à mes yeux un éclairage essentiel.
Tout d'abord, à propos de la mahloket dans zeroa' beshela de savoir s'il faut en déduire le shiur de 60 ou de 100, il explique que le nœud du débat, dans la mesure où de toute façon dans le cas du eil nazir le ta'am n'est pas perceptible, est justement de savoir si l'on fonde dessus un issur de ta'am gamur seulement (i. e. 60) où si l'on interdit même un ta'am kalush (donc jusqu'à 100). Cette approche donne un tout autre éclairage tant sur le dernier Tossefot que sur leur mahloket avec Rashi en 98b.
Ensuite, pour résoudre l'incongruité de la Mishna qui semble laisser entendre que le issur de mehamets n'existe que dans min be-mino, il explique que le levain a ceci de particulier que non seulement il fait lever la pâte mais encore il amène la pâte à lever d'elle-même : la simple présence d'un mehamets crée donc une situation de min be-mino dans la mesure où il fait acquérir à la pâte des propriétés de mehamets qui rendent indiscernable l'effet propre du issur originel.
Et dans la lignée des hypothèses que nous avons pu développer auparavant, j'aurais tendance à dire que la même analyse peut être appliquée à metavel si l'on définit celui-ci comme un exhausteur de goût : dans la mesure où il n'apporte pas de goût distinct mais vient plutôt accentuer le goût du plat, alors on est dans du min be-mino puisqu'on n'est plus en mesure de distinguer l'effet gustatif propre du issur et le goût de base du plat.

mardi 24 juillet 2012

Hullin 99a : Rashi version texte


Retour, enfin, à la sugya de mehamets et metavel en Hullin 99ab (cliquer ici pour afficher le daf). Rappelons le contexte. La Gemara vient de rapporter la sugya de zeroa' beshela, d'où l'on apprend le principe qu'il existe un shiur uniforme pour le bittul des issurim et que ce shiur est une humra deRabbanan par rapport au principe de bittul be-rov. Dans la mesure où le cas précis de zeroa' beshela, celui du eil nazir, relève vraisemblablement de min be-mino1, la question reste ouverte quant au din précis de min be-she-eino mino : c'est toute la mahloket entre Rashi et Tossefot sur place, à propos de ta'am ke-ikkar. Toujours est-il que cette sugya, énoncée au nom de R. Yehoshua b. Levi citant Bar Kappara, établit qu'il existe le-ma'asseh, deRabbanan au moins, un shiur minimal exigé pour le bittul. Ce shiur lui-même fait l'objet d'un débat : d'après R. Hiyya b. Abba, il est de 60 fois la quantité de issur, d'après Rav Assi, il est de 1002.
La sugya qui suit part de ce débat : face à Rav Dimi, Abayé met en question cette option rapportée au nom de Rav Assi que le bittul « de base » serait de 100 : en effet, objecte-t-il, le shiur de bittul pour teruma est lui aussi de 100 et est présenté dans la Mishna (Orla 2) comme une humra par rapport au shiur de base. Voici, très grossièrement résumé, l'objet de la sugya devant nous. Le texte intégral est le suivant :
Rav Dimi
יתיב רב דימי וקאמר לה להא שמעתא

Abayé
אמר ליה אביי וכל איסורין שבתורה במאה והתנן
Mishna Orla 2, 4
למה אמרו כל המחמץ ומתבל ומדמע להחמיר מין ומינו להקל ולהחמיר מין ושאינו מינו

Mishna Orla 2, 7 (min be-she-eino mino)
וקתני סיפא להקל ולהחמיר מין ושאינו מינו כיצד גריסין שנתבשלו עם העדשים אם יש בהם בנותן טעם בין יש בהן להעלות במאה ואחד בין אין בהן להעלות במאה ואחד אסור אין בהן בנותן טעם בין שיש בהן להעלות במאה ואחד בין אין בהן להעלות במאה ואחד מותר
Abayé
אין בהן להעלות במאה ואחד אלא במאי לאו בששים

Rav Dimi
לא במאה
Abayé
והא מדרישא במאה הוי סיפא בששים דקתני

Mishna Orla 2, 6 (min be-mino)
רישא להחמיר מין ומינו כיצד שאור של חטין שנפל לעיסת חטין ויש בו כדי לחמץ בין יש בו כדי להעלות במאה ואחד בין אין בו כדי להעלות במאה ואחד אסור אין בו להעלות במאה ואחד בין שיש בו כדי לחמץ בין אין בו כדי לחמץ אסור

Abayé
רישא וסיפא במאה

Rav Dimi
לא רישא במאה וחד וסיפא במאה

Abayé
וכי יש בו כדי לחמץ במאה וחד אמאי לא בטיל

Rav Dimi
אישתיק

Abayé
אמר ליה דלמא שאני שאור דחימוצו קשה

Rav Dimi
אמר ליה אדכרתן מילתא דאמר רבי יוסי בר' חנינא

R. Yossi b. R. Hanina
לא כל השיעורין שוין שהרי ציר שיעורו קרוב למאתים דתנן דג טמא צירו אסור רבי יהודה אומר רביעית בסאתים

Stam kushia
והאמר רבי יהודה מין במינו לא בטיל

Stam tiruts
שאני ציר דזיעה בעלמא הוא

Il est important, avant de commencer, de préciser les shittot d'Abayé que l'on connaît par ailleurs et qui constituent le contexte de ce débat. Tout d'abord, pour Abayé, ta'am ke-ikkar deOrayta, ce qu'on apprend de bassar be-halav (cf. Hullin 108a). Ensuite, min be-mino est déterminé par le ta'am : batar ta'ama azlinan (AZ 66a). Enfin, dans la sugya de Zeroa' beshela, Abayé apprend deux dinim différents : d'une part que même pour R. Yehuda il y a là-bas bittul dans min be-mino, d'autre part que dans min be-she-eino mino on exige deRabbanan 60 indépendamment de la réalité de la netinat ta'am (cf. Rashi et Tossefot sur place3).
Le débat entre Abayé et Rav Dimi porte donc sur ce double shiur de 100. La réponse de Rav Dimi, d'après une première lecture rapide de la sugya, est de distinguer entre 100 (dans les issurim classiques) et 101 (dans teruma). La maholket entre Rashi et Tossefot porte sur le sens précis de cette distinction entre 100 et 101 : pour Rashi, c'est sans compter le issur (ce qui va bien pour 100 dans les issurim classiques, mais qui demande à être expliqué pour 101 dans teruma, dans la mesure où la drasha à partir de « et mikdesho » en Bamidbar 18, 29 implique normalement 1/100 et non 1/101), pour Tossefot, c'est y compris le issur (donc 1/100 pour teruma, ce qui va bien avec la drasha, mais 1/99 pour les autres issurim, ce qui n'est pas la mashma'ut classique de bittul be-shishim et donc de bittul be-mea). Toujours est-il qu'il faut reconnaître que cette distinction entre bittul dans 99 et bittul dans 100, ou dans 100 et 101, paraît à première vue difficile à admettre et ne pas répondre à la kushia d'Abayé qui semble demander une distinction claire, comme entre 60 et 100. Pour répondre à cette difficulté, peut-être peut-on faire appel à la logique du Rambam qui (dans dinei k'hal notamment) explique que le shiur « classique » de 60 est multiforme : les issurim classiques sont batel dans 60 en sus du issur, les issurim de rabbanan sont batel dans 60 dont le issur (exemple : le k'hal), les issurim qui présentent un aspect de beriya sont batel dans 1 de plus, donc dans 61 pour un œuf contenant un poussin, et dans 60 (59+1) pour une beriya deRabbanan comme la graisse du gid ha-nashe. Tout cela, explique le Rambam, fait partie de la notion même de shishim, qui est deRabbanan, et que les hakhamim ont modulé en fonction des différents aspects du issur afin de créer des hekerim, des indices distinctifs. On pourrait imaginer ici, dans la logique que défend Rav Dimi, que le 100 (ou 101) de teruma serait un simple heker par rapport au 99 (ou 100) des autres issurim.

Prenons maintenant Rashi. La grande difficulté dont il faut tenir compte dans son approche de la sugya est le fait qu'il considère normalement que la halakha suit Rabbi Yehuda, à savoir qu'il n'y a pas de bittul dans min be-mino. Or ici la Mishna, si elle postule bien que le shiur du bittul dans min be-mino est supérieur à celui de min be-she-eino mino, suppose clairement qu'il y a bittul dans min be-mino – et il paraît clair que R. Yehuda est d'accord avec cette mishna, et au contraire peu probable qu'il réfute totalement la notion de bittul teruma. De plus, si l'on se réfère au débat Rashi/Tosfot en Yevamot 82a, on voit que Rashi considère que pour R. Yehuda min be-mino lo batel même dans yavesh be-yavesh, tandis que Tossefot considère que c'est uniquement dans lah be-lah.

Rashi commence par préciser que la Mishna, quand elle parle de mehamets, metavel et medamea', parle de trois cas, c'est-à-dire (contrairement au Rambam dans le Peirush ha-Mishna) que medamea' n'est pas juste ici un terme générique qui décrirait la conséquence de mehamets et metavel, c'est-à-dire de donner à l'ensemble du mélange le statut de teruma (c'est le sens de medamea'). Surtout, il précise ici que le cas de medamea' est celui où on a cuit ensemble la teruma et le reste, autrement dit qu'il s'agit davka d'un cas de lah be-lah. Pour l'instant, la nécessité de cette hava amina n'apparaît pas du tout, sauf à vouloir forcer le parallélisme entre mehamets, metavel et medamea', dont les deux premiers ne font effectivement sens que dans lah be-lah.
Rashi précise ensuite quea dans min be-she-eino mino, la configuration est qu'on a goûté le mélange et qu'il subsiste un goût au-delà de 100 – goût forcément très faible, dès lors ; et pourtant la Mishna interdit le mélange. Il semble que c'est de là que Rashi tire sa notion qu'un taam perceptible interdit même au-delà de 60. C'est dans ce contexte de min be-she-eino mino qu'il choisit de développer la source midrashique du shiur de 100 pour teruma, c'est-à-dire le Sifré sur  Bamidbar 18, 29 (Kora'h piska §, siman 121). Le verset, qui parle de terumat maaser, qui est identique au maaser min ha-maaser et qui vaut donc 1/100 de la récolte (en fait 1/99,9999..., puisqu'un seul grain suffit en théorie pour la teruma gedola, prélevée avant le maaser rishon4), qualifie cette terumat maaser de kol 'helbo et mikdesho mimenu, « la meilleure partie, celle qui le sanctifie ». Les Hakhamim se basent sur ce verset pour dire que si ce centième retombe dans le grain d'où (mimenu) il a été prélevé, il le sanctifie (mikdesho, lu mekadesho) ; autrement dit, si le 1 tombe dans les 99 restants, il les « sanctifie », s'il tombe dans plus (100 voire, selon un autre avis, 99+ε), il ne les sanctifie pas. En réalité, cela signifie que si elle tombe dans 99 ou moins, cette teruma donne à l'ensemble le statut de teruma, si elle tombe dans plus, elle ne change pas le statut hullin et il faut juste prélever la quantité équivalente à la teruma initiale pour la donner au cohen afin que celui-ci ne soit pas lésé financièrement. Si Rashi semble au début présenter la drasha comme une drasha gemura avant de dire mi-kan amru, ce qui signifie qu'il s'agit d'une simple asmakhta et donc d'une loi deRabbanan, il ne fait en fait que reprendre la formulation du Sifré en la commentant. Et on comprend bien qu'il s'agit d'un din uniquement deRabbanan puisque si cette logique était deOraïta elle serait forcément différente : d'une part on pourrait l'étendre à la teruma gedola et dire que de même qu'un seul grain suffit comme teruma gedola pour tout un silo, de même un seul grain de teruma suffit à interdire tout un silo (autrement dit qu'il n'y aurait pas de bittul teruma possible), d'une part il faudrait dire qu'un grain de teruma qui tombe dans un seau de hullin restitue ce dernier au statut de tevel, et non pas, comme c'est le cas ici, qu'il lui donne le statut de teruma.
Rashi explique ensuite que la mishna veut dire qu'en cas de netinat taam dans min be-she-eino mino, le taam n'est pas batel (taama lo batil) même si, selon le din de bittul teruma be-mea, le guf ha-issur est batel. Or cela est un grand hiddush : il signifie qu'a priori pour Rashi le shiur de 100 pour le bittul teruma est valable aussi bien dans min be-she-eino mino que dans min be-mino, ce qu'il n'est pas du tout le pshat apparent de la mishna. On pourrait objecter qu'il s'agit d'une lecture forcée de Rashi, qu'il amène juste cette drasha de bittul teruma ici et non dans min be-mino uniquement du fait qu'Abayé lui-même, dans sa démonstration, a rapporté la seifa de la Mishna, qui parle de min be-she-eino mino, avant la reisha, qui parle de min be-mino.
Mais il nous semble que notre lecture est rendue nécessaire par le Rashi suivant qui explicite la raison pour laquelle il y a bittul dans min be-she-eino mino quand il n'y a pas de netinat taam : דכי בעינן אחד ומאה היכא דאיסורא בעיניה הוא כגון חטין בחטין או כל דבר שלא נתבשל, « on n'exige que le heter soit cent fois supérieur au issur uniquement quand le issur subsiste sous sa forme initiale [même si, évidemment, on ne peut plus le distinguer, sinon il n'y aurait pas de bittul] : par exemple, du froment mélangé à du froment, ou toute chose qui n'a pas été cuite ». Kol davar she-lo nitbashel renvoie à yavesh be-yavesh ; hitin be-hitin renvoie à min be-mino, et si Rashi mentionne les deux, c'est que l'un n'est pas inclus dans l'autre. Autrement dit, on exige bittul be-mea dans yavesh be-yavesh, même dans min be-she-eino mino ; et on exige bittul be-mea dans min be-mino, que ce soit dans lah be-lah ou dans yavesh be-yavesh.
Cela pose plusieurs problèmes par rapport à la compréhension naïve de bittul teruma be-mea qui, aurait-on pu croire, ne s'appliquait qu'à min be-mino. D'une part, pour Rashi, la question n'est pas min be-mino ou min be-she-eino mino mais est-ce que le issur est be-eineh (sous sa forme initiale) ou non. D'autre part, dès lors que Rashi donne comme deux manifestations distinctes de be-eineh yavesh be-yavesh et min be-mino, cela signifie que dans min be-mino on est toujours be-eineh. Cela demande à être expliqué dans la mesure où, a priori, Rashi considère au contraire qu'un issur nimuah, qui a perdu sa forme initiale pour se fondre dans la masse du plat, ne s'appelle même plus mamasho shel issur mais seulement taam (voir Avoda Zara 67b en haut). Le Rosh Yossef (sur Hullin ici) peut, nous semble-t-il, nous éclairer ici. Il explique que (selon la conclusion que Tossefot vont tirer de Rashi par la suite), pour R. Yehuda même dans min be-mino un taam sans mamashut est batel. Comment concilier cela avec le fait que le modèle de R. Yehuda est un mélange de liquides, où par définition le mélange est total et qu'on devrait avoir le même din que nimuah, donc un din de taam sans mamashut pour Rashi ? Il répond qu'un issur solide qui est nimuah perd son statut de mamashut parce qu'il a vu sa forme dégradée, ce qui n'est pas le cas d'un issur liquide dont la forme n'a pas été tant dégradée5. Mais, pourrait-on alors prolonger le raisonnement, cette « kula » du issur nimuah n'est valable que dans min be-she-eino mino dans la mesure où le issur s'est assimilé à un élément hétérogène ; dans le cas de min be-mino, même un issur nimuah ne change pas de catégorie (ce que Rashi appelle hitin be-hitin : avant, c'était du froment, maintenant, c'est toujours du froment) et serait donc considéré comme be-eineh même dans lah be-lah.
Ensuite, si l'on fait intervenir le fait que pour Rashi Abayé est possek comme R. Yehuda que min be-mino lo batel, alors on a beaucoup de mal à comprendre comment s'applique cette mishna de bittul be-mea dans min be-mino selon Abayé (à dire vrai, la solution de facilité serait de dire que cette mishna ne va pas selon R. Yehuda ; mais Abayé est censé être possek selon R. Yehuda, et pourtant cette objection possible n'intervient nulle part dans la sugya ; on est donc obligé de se plier à une autre logique). En effet, ainsi que l'explique le Ran (sur Nedarim), la raison du non-bittul est que les deux éléments sont presque identique et se renforcent au lieu de s'annuler. Or, on l'a vu, pour Rashi, il semble que ce soit une logique similaire qui fait que le din d'issur nimuah ne s'applique pas dans min be-mino ; autrement dit, la règle de R. Yehuda est valable en premier lieu dans yavesh be-yavesh, et par extension dans lah be-lah. Mais alors dans quel cas y aura-t-il, pour R. Yehuda, bittul teruma be-mea dans min be-mino ? Dans yavesh be-yavesh, apparemment jamais, puisque min be-mino lo batel en premier lieu dans yavesh be-yavesh et qu'on ne peut pas retirer le issur (puisque si on peut le retirer dans yavesh be-yavesh c'est qu'il est identifiable et donc il n'y a évidemment bittul pour personne tant qu'on ne l'a pas retiré, et quand on l'a retiré il est évident qu'il n'y a plus aucun problème puisqu'il n'y a pas de résidu de type netinat taam ou autre). Dans lah be-lah, tant que le guf ha-issur est présent, il n'est pas considéré comme nimuah et il ne saurait donc non plus être batel. C'est uniquement dans un cas de lah be-lah où on aurait retiré le issur mais qu'il resterait quand même un taam (ou quelque chose d'équivalent, comme mehamets) que s'appliquerait le bittul be-mea. Et c'est, effectivement, à peu près la conclusion que Tossefot va tirer de shittat Rashi.
Cela supposerait que pour R. Yehuda dans min be-mino le taam seul est bien batel, ce qui serait compatible avec la shitta de Rashi pour qui taam ke-ikkar est deRabbanan, mais pas avec la shitta d'Abayé pour lequel taam ke-ikkar est bien deOrayta (Hullin 108a) – sauf à distinguer le taamo ve-lo mamasho d'un issur nimuah, qui serait deOrayta, et un pur taam, qui serait deRabbanan, et cela, nous le verrons peut-être à la lumière de la fin de la sugya, avec tsir dagim. On pourrait également avancer que la règle de R. Yehuda ne s'applique pas pour un issur deRabbanan et postuler que la Mishna et toute notre sugya discute implicitement de teruma bi-zman ha-ze qui, selon certains, est deRabbanan (mahloket Reish Lakish/ R. Yohanan en Yevamot 81a, qui se poursuit jusque chez le Mehaber/Rama YD 331, 2) ; mais, pour être franc, rien ne le suggère nulle part ni dans la sugya, ni dans les mefarshim6.


1cf. le Rosh Yossef sur place pour des lectures alternatives, notamment où l'on considèrerait que le rotev serait min be-she-eino mino par rapport à la viande (sur la base de Shut Rashba I, 272 à la fin), ou plus largement en définissant le min d'après le shem, à l'exclusion du min « naturel » (voir ce qu'on a écrit plus haut dans le Pri Hadash à ce sujet).

2On se reportera au Ran sur place pour les inférences pratiques de ces deux calculs, notamment la fonction des éléments « neutres » (os, écorces) dans le calcul du bittul.

3 Dans la sugya de te'imat kfeila et dans la sugya présente, il faut noter une grande différence entre Rashi et Tossefot. Pour Rashi, on exige de toute façon 60 et il faut lekhthila faire goûter pour vérifier qu'il n'y a plus de taam ; pour Tossefot, un taam perceptible au-delà de 60 ne s'appelle plus un taam gamur mais un taam kol she-hu et ne sera pas interdit deOrayta même pour quelqu'un qui tient, comme Abayé, que taam ke-ikkar deOrayta ; et même en deçà de 60, s'il n'y a pas de taam perceptible, ce serait muttar ; ce n'est que deRabbanan qu'on exige teimat kfeila ou, à défaut, 60.

4Sauf si on met l'accent sur le cas particulier où le lévi a acquis le maaser rishon alors que le blé était encore en épis avant que le cohen ait pris la teruma gedola, auquel cas le maaser rishon déjà prélevé est patur de teruma gedola et la terumat maaser vaut exactement 1/100 (ce n'est plus vrai quand le grain est déjà lissé). Cf. Yerushalmi Halla 1, 3.

5Peut-être peut-on rapprocher cela de ce que dit le Rambam dans le Moreh Nevukhim (I, 69): אם נפסדה צורתו נפסדה הוויתו ובטל .

6On pourrait cependant comprendre que pour R. Yehuda sa règle ne s'appliquerait pas pour un issur deRabbanan, même si on la comprend comme le Ran. Certes, selon la logique du Ran, le fait que ce ne soit qu'un issur de Rabbanan devrait remettre en cause l'efficacité du bittul même pour les hakhamim, a fortiori pour R. Yehuda. Et, in hakhi nami, on pourrait dire qu'il n'y a pas de bittul d'un issur deRabbanan dans min be-mino ni pour R. Yehuda, ni pour les Hakhamim, et on pourrait cependant imaginer un pseudo-bittul : en fait, puisque deOrayta le issur n'est pas vraiment assur, il n'y a pas de bittul (dans cette shita du Ran), mais les hakhamim n'ont été gozer un issur que quand l'objet visé n'est pas mélangé à une quantité telle qu'il serait batel s'il était interdit deOrayta : donc en-deçà du shiur il n'est pas batel et il est assur deRabbanan, au-delà du shiur il n'est toujours pas batel mais il n'est pas non plus assur. Ceci a clairement de grandes nafka minot, mais pas plus que la notion selon laquelle heter be-heter lo batel. cf. Pri Megadim, petiha le-hilkhot taarovet helek 2, perek 1.

mardi 3 juillet 2012

Mehamets et Metavel, suite

(Comme prévu, j'ai avancé sur le Pri Hadash afin qu'on puisse repasser sur la Gemara.)



La signification apparente de la Mishna dans Orla ainsi que du Rambam (hilkhot maakhalot assurot 16) est que mehamets et metavel ne sont osserim que dans min be-mino davka. Pour autant, le Pri Hadash entend démontrer que mehamets (et par voie de conséquence metavel, puisque les deux vont toujours ensemble) est forcément osser même dans mbsem. La raison en est que d’une part on trouve clairement la notion de mehamets même dans mbsem, avec un agent levant à base de pomme (Terumot 10, 2, repris par le Rambam), d’autre part parce que mehamets interdit du fait que, selon le langage du Rambam, nikeret pe’ulato, « son effet est perceptible. Autrement dit la logique est la même que pour ma’amid, un agent qui apporte une contribution essentielle à la forme présente de l’objet.

Sur la notion de ma’amid même il importe d’apporter plusieurs précisions annexes. Il existe une variété de shittot. Essentiellement, la notion de ma’amid apparaît dans la fabrication du fromage : il s’agit de l’agent qui va faire cailler le lait et va ainsi le faire passer d’une forme liquide à une forme solide. Généralement cet agent est un extrait de panse animale, qui contient les enzymes nécessaires à cette fermentation (nous préparons bsd une synthèse des teshuvot essentielles sur cette question). La Mishna dans Hullin (116a) affirme qu’un ma’amid issu de viande cachère ne pose un problème de bassar be-halav que dans la mesure où il y a netitat ta’am.
La première shitta sur cette notion de ma’amid dans bassar be-halav est celle du Ri Migash, reprise par le Ran et par la suite par le Shul’han ‘Arukh. Elle explique que la nature de ma’amid de la viande cachère empêche son bittul mais que la coprésence de bassar et de halav n’est pas une condition suffisante pour former l’objet interdit bassar be-halav : encore faut-il que soit remplir le critère de netinat ta’am, c’est-à-dire d’une proportion supérieure ou égale à 1/60e (derekh bishul assera Torah, Hullin 108a). Par contre, si le ma’amid est en lui-même interdit (de l’estomac de bête non cachère par exemple), alors son non-bittul interdit de facto tout le mélange.
La deuxième shitta, attribuée à Rabbeinu Tam (Sefer ha-Yashar Hiddushim 474), semble induire qu’il n’y a jamais de véritable problème de ma’amid mais seulement de netinat taam.
La troisième shitta, attribuée au Raavad et reprise par le Ramban, est que dans le cas de maamid taref il n’est pas nécessaire d’avoir recours à la notion de maamid pour interdire, par exemple dans le cas du fromage fabriqué par un non-Juif : en effet, explique cette shitta, quand il s’agit d’aliments confectionnés par des non-Juifs, on ne peut pas se baser sur la te’ima (test de goût en conditions réelles) pour permettre au cas par cas si le taam n’est pas perceptible. La conséquence, dont l’impact sur les questions de cacherout contemporaine nous paraît fondamentale, est que dans le cas de produits alimentaires fabriqués par des non-Juifs les règles de bittul taam sont peut-être plus strictes que dans les cas classiques. Toujours est-il que cette troisième shitta, si elle se dispense du ressort de maamid pour interdire le fromage des non-Juifs (on considère simplement que tout élément taref inséré volontairement par un non-Juif ne saurait être considéré comme batel, qu’il soit ou non maamid effectivement), n’en nie pas pour autant la pertinence dans d’autres cas.
La troisième shitta, qui s’oppose diamétralement à la première, est celle rapportée par le Mordekhai (Hullin, par. 733) qui considère que la netinat taam en jeu dans la définition de bassar be-halav n’est elle-même qu’une modalité de la coprésence du bassar et du halav : coprésence qui est généralement obtenue du fait de la netinat taam mais qui peut aussi bien être obtenue par une haamada : un maamid crée donc du bassar be-halav au même titre que la netinat taam.

Ces quatre shittot ne portent que sur la notion de maamid dans bassar be-halav ; mais toutes sont d’accord (en tout cas la première et la dernière, et assez clairement la troisième – la deuxième n’est pas assez explicite) pour reconnaître que quand le maamid est en lui-même interdit il existe bien cette notion de issur maamid, comme la Mishna elle-même l’avance (Orla 1, 7). Or non seulement il est clair que mehamets ne saurait être raisonnablement distingué de maamid en terme de pe’ula, mais de plus même ceux qui défendraient la shitta selon laquelle il n’y a pas de issur maamid devraient admettre la notion de issur mehamets à cause de ce que dit la Gemara, shani seor she-himutso kasheh (Hullin 99b), « le cas du levain est différent parce que son pouvoir levant est puissant ». Toutes ces raisons suffisent au Pri Hadash pour conclure que le issur mehamets ne saurait se limiter au cas de min be-mino.

On peut encore, explique-t-il, ramener un autre élément. Le issur de metavel ne fait véritablement sens que dans mbsem : dans mbm, l’effet gustatif des tavlin n’est absolument pas distinguable. Metavel n’interdit donc dans mbm qu’à mesure qu’il est susceptible d’interdire dans mbsem. Donc metavel ne peut pas être valable que dans mbm, et dans la mesure où metavel et mehamets sont liés, alors mehamets non plus.

Tout cela semble bien fondé, mais est quand même difficilement réconciliable avec le pshat de la Mishna et surtout du Rambam (perek 16). Autant on peut défendre que dans la Mishna (Orla 2, 7) la notion de netinat taam inclut aussi mehamets en tant que tel, c’est-à-dire en tant que pe’ula, et pas seulement taam au sens strict – et le Pri Hadash propose une lecture cohérente de la Mishna dans ce sens –, autant quand le Rambam (16, 14) semble clairement exiger la condition de min be-mino pour illustrer le issur de mehamets. Le texte s’énonce ainsi :
תבלין שהם שניים או שלושה שמות ממין אחד, או שלושה מינין משם אחד--מצטרפין לתבל ולאסור, וכן לחמץכיצדשאור של חיטין ושאור של שעורין--הואיל ושם שאור אחד הוא--אינן כמין ושאינו מינו, אלא הרי הן כמין אחד; ומצטרפין לשער בהן כדי לחמץ בעיסה של חיטין, אם היה טעם שניהן טעם חיטין, או כדי לחמץ בעיסה של שעורין, אם היה טעם שניהן טעם שעורין.



Autrement dit, le tsiruf des issurim se fait au niveau du shem, c'est-à-dire, comme le Pri Hadash lui-même l'a expliqué, au niveau de la pe'ula : l'un comme l'autre sont seor. Ensuite, pour que ce seor mixte interdise la pâte, encore faut-il, explique le Rambam, qu'il soit de même goût qu'elle. La raison pour laquelle ce critère est requis est clair : pour que le seor et la pâte soient quand même considérés comme min be-mino, bien qu'ils ne partagent pas le même shem (on notera ici que le Rambam considère qu'un levain de froment et une pâte de froment ont en commun le goût de froment, alors que le Ramban tenait, lui, que le goût du levain était fondamentalement différent de celui d'une pâte de même origine. Leur définition de ce qui constitue un goût commun est donc différente : pour le Ramban, c'est le goût constaté qui est pris en compte en tant que tel, alors que pour le Rambam, le goût, dans le présent cas à tout le moins, fonctionne essentiellement comme le signe d'une origine commune). Reprenons. Le siman 16, 14 en question porte avant tout sur le tseruf d'issurim, et seulement incidemment sur le issur de mehamets. Le Rambam pouvait s'arrêter à l'explication de tseruf des seorim. S'il précise qu'il est encore nécessaire de déterminer le min du seor en regard du min de la pâte, s'est bien parce qu'il y a une différence entre min be-mino et min be-she-eino mino dans un tel cas. Au demeurant, le Pri Hadash reconnaît qu'il n'a pas de solution satisfaisante pour cette halakha du Rambam dans le cadre de sa shitta.



En retour, il est vrai que la shitta du Minhat Kohen que repousse le Pri Hadash, à savoir qu'effectivement, mehamets et metavel n'est un issur distinct de noten taam au sens strict que dans min be-mino est difficile à défendre, tant sur le plan de la svara que sur celui des nombreuses mishnayot et autres sources ramenées par le Pri Hadash. C'est cette difficulté qui amène les mefarshim ultérieurs à proposer des solutions originales. Le Rosh Yossef en particulier imagine des configurations où la définition de min be-mino est autonomisée par rapport à celle de la proximité de taam. Ainsi, sur la base du Tossefot Beitsa 39b, il explique que tout ingrédient ajouté volontairement à un mélange et qui en devient un élément essentiel de sa définition rentre dans la catégorie de min be-mino, à l'instar de l'eau et du sel par rapport à la farine du pain. Cette explication se heurte cependant à plusieurs difficultés, que le Rosh Yossef relève d'ailleurs pour la plupart lui-même : le Rambam, s'il est vrai qu'il définit (dans son peirush ha-Mishna) un metavel comme fonction de l'intention de la personne, ce n'est que le-humra, car il parle aussi du issur de mehamets quand le levain est tombé par erreur ; à l'inverse, si l'on maintient qu'un levain tombé par erreur n'est pas osser au titre de mehamets, cela serait valable même dans le cas où sa pe'ula serait perceptible, et au titre de la svara du Pri Hadash on ne voit pas pourquoi on serait mekil dans un tel cas – sauf à soutenir que le issur mehamets est un pur issur deRabbanan et qu'ils n'ont été gozerim que dans min be-mino davka. Mais dans ce cas-là, selon quelle logique ? Les mêmes remarques peuvent être opposées à une autre solution qu'avance le Rosh Yossef, à savoir qu'il faut lire le min be-mino de la Mishna et du Rambam selon la shitta de batar shema azlinan. On expliquerait ainsi, en particulier, comment il peut y avoir un issur de metavel dans min be-mino (cf. d'ailleurs le Hazon Ish taarovet 27, 6 qui ramène à ce propos le cas théorique de piments à divers degrés de maturité). Cela nous paraît cependant difficilement tenable dans la mesure où cela ne répond toujours pas à la kushia fondamentale du Pri Hadash, à savoir pourquoi on serait mekil dans un min be-she-eino mino quel qu'il soit (afilo lo shave lo be-taama ve-lo bi-shma) dans la mesure où pe'ulato nikeret, comme on le voit pourtant dès la Mishna à propos d'un agent levant issu de fruits ; de plus, comme le Rosh Yossef le note encore lui-même, la sugya de mehamets dans Hullin 99b implique Abayé. Il est donc indispensable d'être capable d'expliquer la Mishna aussi selon sa shitta qui veut que batar taama azlinan.



Beezrat Hashem, l'analyse de Rashi et Tossefot sur cette sugya, complétée par une analyse très pénétrante du Lev Arieh, nous permettra de démêler un peu cet écheveau.



mardi 19 juin 2012

lundi 11 juin 2012

Fin de l'analyse de AZ 66a


Reste maintenant, pour finir l’analyse de la maholket entre Rambam et Raavad sur la sugya de shemot tavlin, à comprendre la réapparition soudaine de la définition de shem comme shem issur dans Rambam (14, 6) et le fait que Raavad remarque, à partir du memra dans le Yerushalmi parallèle à notre beraïta de Hezekia, que le shem issur seul n’est pas suffisant pour le tsiruf et qu’on requiert en sus le critère de taam. Or cela est étonnant dans la mesure où, sur ce point-là, on avait jusque là plus ou moins identifié les shitot de Rambam et de Rashi d’une part, de Raavad et de Tossefot d’autre part : à savoir pour le premier groupe que si, dans la mishna comme chez Rava, shem signifiait shem mamash, la notion de shem issur n’intervenait pas, pas plus que le taam d’ailleurs ; et, pour le second groupe, que shem dans la mishna signifiait shem issur (indépendamment de Rava).
Le Pri Hadash explique alors que Rambam ne revient pas sur sa lecture première exposé plus tôt, mais qu’il apporte un nouveau hiddush selon lequel shem issur s’appelle aussi shem, cette appellation n’étant pas limitée à shem mamash. C’est d’ailleurs la mahloket entre Rabbanan et R. Shimon au début du deuxième perek de Orla. Ce que dit Rambam – et Rashi possiblement aussi, ce qui serait une réponse à Tossefot – c’est que shem signifie avant tout shem mamash : c’est ce que l’on apprend de shemot tavlin et de Rava. Mais shem issur, même si cela constitue un degré en dessous de shem mamash, est aussi un critère de shem suffisant même pour R. Shimon, ce qu’enseigne la première mishna du deuxième perek de Orla comprise par le Yerushalmi.
Prenons maintenant le point de vue de Raavad, qui réintroduit Hezekia. On se rappelle que Tossefot réintroduisait Hezekia, c’est-à-dire taam, comme critère valide uniquement selon R. Meir, ce qui, selon le Pri Hadash, mène forcément à la conclusion que pour Tossefot la halakha est comme R. Meir. Mais on ne peut pas affirmer la même chose pour Raavad puisque, quand Rambam (14, 4) est possek que la halakha ne suit pas R. Meir sur ce point, Raavad ne dit rien et montre par là son accord sur ce point. Le Pri Hadash propose alors une solution, basée sur le fait que Raavad tire sa preuve non de nos sugyot du Bavli où est rapportée le memra de Hezekia, mais du passage parallèle dans le Yersuhalmi : selon lui, on peut comprendre que ce que veut dire le Yerushalmi, c’est qu’on a besoin aussi du critère du taam quand le shem est uniquement un shem issur – ce qui est la signification de shem dans la mishna, mais pas chez Rava.

Pour conclure ces analyses de cette sugya de batar shema azlinan selon Rashi, Tossefot, Rambam et Raavad, on peut en résumer les conclusions halakhiques dans le tableau suivant :

Hiérarchie des critères permettant de définir un min be-mino,
du plus important au moins important, selon Rava (la halakha étant comme Rava)

Rashi
Rambam
Tossefot
Raavad
1
Min réel
Min réel
Min réel
Min réel
2
Shem mamash (sous-catégorie de min réel)
Shem mamash (dans la mesure où il reflète une pe’ula)
Shem issur (mishna)/
Shem mamash (Rava)
Shem mamash
3

Shem issur
Shem issur avec ta’am
4
Ta’am
Ta’am ?
Ta’am



vendredi 25 mai 2012

Suite du Rambam : la notion de pe'ula


Le Pri Hadash répond qu'il aurait été possible d'établir la mishna dans Shabbat en accord avec ce qu'il a établi comme étant la lecture que, selon Rambam, Rava donne de la mishna dans Orla, à savoir qu'il n'y a tsiruf que s'il y a un min commun ou au moins un shem commun ; et on pourrait même comprendre la Gemara dans Shabbat, qui rapporte Hezekia, comme une manière d'exacerber la contradiction apparente entre la mishna dans Shabbat (qui semble dire qu'il y a toujours tsiruf même quand les shemot et les minim sont différents) et la beraïta dans Orla qui, dans une telle configuration, demande au minimum le critère de Hezekia, même selon Rabbi Meïr. Le problème est que Rambam, dans Hilkhot Shabbat IX, 5, rapporte cette mishna de Shabbat sans autre précision, alors qu'on aurait attendu qu'il précise qu'il faut, en accord avec Rava, qu'il y ait ou le min ou le shem de commun. Le Pri Hadash avance alors la réponse que nous avions rapportée dans l'analyse de Tossefot (et, mistama, c'est parce que nous souvenions du Pri Hadash que nous l'avions retrouvée), à savoir que le tsiruf fonctionne dans Shabbat même selon le seul critère de Hezekia et même si l'on est possek que la halakha n'est par ailleurs pas comme Rabbi Meir parce que le critière de lefi she rauy lematek bah et ha-kadeira n'est pas un critère de taam mais un critère de pe'ula : il s'agit ici de l'effet produit par ces tavlin, effet recherché qui correspond à leur usage standard ; or c'est précisément cet usage standard qui est déterminant dans ces hilkhot shabbat. Mais alors, répond le Pri Hadash, si l'effet gustatif (qui se différencie, au fur et à mesure de notre analyse, de plus en plus du taam) est un aspect essentiel de la définition des tavlin, pourquoi n'est-il pas pris en compte également dans hilkhot maakhalot assurot ?
La hasaga du Raavad permet d'approfondir ce problème. Elle est proche de la remarque de Tossefot sur Rashi : si le shem n'est en fait qu'une sous-catégorie de min, il ne sert à rien ; s'il renvoie à une simple homonymie, on ne voit pas pourquoi cela aurait un impact halakhique. Et, de fait, on voit dans le peirush sur la Mishna que le Rambam définissait aussi les différents karpass comme exemple de même shem pour des minim différents, alors que c'est l'inverse dans le Mishneh Torah. Le Pri Hadash explique qu'il est revenu sur son premier avis précisément à cause du problème de l'homonymie, qui ne saurait avoir d'impact halakhique, et qu'il définit le shem halakhiquement valable comme un shem reflétant une pe'ula : ainsi les différents types de levain, qui ont tous le même effet, ou les différents types de vinaigre, même si leurs composants sont différents. Par contre, les différents types de karpass, si l'on estime qu'ils ont des effets différents, ne peuvent donc pas être considérés comme partageant le même shem (sinon une simple homonymie) et sont mistarefin du fait qu'ils sont de même min. Le Pri Hadash rapporte une explication alternative (qui se trouve déjà chez le Ramban) selon laquelle seor shel hitin ve-seor shel se'orim sont shem ehad parce qu'on les désigne communément comme seor sans autre qualificatif tandis que les différents karpass sont des shemot différents parce qu'on précise systématiquement « karpass shel neharot » ou « karpass shel gina » ; il ne voit cependant pas la pertinence de cette distinction, la qualifiant de « divrei neviut » (autrement dit, ça sort un peu de nulle part). Il me semble que cette distinction va en fait précisément dans son sens. En effet, si l'on prend le langage non pas selon son aspect de description objective du monde mais selon son aspect de communication, on comprend tout à fait que si l'usage est identique pour les différents types de seor, même si leurs composants sont différents, on peut dire à quelqu'un « mets du seor dans cette pâte » ; par contre, si l'usage est différent, même si le min est identique, on ne peut pas dire stam à quelqu'un « mets du piment dans ce plat », parce que l'effet du piment doux est très différent de celui du piment de cayenne : on est obligé de préciser « piment doux » ou « piment de cayenne ». L'usage détermine donc le shem, et parfois ce shem n'est pas un seul mot mais un syntagme dont l'un des éléments est le min, justement dans les cas où il n'y a pas de correspondance exacte entre l'identité de min et l'identité de pe'ula.
Les exemples donnés dans le peirush ha-Mishna corroborent cette lecture. Là-bas, on donne comme exemple de même min mais shemot différents la qâlqah en arabe classique, hâl ou hîl en arabe moderne, qui signifie selon R. Kaffah la cardamome : on conçoit très bien que les différents types de cardamome (blanche, verte, etc.), même s'il s'agit exactement de la même plante à différents stades de maturation, sont employés dans des usages différents parce que leurs effets gustatifs sont différents. À l'inverse, explique encore R. Kaffah, il existe des tavlin qui, bien qu'ils appartiennent à des espèces botaniques différentes, se prêtent à un même usage (comme le karpass ici, contrairement au Mishneh Torah), et de ce fait portent le même shem. Cela reflète deux modes de rapport au monde : soit on envisage les objets selon leur nature « scientifique » ou « naturelle » - c'est le min -, soit on les envisage en tant qu'outils, selon leur usage – c'est le shem. Par contre, il est important de préciser que pour Rava et pour le Rambam à sa suite, une identité de pe'ula qui ne se reflèterait pas dans l'identité des shemot ne serait pas suffisante à établir un tsiruf et, plus globalement, un min be-mino – sauf d'après Rabbi Meir.
Le critère intervient cependant pour définir ce qu'on appelle tavlin. Le Rambam, dans le peirush ha-Mishna, précise bien qu'on n'appelle pas seulement tavlin les épices, comme le poivre ou la cannelle, mais que cela inclut également tout ce qui s'utilise pour relever le goût d'un plat, comme l'ail, l'oignon, le vin ou l'huile. Or il est bien clair que l'oignon peut s'utiliser aussi comme légume, dans une salade par exemple, ou dans une soupe à l'oignon ; mais ce n'est pas le même usage que quand on prépare un fond d'oignons pour un autre type de plat. Dans le premier cas, on utilise l'oignon en tant qu'oignon, on recherche le goût et éventuellement la texture de l'oignon : le critère essentiel est alors le taam. Dans le second cas, on ne cherche pas à donner un goût d'oignon, mais à rehausser le goût de la viande ou d'autre chose : on recherche la pe'ula de l'oignon en tant qu'exhausteur de goût. Le critère est donc non pas le taam mais la pe'ula, ce qui est sensiblement différent. On comprend mieux pourquoi la mishna regroupe les cas de mehamets et de metavel et semble les distinguer de la netinat taam classique : en effet, dans metavel comme dans mehamets, la netinat taam est secondaire par rapport à la pe'ula. Et un même ingrédient peut avoir un din de tavlin ou non selon l'usage que l'on en fait. Selon les mots du Rambam, אם נתכוון באחד מאלו וכיוצא בהן להשביח האוכל נקראין תבלין, « Si l'on avait l'intention, en utilisant l'un des ingrédients mentionnés ci-dessus ou d'autres similaires, d'améliorer le plat, alors ils sont appelés tavlin ».
Il faudrait sans doute, pour être complet et pour aller dans le sens du Rambam, étudier la sugya correspondante dans le Yerushalmi (Orla II, 5), où l'on trouve même une notion de noten taam lishvah muttar...

vendredi 18 mai 2012

Divers klalim sur min be-mino : Ran sur Nedarim 52a, Tossefot sur Beitsa 38b-39a, Ramban sur AZ 66a

Définition de min be-mino selon le Ran (sur Nedarim 52a)

On connaît la mahloket entre Rabbanan et Rabbi Yehuda concernant min be-mino, dans la sugya dite de dam ha-par ve-dam ha-sa'ir (Menahot 22a) : pour Rabbanan il n'y a pas de bittul d'un dam dans l'autre parce que les deux sont kesherim la-zerika, pour Rabbi Yehuda il n'y a pas de bittul parce qu'il n'y a jamais de bittul dans min be-mino. Le Ran, qui vise dans le contexte de Nedarim à élucider pourquoi un davar she-yesh lo matirim n'est pas batel dans min be-mino mais est batel be-shishim dans min be-she-eino mino, explique que la logique de Rabbi Yehuda est qu'il n'y a pas de bittul dans min be-mino parce les deux éléments sont en fait la même chose et que donc, loin de s'annuler, ils se renforcent, se confirment l'un l'autre. Et, continue le Ran, en vérité, Rabbanan sont d'accord sur ce postulat fondamental. Après tout, il est bien clair que de la viande de bœuf cachère, par exemple, ne peut pas être batel dans de la viande de bœuf cachère : cela n'aurait aucun sens, puisqu'il s'agit de la même chose. Rabbanan et Rabbi Yehuda sont en désaccord sur le critère qui permet de définir si c'est « la même chose » (min be-mino) ou pas : pour Rabbi Yehuda c'est l'identité naturelle, essentielle, de l'objet (dimion ha-etsem), pour Rabbanan c'est l'identité de statut halakhique, permis ou interdit (dimion ha-heter). Pour Rabbanan comme pour Rabbi Yehuda, si les divers éléments sont de même etsem et de même din, il s'agit d'un min be-mino absolu et il n'y a pas de bittul : c'est le cas de dam ha-par ve-dam ha-sa'ir. Pour Rabbi Yehuda, deux éléments seront min be-mino dès lors qu'il sont de même etsem (par exemple de la viande de bœuf), même si l'un est muttar et l'autre assur ; pour Rabbanan au contraire, selon l'explication du Ran, deux éléments seront min be-mino au sens où il n'y aura pas de bittul possible lorsque l'on sera dans du heter be-heter, même quand le etsem est différent, par exemple de la viande et du pain (shita qui n'est pas sans poser quelques problèmes au niveau de la halakha : cf. Rama sur YD 99, 6, qui explique que, si du lait a été rendu batel dans un volume d'eau 60 fois supérieur, on peut cuire de la viande dans cette eau infinitésimalement lactée, même si la viande en elle-même ne représente pas 60 fois le volume initial de lait ; cf. également Pri Megadim, petiha sur hilkhot Taarovet II, 1, halav haya be-halav shehuta) ; par contre, dès que l'on sera dans un issur be-heter, on ne sera déjà plus pour Rabbanan dans du min be-mino absolu (même si on continuera à appeler cela du min be-mino en regard du etsem) et il y aura donc bien bittul.
C'est à partir de cela que le Ran hiérarchise les différents types de davar she-yesh lo matirim. Le premier type de davar she-yesh lo matirim se définit par rapport au critère temporel : par exemple, un aliment interdit à cause d'un neder, dans la mesure où tout neder a vocation à être annulé, est donc totalement interdit à présent mais sera totalement permis à un moment du futur. Cet aliment a donc à la fois un aspect permis et un aspect interdit ; selon Rabbanan qui définissent min be-mino et min be-she-eino mino selon le heter et le issur, il est donc entre les deux sur cette échelle : c'est pourquoi, selon le Ran, ils ont été mahmir quant à son bittul dans un cas de min be-mino d'après le etsem (puisqu'il s'agit alors d'un min be-mino selon le etsem et d'un quasi min be-mino selon le heter, et qu'on se rapproche donc d'un min be-mino absolu comme dam ha-par) mais pas en cas de min be-she-eino mino selon le etsem (même si, selon le heter, il ne s'agit pas non plus d'un min be-she-eino mino véritable).
Le deuxième type de davar she-yesh lo matirim se définit par rapport au critère spatial : quelque chose qui est déjà complètement permis maintenant, mais pas partout. Le Ran en voit un exemple en Beitsa 38b-39a, à propos d'une femme A qui, pendant Yom Tov, a pétri une pâte avec du sel et de l'eau prêtés par une femme B : le pain qui en résulte ne peut être consommé que dans l 'espace commun aux tehumim des deux femmes. Pour le Ran, le sel et l'eau sont min be-she-eino mino par rapport à la farine, mais dans la mesure où ils sont consommables immédiatement, quoique pas en tout lieu, il s'agit d'un davar she-yesh lo matirim encore plus proche du heter qu'un davar she-yesh lo matirim temporel et donc, pour Rabbanan, il convient d'être encore plus mahmir quant à son non-bittul puisqu'on est très proche du min be-mino en termes de heter be-heter : on est donc gozer non seulement dans min be-mino, mais même dans min be-she-eino mino.
Le troisième type de davar she-yesh lo matirim envisagé par le Ran se définit par rapport au critère de l'objet (objectif). Le Ran en voit un exemple dans le Rif à propos d'un pain cuit dans un four en même temps qu'un rôti de viande (Rif Hullin 32b d'après Pesahim 76b), qu'on n'a pas le droit de manger avec du fromage. Le Rif explique que, bien que la halakha suive Levi1 pour lequel reiha lav milta hi, « le fumet n'a pas de pertinence halakhique », il faut comprendre que reiha est en réalité une forme de taam, mais tellement faible qu'il est toujours batel, peu importe les proportions. Cela suppose cependant qu'un bittul soit en soi possible. Or, dans le cas du fumet de viande imprégné dans le pain, on est dans du heter be-heter gamur puisque le résultat est parfaitement consommable dès maintenant en tout lieu. Il n'y a donc pas de bittul, le pain a un statut bassari et il est interdit de le consommer avec du lait. On notera cependant que le Ran sur le Rif là-bas (Hullin 32b) réfute cette approche en expliquant que si le fromage avait été cuit directement dans le même four que la viande, bediavad il ne serait pas interdit à cause de reiha et qu'il n'est pas raisonnable, dans la même logique de reiha, d'être plus mahmir dans le cas du pain. Il explique que ce cas du pain relève des humrot classiques de bassar be-halav et non de la stricte logique de reiha.
Le dernier type de davar she-yesh lo matirim envisagé par le Ran se définit par rapport au critère de la personne (subjectif). Le Ran en trouve un exemple dans Yevamot 81b-82a à propos d'un morceau de viande hatat mélangé dans des morceaux de viande hullin et pour lequel il n'y a pas bittul. Rav Ashi dit que la raison de ce non-bittul est à chercher dans le statut de davar she-yesh lo matirim de ce morceau de viande hatat : en effet il est interdit à un israël mais permis à un cohen. La Gemara rétorque cependant que cette approche est erronée car cette viande sera toujours interdite au israël et permise au cohen : dès lors, explique le Ran, il n'y a aucune raison d'imposer une humra au israël à cause du heter présent du côté du cohen, puisque jamais le israël ne deviendra cohen : pour le israël, le morceau de viande hatat n'est donc pas davar she-yesh lo matirim.
La hiérarchie des min be-mino en termes de heter et de issur est donc pour le Ran la suivante :


Exemple type
din
Heter be-heter absolu
Dam ha-par ve-dam ha-sa'ir
Pas de bittul deOrayta, dans min be-mino comme dans min be-she-eino mino
Davar she-yesh lo matirim objectif
Pain cuit dans le même four que de la viande
Selon le Rif, pas de bittul du reiha (deRabbanan)
Davar she-yesh lo matirim spatial
Eau et sel à yom tov
Pas de bittul ni dans min be-mino ni dans min be-she-eino mino (deRabbanan)
Davar she-yesh lo matirim temporel
neder
Pas de bittul dans min be-mino (deRabbanan)
Issur be-heter
Viande taref dans viande cachère
Bittul même dans min be-mino


Autres remarques sur min be-mino

Nous avons évoqué la sugya dans Beitsa 38b à propos de la pâte fabriquée avec de l'eau et du sel qui sont davar she-yesh lo matirim dans ce contexte. Le Ran a défini que cette configuration devait être analysée comme un min be-she-eino mino et que le non-bittul s'expliquait par le fait que le davar she-yesh lo matirim était de type spatial, et donc plus proche du heter que le davar she-yesh lo matirim temporel pour lequel le non-bittul n'est décrété que dans min be-mino. Tossefot sur place adopte cependant une autre approche : ils maintiennent que c'est bien uniquement dans min be-mino que davar she-yesh lo matirim n'est pas batel et définissent l'eau et le sel comme min be-mino par rapport au pain final, dans la mesure où il s'agit d'éléments indispensables à la fabrication du pain : il n'y aurait pas de pain sans eau ou sans sel, il s'agit donc du même objet, en tout cas dans ce contexte là – on n'ira pas jusqu'à dire que du pain qui tombe dans l'eau est également min be-mino.
Min be-mino se définit donc non seulement selon la nature physique des choses, mais aussi en fonction du contexte dans lequel elles sont mélangées.

Par ailleurs, le Ramban (sur Avoda Zara 66a) explique que du levain (seor) et de la pâte (issa) doivent, d'après la mishna de Orla (perek 2, kol ha-mehamets) sont min be-mino alors même qu'a priori ils ne répondent ni au critère d'Abayé – le taam – ni au critère de Rava – le shem. Le fait que les deux soient fabriqués à partir de froment, par exemple, ne devrait pas être suffisant pour dire qu'ils partagent le même min puisque l'on voit bien que, pour Rava, du vin jeune et du raisin ne sont pas min be-mino alors même qu'il s'agit à l'origine du même produit et qu'ils partagent en plus le même goût, comme le montre la position d'Abayé. Le Ramban explique qu'il s'agit dans le cas du levain et de la pâte de min be-mino parce qu'il est dans la nature de la pâte de fermenter et de devenir à son tour du levain : il s'agit d'un processus naturel et inévitable, alors que du raisin ne se transforme pas tout seul en jus de raisin. On peut peut-être trouver un distinguo similaire en Gittin 85ba.
1On notera que le Shulhan Arukh (YD 108) est quant à lui possek comme Tossefot, que la halakha suit Rav pour lequel reiha milta hi – mais uniquement dans un petit four non ventilé.

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