Bienvenue sur le blog Yoreh Deah !
Comme son titre l'indique, il est consacré aux questions de איסור והיתר, et plus spécifiquement aux questions de cacherout à partir des textes : Gemara 'Hullin, Yoreh Deah, Pri Megadim... que j'essaie modestement d'enseigner dans divers batei midrashim parisiens.
Vous retrouverez ici le programme de mes cours, mais aussi leurs enregistrements vidéo semaine après semaine, les archives audio des années précédentes, ainsi que des synthèses sous forme de textes.

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Niveau avancé: le lundi soir de 21h à 22h30, à la Yéchiva des étudiants de Paris, 10 rue Cadet, dans le bureau du haut.
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En espérant vous voir nombreux !

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mardi 3 juillet 2012

Mehamets et Metavel, suite

(Comme prévu, j'ai avancé sur le Pri Hadash afin qu'on puisse repasser sur la Gemara.)



La signification apparente de la Mishna dans Orla ainsi que du Rambam (hilkhot maakhalot assurot 16) est que mehamets et metavel ne sont osserim que dans min be-mino davka. Pour autant, le Pri Hadash entend démontrer que mehamets (et par voie de conséquence metavel, puisque les deux vont toujours ensemble) est forcément osser même dans mbsem. La raison en est que d’une part on trouve clairement la notion de mehamets même dans mbsem, avec un agent levant à base de pomme (Terumot 10, 2, repris par le Rambam), d’autre part parce que mehamets interdit du fait que, selon le langage du Rambam, nikeret pe’ulato, « son effet est perceptible. Autrement dit la logique est la même que pour ma’amid, un agent qui apporte une contribution essentielle à la forme présente de l’objet.

Sur la notion de ma’amid même il importe d’apporter plusieurs précisions annexes. Il existe une variété de shittot. Essentiellement, la notion de ma’amid apparaît dans la fabrication du fromage : il s’agit de l’agent qui va faire cailler le lait et va ainsi le faire passer d’une forme liquide à une forme solide. Généralement cet agent est un extrait de panse animale, qui contient les enzymes nécessaires à cette fermentation (nous préparons bsd une synthèse des teshuvot essentielles sur cette question). La Mishna dans Hullin (116a) affirme qu’un ma’amid issu de viande cachère ne pose un problème de bassar be-halav que dans la mesure où il y a netitat ta’am.
La première shitta sur cette notion de ma’amid dans bassar be-halav est celle du Ri Migash, reprise par le Ran et par la suite par le Shul’han ‘Arukh. Elle explique que la nature de ma’amid de la viande cachère empêche son bittul mais que la coprésence de bassar et de halav n’est pas une condition suffisante pour former l’objet interdit bassar be-halav : encore faut-il que soit remplir le critère de netinat ta’am, c’est-à-dire d’une proportion supérieure ou égale à 1/60e (derekh bishul assera Torah, Hullin 108a). Par contre, si le ma’amid est en lui-même interdit (de l’estomac de bête non cachère par exemple), alors son non-bittul interdit de facto tout le mélange.
La deuxième shitta, attribuée à Rabbeinu Tam (Sefer ha-Yashar Hiddushim 474), semble induire qu’il n’y a jamais de véritable problème de ma’amid mais seulement de netinat taam.
La troisième shitta, attribuée au Raavad et reprise par le Ramban, est que dans le cas de maamid taref il n’est pas nécessaire d’avoir recours à la notion de maamid pour interdire, par exemple dans le cas du fromage fabriqué par un non-Juif : en effet, explique cette shitta, quand il s’agit d’aliments confectionnés par des non-Juifs, on ne peut pas se baser sur la te’ima (test de goût en conditions réelles) pour permettre au cas par cas si le taam n’est pas perceptible. La conséquence, dont l’impact sur les questions de cacherout contemporaine nous paraît fondamentale, est que dans le cas de produits alimentaires fabriqués par des non-Juifs les règles de bittul taam sont peut-être plus strictes que dans les cas classiques. Toujours est-il que cette troisième shitta, si elle se dispense du ressort de maamid pour interdire le fromage des non-Juifs (on considère simplement que tout élément taref inséré volontairement par un non-Juif ne saurait être considéré comme batel, qu’il soit ou non maamid effectivement), n’en nie pas pour autant la pertinence dans d’autres cas.
La troisième shitta, qui s’oppose diamétralement à la première, est celle rapportée par le Mordekhai (Hullin, par. 733) qui considère que la netinat taam en jeu dans la définition de bassar be-halav n’est elle-même qu’une modalité de la coprésence du bassar et du halav : coprésence qui est généralement obtenue du fait de la netinat taam mais qui peut aussi bien être obtenue par une haamada : un maamid crée donc du bassar be-halav au même titre que la netinat taam.

Ces quatre shittot ne portent que sur la notion de maamid dans bassar be-halav ; mais toutes sont d’accord (en tout cas la première et la dernière, et assez clairement la troisième – la deuxième n’est pas assez explicite) pour reconnaître que quand le maamid est en lui-même interdit il existe bien cette notion de issur maamid, comme la Mishna elle-même l’avance (Orla 1, 7). Or non seulement il est clair que mehamets ne saurait être raisonnablement distingué de maamid en terme de pe’ula, mais de plus même ceux qui défendraient la shitta selon laquelle il n’y a pas de issur maamid devraient admettre la notion de issur mehamets à cause de ce que dit la Gemara, shani seor she-himutso kasheh (Hullin 99b), « le cas du levain est différent parce que son pouvoir levant est puissant ». Toutes ces raisons suffisent au Pri Hadash pour conclure que le issur mehamets ne saurait se limiter au cas de min be-mino.

On peut encore, explique-t-il, ramener un autre élément. Le issur de metavel ne fait véritablement sens que dans mbsem : dans mbm, l’effet gustatif des tavlin n’est absolument pas distinguable. Metavel n’interdit donc dans mbm qu’à mesure qu’il est susceptible d’interdire dans mbsem. Donc metavel ne peut pas être valable que dans mbm, et dans la mesure où metavel et mehamets sont liés, alors mehamets non plus.

Tout cela semble bien fondé, mais est quand même difficilement réconciliable avec le pshat de la Mishna et surtout du Rambam (perek 16). Autant on peut défendre que dans la Mishna (Orla 2, 7) la notion de netinat taam inclut aussi mehamets en tant que tel, c’est-à-dire en tant que pe’ula, et pas seulement taam au sens strict – et le Pri Hadash propose une lecture cohérente de la Mishna dans ce sens –, autant quand le Rambam (16, 14) semble clairement exiger la condition de min be-mino pour illustrer le issur de mehamets. Le texte s’énonce ainsi :
תבלין שהם שניים או שלושה שמות ממין אחד, או שלושה מינין משם אחד--מצטרפין לתבל ולאסור, וכן לחמץכיצדשאור של חיטין ושאור של שעורין--הואיל ושם שאור אחד הוא--אינן כמין ושאינו מינו, אלא הרי הן כמין אחד; ומצטרפין לשער בהן כדי לחמץ בעיסה של חיטין, אם היה טעם שניהן טעם חיטין, או כדי לחמץ בעיסה של שעורין, אם היה טעם שניהן טעם שעורין.



Autrement dit, le tsiruf des issurim se fait au niveau du shem, c'est-à-dire, comme le Pri Hadash lui-même l'a expliqué, au niveau de la pe'ula : l'un comme l'autre sont seor. Ensuite, pour que ce seor mixte interdise la pâte, encore faut-il, explique le Rambam, qu'il soit de même goût qu'elle. La raison pour laquelle ce critère est requis est clair : pour que le seor et la pâte soient quand même considérés comme min be-mino, bien qu'ils ne partagent pas le même shem (on notera ici que le Rambam considère qu'un levain de froment et une pâte de froment ont en commun le goût de froment, alors que le Ramban tenait, lui, que le goût du levain était fondamentalement différent de celui d'une pâte de même origine. Leur définition de ce qui constitue un goût commun est donc différente : pour le Ramban, c'est le goût constaté qui est pris en compte en tant que tel, alors que pour le Rambam, le goût, dans le présent cas à tout le moins, fonctionne essentiellement comme le signe d'une origine commune). Reprenons. Le siman 16, 14 en question porte avant tout sur le tseruf d'issurim, et seulement incidemment sur le issur de mehamets. Le Rambam pouvait s'arrêter à l'explication de tseruf des seorim. S'il précise qu'il est encore nécessaire de déterminer le min du seor en regard du min de la pâte, s'est bien parce qu'il y a une différence entre min be-mino et min be-she-eino mino dans un tel cas. Au demeurant, le Pri Hadash reconnaît qu'il n'a pas de solution satisfaisante pour cette halakha du Rambam dans le cadre de sa shitta.



En retour, il est vrai que la shitta du Minhat Kohen que repousse le Pri Hadash, à savoir qu'effectivement, mehamets et metavel n'est un issur distinct de noten taam au sens strict que dans min be-mino est difficile à défendre, tant sur le plan de la svara que sur celui des nombreuses mishnayot et autres sources ramenées par le Pri Hadash. C'est cette difficulté qui amène les mefarshim ultérieurs à proposer des solutions originales. Le Rosh Yossef en particulier imagine des configurations où la définition de min be-mino est autonomisée par rapport à celle de la proximité de taam. Ainsi, sur la base du Tossefot Beitsa 39b, il explique que tout ingrédient ajouté volontairement à un mélange et qui en devient un élément essentiel de sa définition rentre dans la catégorie de min be-mino, à l'instar de l'eau et du sel par rapport à la farine du pain. Cette explication se heurte cependant à plusieurs difficultés, que le Rosh Yossef relève d'ailleurs pour la plupart lui-même : le Rambam, s'il est vrai qu'il définit (dans son peirush ha-Mishna) un metavel comme fonction de l'intention de la personne, ce n'est que le-humra, car il parle aussi du issur de mehamets quand le levain est tombé par erreur ; à l'inverse, si l'on maintient qu'un levain tombé par erreur n'est pas osser au titre de mehamets, cela serait valable même dans le cas où sa pe'ula serait perceptible, et au titre de la svara du Pri Hadash on ne voit pas pourquoi on serait mekil dans un tel cas – sauf à soutenir que le issur mehamets est un pur issur deRabbanan et qu'ils n'ont été gozerim que dans min be-mino davka. Mais dans ce cas-là, selon quelle logique ? Les mêmes remarques peuvent être opposées à une autre solution qu'avance le Rosh Yossef, à savoir qu'il faut lire le min be-mino de la Mishna et du Rambam selon la shitta de batar shema azlinan. On expliquerait ainsi, en particulier, comment il peut y avoir un issur de metavel dans min be-mino (cf. d'ailleurs le Hazon Ish taarovet 27, 6 qui ramène à ce propos le cas théorique de piments à divers degrés de maturité). Cela nous paraît cependant difficilement tenable dans la mesure où cela ne répond toujours pas à la kushia fondamentale du Pri Hadash, à savoir pourquoi on serait mekil dans un min be-she-eino mino quel qu'il soit (afilo lo shave lo be-taama ve-lo bi-shma) dans la mesure où pe'ulato nikeret, comme on le voit pourtant dès la Mishna à propos d'un agent levant issu de fruits ; de plus, comme le Rosh Yossef le note encore lui-même, la sugya de mehamets dans Hullin 99b implique Abayé. Il est donc indispensable d'être capable d'expliquer la Mishna aussi selon sa shitta qui veut que batar taama azlinan.



Beezrat Hashem, l'analyse de Rashi et Tossefot sur cette sugya, complétée par une analyse très pénétrante du Lev Arieh, nous permettra de démêler un peu cet écheveau.



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