Bienvenue sur le blog Yoreh Deah !
Comme son titre l'indique, il est consacré aux questions de איסור והיתר, et plus spécifiquement aux questions de cacherout à partir des textes : Gemara 'Hullin, Yoreh Deah, Pri Megadim... que j'essaie modestement d'enseigner dans divers batei midrashim parisiens.
Vous retrouverez ici le programme de mes cours, mais aussi leurs enregistrements vidéo semaine après semaine, les archives audio des années précédentes, ainsi que des synthèses sous forme de textes.

Horaires des cours proposés :
Niveau avancé: le lundi soir de 21h à 22h30, à la Yéchiva des étudiants de Paris, 10 rue Cadet, dans le bureau du haut.
Niveau intermédiaire : le dimanche matin de 11h à 12h à Ohalei Yaacov au 11, rue Henri-Murger, à l'étage sur la gauche.
En espérant vous voir nombreux !

Rechercher dans ce blog

vendredi 25 mai 2012

Suite du Rambam : la notion de pe'ula


Le Pri Hadash répond qu'il aurait été possible d'établir la mishna dans Shabbat en accord avec ce qu'il a établi comme étant la lecture que, selon Rambam, Rava donne de la mishna dans Orla, à savoir qu'il n'y a tsiruf que s'il y a un min commun ou au moins un shem commun ; et on pourrait même comprendre la Gemara dans Shabbat, qui rapporte Hezekia, comme une manière d'exacerber la contradiction apparente entre la mishna dans Shabbat (qui semble dire qu'il y a toujours tsiruf même quand les shemot et les minim sont différents) et la beraïta dans Orla qui, dans une telle configuration, demande au minimum le critère de Hezekia, même selon Rabbi Meïr. Le problème est que Rambam, dans Hilkhot Shabbat IX, 5, rapporte cette mishna de Shabbat sans autre précision, alors qu'on aurait attendu qu'il précise qu'il faut, en accord avec Rava, qu'il y ait ou le min ou le shem de commun. Le Pri Hadash avance alors la réponse que nous avions rapportée dans l'analyse de Tossefot (et, mistama, c'est parce que nous souvenions du Pri Hadash que nous l'avions retrouvée), à savoir que le tsiruf fonctionne dans Shabbat même selon le seul critère de Hezekia et même si l'on est possek que la halakha n'est par ailleurs pas comme Rabbi Meir parce que le critière de lefi she rauy lematek bah et ha-kadeira n'est pas un critère de taam mais un critère de pe'ula : il s'agit ici de l'effet produit par ces tavlin, effet recherché qui correspond à leur usage standard ; or c'est précisément cet usage standard qui est déterminant dans ces hilkhot shabbat. Mais alors, répond le Pri Hadash, si l'effet gustatif (qui se différencie, au fur et à mesure de notre analyse, de plus en plus du taam) est un aspect essentiel de la définition des tavlin, pourquoi n'est-il pas pris en compte également dans hilkhot maakhalot assurot ?
La hasaga du Raavad permet d'approfondir ce problème. Elle est proche de la remarque de Tossefot sur Rashi : si le shem n'est en fait qu'une sous-catégorie de min, il ne sert à rien ; s'il renvoie à une simple homonymie, on ne voit pas pourquoi cela aurait un impact halakhique. Et, de fait, on voit dans le peirush sur la Mishna que le Rambam définissait aussi les différents karpass comme exemple de même shem pour des minim différents, alors que c'est l'inverse dans le Mishneh Torah. Le Pri Hadash explique qu'il est revenu sur son premier avis précisément à cause du problème de l'homonymie, qui ne saurait avoir d'impact halakhique, et qu'il définit le shem halakhiquement valable comme un shem reflétant une pe'ula : ainsi les différents types de levain, qui ont tous le même effet, ou les différents types de vinaigre, même si leurs composants sont différents. Par contre, les différents types de karpass, si l'on estime qu'ils ont des effets différents, ne peuvent donc pas être considérés comme partageant le même shem (sinon une simple homonymie) et sont mistarefin du fait qu'ils sont de même min. Le Pri Hadash rapporte une explication alternative (qui se trouve déjà chez le Ramban) selon laquelle seor shel hitin ve-seor shel se'orim sont shem ehad parce qu'on les désigne communément comme seor sans autre qualificatif tandis que les différents karpass sont des shemot différents parce qu'on précise systématiquement « karpass shel neharot » ou « karpass shel gina » ; il ne voit cependant pas la pertinence de cette distinction, la qualifiant de « divrei neviut » (autrement dit, ça sort un peu de nulle part). Il me semble que cette distinction va en fait précisément dans son sens. En effet, si l'on prend le langage non pas selon son aspect de description objective du monde mais selon son aspect de communication, on comprend tout à fait que si l'usage est identique pour les différents types de seor, même si leurs composants sont différents, on peut dire à quelqu'un « mets du seor dans cette pâte » ; par contre, si l'usage est différent, même si le min est identique, on ne peut pas dire stam à quelqu'un « mets du piment dans ce plat », parce que l'effet du piment doux est très différent de celui du piment de cayenne : on est obligé de préciser « piment doux » ou « piment de cayenne ». L'usage détermine donc le shem, et parfois ce shem n'est pas un seul mot mais un syntagme dont l'un des éléments est le min, justement dans les cas où il n'y a pas de correspondance exacte entre l'identité de min et l'identité de pe'ula.
Les exemples donnés dans le peirush ha-Mishna corroborent cette lecture. Là-bas, on donne comme exemple de même min mais shemot différents la qâlqah en arabe classique, hâl ou hîl en arabe moderne, qui signifie selon R. Kaffah la cardamome : on conçoit très bien que les différents types de cardamome (blanche, verte, etc.), même s'il s'agit exactement de la même plante à différents stades de maturation, sont employés dans des usages différents parce que leurs effets gustatifs sont différents. À l'inverse, explique encore R. Kaffah, il existe des tavlin qui, bien qu'ils appartiennent à des espèces botaniques différentes, se prêtent à un même usage (comme le karpass ici, contrairement au Mishneh Torah), et de ce fait portent le même shem. Cela reflète deux modes de rapport au monde : soit on envisage les objets selon leur nature « scientifique » ou « naturelle » - c'est le min -, soit on les envisage en tant qu'outils, selon leur usage – c'est le shem. Par contre, il est important de préciser que pour Rava et pour le Rambam à sa suite, une identité de pe'ula qui ne se reflèterait pas dans l'identité des shemot ne serait pas suffisante à établir un tsiruf et, plus globalement, un min be-mino – sauf d'après Rabbi Meir.
Le critère intervient cependant pour définir ce qu'on appelle tavlin. Le Rambam, dans le peirush ha-Mishna, précise bien qu'on n'appelle pas seulement tavlin les épices, comme le poivre ou la cannelle, mais que cela inclut également tout ce qui s'utilise pour relever le goût d'un plat, comme l'ail, l'oignon, le vin ou l'huile. Or il est bien clair que l'oignon peut s'utiliser aussi comme légume, dans une salade par exemple, ou dans une soupe à l'oignon ; mais ce n'est pas le même usage que quand on prépare un fond d'oignons pour un autre type de plat. Dans le premier cas, on utilise l'oignon en tant qu'oignon, on recherche le goût et éventuellement la texture de l'oignon : le critère essentiel est alors le taam. Dans le second cas, on ne cherche pas à donner un goût d'oignon, mais à rehausser le goût de la viande ou d'autre chose : on recherche la pe'ula de l'oignon en tant qu'exhausteur de goût. Le critère est donc non pas le taam mais la pe'ula, ce qui est sensiblement différent. On comprend mieux pourquoi la mishna regroupe les cas de mehamets et de metavel et semble les distinguer de la netinat taam classique : en effet, dans metavel comme dans mehamets, la netinat taam est secondaire par rapport à la pe'ula. Et un même ingrédient peut avoir un din de tavlin ou non selon l'usage que l'on en fait. Selon les mots du Rambam, אם נתכוון באחד מאלו וכיוצא בהן להשביח האוכל נקראין תבלין, « Si l'on avait l'intention, en utilisant l'un des ingrédients mentionnés ci-dessus ou d'autres similaires, d'améliorer le plat, alors ils sont appelés tavlin ».
Il faudrait sans doute, pour être complet et pour aller dans le sens du Rambam, étudier la sugya correspondante dans le Yerushalmi (Orla II, 5), où l'on trouve même une notion de noten taam lishvah muttar...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Translate