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Comme son titre l'indique, il est consacré aux questions de איסור והיתר, et plus spécifiquement aux questions de cacherout à partir des textes : Gemara 'Hullin, Yoreh Deah, Pri Megadim... que j'essaie modestement d'enseigner dans divers batei midrashim parisiens.
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vendredi 18 mai 2012

Divers klalim sur min be-mino : Ran sur Nedarim 52a, Tossefot sur Beitsa 38b-39a, Ramban sur AZ 66a

Définition de min be-mino selon le Ran (sur Nedarim 52a)

On connaît la mahloket entre Rabbanan et Rabbi Yehuda concernant min be-mino, dans la sugya dite de dam ha-par ve-dam ha-sa'ir (Menahot 22a) : pour Rabbanan il n'y a pas de bittul d'un dam dans l'autre parce que les deux sont kesherim la-zerika, pour Rabbi Yehuda il n'y a pas de bittul parce qu'il n'y a jamais de bittul dans min be-mino. Le Ran, qui vise dans le contexte de Nedarim à élucider pourquoi un davar she-yesh lo matirim n'est pas batel dans min be-mino mais est batel be-shishim dans min be-she-eino mino, explique que la logique de Rabbi Yehuda est qu'il n'y a pas de bittul dans min be-mino parce les deux éléments sont en fait la même chose et que donc, loin de s'annuler, ils se renforcent, se confirment l'un l'autre. Et, continue le Ran, en vérité, Rabbanan sont d'accord sur ce postulat fondamental. Après tout, il est bien clair que de la viande de bœuf cachère, par exemple, ne peut pas être batel dans de la viande de bœuf cachère : cela n'aurait aucun sens, puisqu'il s'agit de la même chose. Rabbanan et Rabbi Yehuda sont en désaccord sur le critère qui permet de définir si c'est « la même chose » (min be-mino) ou pas : pour Rabbi Yehuda c'est l'identité naturelle, essentielle, de l'objet (dimion ha-etsem), pour Rabbanan c'est l'identité de statut halakhique, permis ou interdit (dimion ha-heter). Pour Rabbanan comme pour Rabbi Yehuda, si les divers éléments sont de même etsem et de même din, il s'agit d'un min be-mino absolu et il n'y a pas de bittul : c'est le cas de dam ha-par ve-dam ha-sa'ir. Pour Rabbi Yehuda, deux éléments seront min be-mino dès lors qu'il sont de même etsem (par exemple de la viande de bœuf), même si l'un est muttar et l'autre assur ; pour Rabbanan au contraire, selon l'explication du Ran, deux éléments seront min be-mino au sens où il n'y aura pas de bittul possible lorsque l'on sera dans du heter be-heter, même quand le etsem est différent, par exemple de la viande et du pain (shita qui n'est pas sans poser quelques problèmes au niveau de la halakha : cf. Rama sur YD 99, 6, qui explique que, si du lait a été rendu batel dans un volume d'eau 60 fois supérieur, on peut cuire de la viande dans cette eau infinitésimalement lactée, même si la viande en elle-même ne représente pas 60 fois le volume initial de lait ; cf. également Pri Megadim, petiha sur hilkhot Taarovet II, 1, halav haya be-halav shehuta) ; par contre, dès que l'on sera dans un issur be-heter, on ne sera déjà plus pour Rabbanan dans du min be-mino absolu (même si on continuera à appeler cela du min be-mino en regard du etsem) et il y aura donc bien bittul.
C'est à partir de cela que le Ran hiérarchise les différents types de davar she-yesh lo matirim. Le premier type de davar she-yesh lo matirim se définit par rapport au critère temporel : par exemple, un aliment interdit à cause d'un neder, dans la mesure où tout neder a vocation à être annulé, est donc totalement interdit à présent mais sera totalement permis à un moment du futur. Cet aliment a donc à la fois un aspect permis et un aspect interdit ; selon Rabbanan qui définissent min be-mino et min be-she-eino mino selon le heter et le issur, il est donc entre les deux sur cette échelle : c'est pourquoi, selon le Ran, ils ont été mahmir quant à son bittul dans un cas de min be-mino d'après le etsem (puisqu'il s'agit alors d'un min be-mino selon le etsem et d'un quasi min be-mino selon le heter, et qu'on se rapproche donc d'un min be-mino absolu comme dam ha-par) mais pas en cas de min be-she-eino mino selon le etsem (même si, selon le heter, il ne s'agit pas non plus d'un min be-she-eino mino véritable).
Le deuxième type de davar she-yesh lo matirim se définit par rapport au critère spatial : quelque chose qui est déjà complètement permis maintenant, mais pas partout. Le Ran en voit un exemple en Beitsa 38b-39a, à propos d'une femme A qui, pendant Yom Tov, a pétri une pâte avec du sel et de l'eau prêtés par une femme B : le pain qui en résulte ne peut être consommé que dans l 'espace commun aux tehumim des deux femmes. Pour le Ran, le sel et l'eau sont min be-she-eino mino par rapport à la farine, mais dans la mesure où ils sont consommables immédiatement, quoique pas en tout lieu, il s'agit d'un davar she-yesh lo matirim encore plus proche du heter qu'un davar she-yesh lo matirim temporel et donc, pour Rabbanan, il convient d'être encore plus mahmir quant à son non-bittul puisqu'on est très proche du min be-mino en termes de heter be-heter : on est donc gozer non seulement dans min be-mino, mais même dans min be-she-eino mino.
Le troisième type de davar she-yesh lo matirim envisagé par le Ran se définit par rapport au critère de l'objet (objectif). Le Ran en voit un exemple dans le Rif à propos d'un pain cuit dans un four en même temps qu'un rôti de viande (Rif Hullin 32b d'après Pesahim 76b), qu'on n'a pas le droit de manger avec du fromage. Le Rif explique que, bien que la halakha suive Levi1 pour lequel reiha lav milta hi, « le fumet n'a pas de pertinence halakhique », il faut comprendre que reiha est en réalité une forme de taam, mais tellement faible qu'il est toujours batel, peu importe les proportions. Cela suppose cependant qu'un bittul soit en soi possible. Or, dans le cas du fumet de viande imprégné dans le pain, on est dans du heter be-heter gamur puisque le résultat est parfaitement consommable dès maintenant en tout lieu. Il n'y a donc pas de bittul, le pain a un statut bassari et il est interdit de le consommer avec du lait. On notera cependant que le Ran sur le Rif là-bas (Hullin 32b) réfute cette approche en expliquant que si le fromage avait été cuit directement dans le même four que la viande, bediavad il ne serait pas interdit à cause de reiha et qu'il n'est pas raisonnable, dans la même logique de reiha, d'être plus mahmir dans le cas du pain. Il explique que ce cas du pain relève des humrot classiques de bassar be-halav et non de la stricte logique de reiha.
Le dernier type de davar she-yesh lo matirim envisagé par le Ran se définit par rapport au critère de la personne (subjectif). Le Ran en trouve un exemple dans Yevamot 81b-82a à propos d'un morceau de viande hatat mélangé dans des morceaux de viande hullin et pour lequel il n'y a pas bittul. Rav Ashi dit que la raison de ce non-bittul est à chercher dans le statut de davar she-yesh lo matirim de ce morceau de viande hatat : en effet il est interdit à un israël mais permis à un cohen. La Gemara rétorque cependant que cette approche est erronée car cette viande sera toujours interdite au israël et permise au cohen : dès lors, explique le Ran, il n'y a aucune raison d'imposer une humra au israël à cause du heter présent du côté du cohen, puisque jamais le israël ne deviendra cohen : pour le israël, le morceau de viande hatat n'est donc pas davar she-yesh lo matirim.
La hiérarchie des min be-mino en termes de heter et de issur est donc pour le Ran la suivante :


Exemple type
din
Heter be-heter absolu
Dam ha-par ve-dam ha-sa'ir
Pas de bittul deOrayta, dans min be-mino comme dans min be-she-eino mino
Davar she-yesh lo matirim objectif
Pain cuit dans le même four que de la viande
Selon le Rif, pas de bittul du reiha (deRabbanan)
Davar she-yesh lo matirim spatial
Eau et sel à yom tov
Pas de bittul ni dans min be-mino ni dans min be-she-eino mino (deRabbanan)
Davar she-yesh lo matirim temporel
neder
Pas de bittul dans min be-mino (deRabbanan)
Issur be-heter
Viande taref dans viande cachère
Bittul même dans min be-mino


Autres remarques sur min be-mino

Nous avons évoqué la sugya dans Beitsa 38b à propos de la pâte fabriquée avec de l'eau et du sel qui sont davar she-yesh lo matirim dans ce contexte. Le Ran a défini que cette configuration devait être analysée comme un min be-she-eino mino et que le non-bittul s'expliquait par le fait que le davar she-yesh lo matirim était de type spatial, et donc plus proche du heter que le davar she-yesh lo matirim temporel pour lequel le non-bittul n'est décrété que dans min be-mino. Tossefot sur place adopte cependant une autre approche : ils maintiennent que c'est bien uniquement dans min be-mino que davar she-yesh lo matirim n'est pas batel et définissent l'eau et le sel comme min be-mino par rapport au pain final, dans la mesure où il s'agit d'éléments indispensables à la fabrication du pain : il n'y aurait pas de pain sans eau ou sans sel, il s'agit donc du même objet, en tout cas dans ce contexte là – on n'ira pas jusqu'à dire que du pain qui tombe dans l'eau est également min be-mino.
Min be-mino se définit donc non seulement selon la nature physique des choses, mais aussi en fonction du contexte dans lequel elles sont mélangées.

Par ailleurs, le Ramban (sur Avoda Zara 66a) explique que du levain (seor) et de la pâte (issa) doivent, d'après la mishna de Orla (perek 2, kol ha-mehamets) sont min be-mino alors même qu'a priori ils ne répondent ni au critère d'Abayé – le taam – ni au critère de Rava – le shem. Le fait que les deux soient fabriqués à partir de froment, par exemple, ne devrait pas être suffisant pour dire qu'ils partagent le même min puisque l'on voit bien que, pour Rava, du vin jeune et du raisin ne sont pas min be-mino alors même qu'il s'agit à l'origine du même produit et qu'ils partagent en plus le même goût, comme le montre la position d'Abayé. Le Ramban explique qu'il s'agit dans le cas du levain et de la pâte de min be-mino parce qu'il est dans la nature de la pâte de fermenter et de devenir à son tour du levain : il s'agit d'un processus naturel et inévitable, alors que du raisin ne se transforme pas tout seul en jus de raisin. On peut peut-être trouver un distinguo similaire en Gittin 85ba.
1On notera que le Shulhan Arukh (YD 108) est quant à lui possek comme Tossefot, que la halakha suit Rav pour lequel reiha milta hi – mais uniquement dans un petit four non ventilé.

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