Bienvenue sur le blog Yoreh Deah !
Comme son titre l'indique, il est consacré aux questions de איסור והיתר, et plus spécifiquement aux questions de cacherout à partir des textes : Gemara 'Hullin, Yoreh Deah, Pri Megadim... que j'essaie modestement d'enseigner dans divers batei midrashim parisiens.
Vous retrouverez ici le programme de mes cours, mais aussi leurs enregistrements vidéo semaine après semaine, les archives audio des années précédentes, ainsi que des synthèses sous forme de textes.

Horaires des cours proposés :
Niveau avancé: le lundi soir de 21h à 22h30, à la Yéchiva des étudiants de Paris, 10 rue Cadet, dans le bureau du haut.
Niveau intermédiaire : le dimanche matin de 11h à 12h à Ohalei Yaacov au 11, rue Henri-Murger, à l'étage sur la gauche.
En espérant vous voir nombreux !

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mardi 24 juillet 2012

Hullin 99a : Rashi version texte


Retour, enfin, à la sugya de mehamets et metavel en Hullin 99ab (cliquer ici pour afficher le daf). Rappelons le contexte. La Gemara vient de rapporter la sugya de zeroa' beshela, d'où l'on apprend le principe qu'il existe un shiur uniforme pour le bittul des issurim et que ce shiur est une humra deRabbanan par rapport au principe de bittul be-rov. Dans la mesure où le cas précis de zeroa' beshela, celui du eil nazir, relève vraisemblablement de min be-mino1, la question reste ouverte quant au din précis de min be-she-eino mino : c'est toute la mahloket entre Rashi et Tossefot sur place, à propos de ta'am ke-ikkar. Toujours est-il que cette sugya, énoncée au nom de R. Yehoshua b. Levi citant Bar Kappara, établit qu'il existe le-ma'asseh, deRabbanan au moins, un shiur minimal exigé pour le bittul. Ce shiur lui-même fait l'objet d'un débat : d'après R. Hiyya b. Abba, il est de 60 fois la quantité de issur, d'après Rav Assi, il est de 1002.
La sugya qui suit part de ce débat : face à Rav Dimi, Abayé met en question cette option rapportée au nom de Rav Assi que le bittul « de base » serait de 100 : en effet, objecte-t-il, le shiur de bittul pour teruma est lui aussi de 100 et est présenté dans la Mishna (Orla 2) comme une humra par rapport au shiur de base. Voici, très grossièrement résumé, l'objet de la sugya devant nous. Le texte intégral est le suivant :
Rav Dimi
יתיב רב דימי וקאמר לה להא שמעתא

Abayé
אמר ליה אביי וכל איסורין שבתורה במאה והתנן
Mishna Orla 2, 4
למה אמרו כל המחמץ ומתבל ומדמע להחמיר מין ומינו להקל ולהחמיר מין ושאינו מינו

Mishna Orla 2, 7 (min be-she-eino mino)
וקתני סיפא להקל ולהחמיר מין ושאינו מינו כיצד גריסין שנתבשלו עם העדשים אם יש בהם בנותן טעם בין יש בהן להעלות במאה ואחד בין אין בהן להעלות במאה ואחד אסור אין בהן בנותן טעם בין שיש בהן להעלות במאה ואחד בין אין בהן להעלות במאה ואחד מותר
Abayé
אין בהן להעלות במאה ואחד אלא במאי לאו בששים

Rav Dimi
לא במאה
Abayé
והא מדרישא במאה הוי סיפא בששים דקתני

Mishna Orla 2, 6 (min be-mino)
רישא להחמיר מין ומינו כיצד שאור של חטין שנפל לעיסת חטין ויש בו כדי לחמץ בין יש בו כדי להעלות במאה ואחד בין אין בו כדי להעלות במאה ואחד אסור אין בו להעלות במאה ואחד בין שיש בו כדי לחמץ בין אין בו כדי לחמץ אסור

Abayé
רישא וסיפא במאה

Rav Dimi
לא רישא במאה וחד וסיפא במאה

Abayé
וכי יש בו כדי לחמץ במאה וחד אמאי לא בטיל

Rav Dimi
אישתיק

Abayé
אמר ליה דלמא שאני שאור דחימוצו קשה

Rav Dimi
אמר ליה אדכרתן מילתא דאמר רבי יוסי בר' חנינא

R. Yossi b. R. Hanina
לא כל השיעורין שוין שהרי ציר שיעורו קרוב למאתים דתנן דג טמא צירו אסור רבי יהודה אומר רביעית בסאתים

Stam kushia
והאמר רבי יהודה מין במינו לא בטיל

Stam tiruts
שאני ציר דזיעה בעלמא הוא

Il est important, avant de commencer, de préciser les shittot d'Abayé que l'on connaît par ailleurs et qui constituent le contexte de ce débat. Tout d'abord, pour Abayé, ta'am ke-ikkar deOrayta, ce qu'on apprend de bassar be-halav (cf. Hullin 108a). Ensuite, min be-mino est déterminé par le ta'am : batar ta'ama azlinan (AZ 66a). Enfin, dans la sugya de Zeroa' beshela, Abayé apprend deux dinim différents : d'une part que même pour R. Yehuda il y a là-bas bittul dans min be-mino, d'autre part que dans min be-she-eino mino on exige deRabbanan 60 indépendamment de la réalité de la netinat ta'am (cf. Rashi et Tossefot sur place3).
Le débat entre Abayé et Rav Dimi porte donc sur ce double shiur de 100. La réponse de Rav Dimi, d'après une première lecture rapide de la sugya, est de distinguer entre 100 (dans les issurim classiques) et 101 (dans teruma). La maholket entre Rashi et Tossefot porte sur le sens précis de cette distinction entre 100 et 101 : pour Rashi, c'est sans compter le issur (ce qui va bien pour 100 dans les issurim classiques, mais qui demande à être expliqué pour 101 dans teruma, dans la mesure où la drasha à partir de « et mikdesho » en Bamidbar 18, 29 implique normalement 1/100 et non 1/101), pour Tossefot, c'est y compris le issur (donc 1/100 pour teruma, ce qui va bien avec la drasha, mais 1/99 pour les autres issurim, ce qui n'est pas la mashma'ut classique de bittul be-shishim et donc de bittul be-mea). Toujours est-il qu'il faut reconnaître que cette distinction entre bittul dans 99 et bittul dans 100, ou dans 100 et 101, paraît à première vue difficile à admettre et ne pas répondre à la kushia d'Abayé qui semble demander une distinction claire, comme entre 60 et 100. Pour répondre à cette difficulté, peut-être peut-on faire appel à la logique du Rambam qui (dans dinei k'hal notamment) explique que le shiur « classique » de 60 est multiforme : les issurim classiques sont batel dans 60 en sus du issur, les issurim de rabbanan sont batel dans 60 dont le issur (exemple : le k'hal), les issurim qui présentent un aspect de beriya sont batel dans 1 de plus, donc dans 61 pour un œuf contenant un poussin, et dans 60 (59+1) pour une beriya deRabbanan comme la graisse du gid ha-nashe. Tout cela, explique le Rambam, fait partie de la notion même de shishim, qui est deRabbanan, et que les hakhamim ont modulé en fonction des différents aspects du issur afin de créer des hekerim, des indices distinctifs. On pourrait imaginer ici, dans la logique que défend Rav Dimi, que le 100 (ou 101) de teruma serait un simple heker par rapport au 99 (ou 100) des autres issurim.

Prenons maintenant Rashi. La grande difficulté dont il faut tenir compte dans son approche de la sugya est le fait qu'il considère normalement que la halakha suit Rabbi Yehuda, à savoir qu'il n'y a pas de bittul dans min be-mino. Or ici la Mishna, si elle postule bien que le shiur du bittul dans min be-mino est supérieur à celui de min be-she-eino mino, suppose clairement qu'il y a bittul dans min be-mino – et il paraît clair que R. Yehuda est d'accord avec cette mishna, et au contraire peu probable qu'il réfute totalement la notion de bittul teruma. De plus, si l'on se réfère au débat Rashi/Tosfot en Yevamot 82a, on voit que Rashi considère que pour R. Yehuda min be-mino lo batel même dans yavesh be-yavesh, tandis que Tossefot considère que c'est uniquement dans lah be-lah.

Rashi commence par préciser que la Mishna, quand elle parle de mehamets, metavel et medamea', parle de trois cas, c'est-à-dire (contrairement au Rambam dans le Peirush ha-Mishna) que medamea' n'est pas juste ici un terme générique qui décrirait la conséquence de mehamets et metavel, c'est-à-dire de donner à l'ensemble du mélange le statut de teruma (c'est le sens de medamea'). Surtout, il précise ici que le cas de medamea' est celui où on a cuit ensemble la teruma et le reste, autrement dit qu'il s'agit davka d'un cas de lah be-lah. Pour l'instant, la nécessité de cette hava amina n'apparaît pas du tout, sauf à vouloir forcer le parallélisme entre mehamets, metavel et medamea', dont les deux premiers ne font effectivement sens que dans lah be-lah.
Rashi précise ensuite quea dans min be-she-eino mino, la configuration est qu'on a goûté le mélange et qu'il subsiste un goût au-delà de 100 – goût forcément très faible, dès lors ; et pourtant la Mishna interdit le mélange. Il semble que c'est de là que Rashi tire sa notion qu'un taam perceptible interdit même au-delà de 60. C'est dans ce contexte de min be-she-eino mino qu'il choisit de développer la source midrashique du shiur de 100 pour teruma, c'est-à-dire le Sifré sur  Bamidbar 18, 29 (Kora'h piska §, siman 121). Le verset, qui parle de terumat maaser, qui est identique au maaser min ha-maaser et qui vaut donc 1/100 de la récolte (en fait 1/99,9999..., puisqu'un seul grain suffit en théorie pour la teruma gedola, prélevée avant le maaser rishon4), qualifie cette terumat maaser de kol 'helbo et mikdesho mimenu, « la meilleure partie, celle qui le sanctifie ». Les Hakhamim se basent sur ce verset pour dire que si ce centième retombe dans le grain d'où (mimenu) il a été prélevé, il le sanctifie (mikdesho, lu mekadesho) ; autrement dit, si le 1 tombe dans les 99 restants, il les « sanctifie », s'il tombe dans plus (100 voire, selon un autre avis, 99+ε), il ne les sanctifie pas. En réalité, cela signifie que si elle tombe dans 99 ou moins, cette teruma donne à l'ensemble le statut de teruma, si elle tombe dans plus, elle ne change pas le statut hullin et il faut juste prélever la quantité équivalente à la teruma initiale pour la donner au cohen afin que celui-ci ne soit pas lésé financièrement. Si Rashi semble au début présenter la drasha comme une drasha gemura avant de dire mi-kan amru, ce qui signifie qu'il s'agit d'une simple asmakhta et donc d'une loi deRabbanan, il ne fait en fait que reprendre la formulation du Sifré en la commentant. Et on comprend bien qu'il s'agit d'un din uniquement deRabbanan puisque si cette logique était deOraïta elle serait forcément différente : d'une part on pourrait l'étendre à la teruma gedola et dire que de même qu'un seul grain suffit comme teruma gedola pour tout un silo, de même un seul grain de teruma suffit à interdire tout un silo (autrement dit qu'il n'y aurait pas de bittul teruma possible), d'une part il faudrait dire qu'un grain de teruma qui tombe dans un seau de hullin restitue ce dernier au statut de tevel, et non pas, comme c'est le cas ici, qu'il lui donne le statut de teruma.
Rashi explique ensuite que la mishna veut dire qu'en cas de netinat taam dans min be-she-eino mino, le taam n'est pas batel (taama lo batil) même si, selon le din de bittul teruma be-mea, le guf ha-issur est batel. Or cela est un grand hiddush : il signifie qu'a priori pour Rashi le shiur de 100 pour le bittul teruma est valable aussi bien dans min be-she-eino mino que dans min be-mino, ce qu'il n'est pas du tout le pshat apparent de la mishna. On pourrait objecter qu'il s'agit d'une lecture forcée de Rashi, qu'il amène juste cette drasha de bittul teruma ici et non dans min be-mino uniquement du fait qu'Abayé lui-même, dans sa démonstration, a rapporté la seifa de la Mishna, qui parle de min be-she-eino mino, avant la reisha, qui parle de min be-mino.
Mais il nous semble que notre lecture est rendue nécessaire par le Rashi suivant qui explicite la raison pour laquelle il y a bittul dans min be-she-eino mino quand il n'y a pas de netinat taam : דכי בעינן אחד ומאה היכא דאיסורא בעיניה הוא כגון חטין בחטין או כל דבר שלא נתבשל, « on n'exige que le heter soit cent fois supérieur au issur uniquement quand le issur subsiste sous sa forme initiale [même si, évidemment, on ne peut plus le distinguer, sinon il n'y aurait pas de bittul] : par exemple, du froment mélangé à du froment, ou toute chose qui n'a pas été cuite ». Kol davar she-lo nitbashel renvoie à yavesh be-yavesh ; hitin be-hitin renvoie à min be-mino, et si Rashi mentionne les deux, c'est que l'un n'est pas inclus dans l'autre. Autrement dit, on exige bittul be-mea dans yavesh be-yavesh, même dans min be-she-eino mino ; et on exige bittul be-mea dans min be-mino, que ce soit dans lah be-lah ou dans yavesh be-yavesh.
Cela pose plusieurs problèmes par rapport à la compréhension naïve de bittul teruma be-mea qui, aurait-on pu croire, ne s'appliquait qu'à min be-mino. D'une part, pour Rashi, la question n'est pas min be-mino ou min be-she-eino mino mais est-ce que le issur est be-eineh (sous sa forme initiale) ou non. D'autre part, dès lors que Rashi donne comme deux manifestations distinctes de be-eineh yavesh be-yavesh et min be-mino, cela signifie que dans min be-mino on est toujours be-eineh. Cela demande à être expliqué dans la mesure où, a priori, Rashi considère au contraire qu'un issur nimuah, qui a perdu sa forme initiale pour se fondre dans la masse du plat, ne s'appelle même plus mamasho shel issur mais seulement taam (voir Avoda Zara 67b en haut). Le Rosh Yossef (sur Hullin ici) peut, nous semble-t-il, nous éclairer ici. Il explique que (selon la conclusion que Tossefot vont tirer de Rashi par la suite), pour R. Yehuda même dans min be-mino un taam sans mamashut est batel. Comment concilier cela avec le fait que le modèle de R. Yehuda est un mélange de liquides, où par définition le mélange est total et qu'on devrait avoir le même din que nimuah, donc un din de taam sans mamashut pour Rashi ? Il répond qu'un issur solide qui est nimuah perd son statut de mamashut parce qu'il a vu sa forme dégradée, ce qui n'est pas le cas d'un issur liquide dont la forme n'a pas été tant dégradée5. Mais, pourrait-on alors prolonger le raisonnement, cette « kula » du issur nimuah n'est valable que dans min be-she-eino mino dans la mesure où le issur s'est assimilé à un élément hétérogène ; dans le cas de min be-mino, même un issur nimuah ne change pas de catégorie (ce que Rashi appelle hitin be-hitin : avant, c'était du froment, maintenant, c'est toujours du froment) et serait donc considéré comme be-eineh même dans lah be-lah.
Ensuite, si l'on fait intervenir le fait que pour Rashi Abayé est possek comme R. Yehuda que min be-mino lo batel, alors on a beaucoup de mal à comprendre comment s'applique cette mishna de bittul be-mea dans min be-mino selon Abayé (à dire vrai, la solution de facilité serait de dire que cette mishna ne va pas selon R. Yehuda ; mais Abayé est censé être possek selon R. Yehuda, et pourtant cette objection possible n'intervient nulle part dans la sugya ; on est donc obligé de se plier à une autre logique). En effet, ainsi que l'explique le Ran (sur Nedarim), la raison du non-bittul est que les deux éléments sont presque identique et se renforcent au lieu de s'annuler. Or, on l'a vu, pour Rashi, il semble que ce soit une logique similaire qui fait que le din d'issur nimuah ne s'applique pas dans min be-mino ; autrement dit, la règle de R. Yehuda est valable en premier lieu dans yavesh be-yavesh, et par extension dans lah be-lah. Mais alors dans quel cas y aura-t-il, pour R. Yehuda, bittul teruma be-mea dans min be-mino ? Dans yavesh be-yavesh, apparemment jamais, puisque min be-mino lo batel en premier lieu dans yavesh be-yavesh et qu'on ne peut pas retirer le issur (puisque si on peut le retirer dans yavesh be-yavesh c'est qu'il est identifiable et donc il n'y a évidemment bittul pour personne tant qu'on ne l'a pas retiré, et quand on l'a retiré il est évident qu'il n'y a plus aucun problème puisqu'il n'y a pas de résidu de type netinat taam ou autre). Dans lah be-lah, tant que le guf ha-issur est présent, il n'est pas considéré comme nimuah et il ne saurait donc non plus être batel. C'est uniquement dans un cas de lah be-lah où on aurait retiré le issur mais qu'il resterait quand même un taam (ou quelque chose d'équivalent, comme mehamets) que s'appliquerait le bittul be-mea. Et c'est, effectivement, à peu près la conclusion que Tossefot va tirer de shittat Rashi.
Cela supposerait que pour R. Yehuda dans min be-mino le taam seul est bien batel, ce qui serait compatible avec la shitta de Rashi pour qui taam ke-ikkar est deRabbanan, mais pas avec la shitta d'Abayé pour lequel taam ke-ikkar est bien deOrayta (Hullin 108a) – sauf à distinguer le taamo ve-lo mamasho d'un issur nimuah, qui serait deOrayta, et un pur taam, qui serait deRabbanan, et cela, nous le verrons peut-être à la lumière de la fin de la sugya, avec tsir dagim. On pourrait également avancer que la règle de R. Yehuda ne s'applique pas pour un issur deRabbanan et postuler que la Mishna et toute notre sugya discute implicitement de teruma bi-zman ha-ze qui, selon certains, est deRabbanan (mahloket Reish Lakish/ R. Yohanan en Yevamot 81a, qui se poursuit jusque chez le Mehaber/Rama YD 331, 2) ; mais, pour être franc, rien ne le suggère nulle part ni dans la sugya, ni dans les mefarshim6.


1cf. le Rosh Yossef sur place pour des lectures alternatives, notamment où l'on considèrerait que le rotev serait min be-she-eino mino par rapport à la viande (sur la base de Shut Rashba I, 272 à la fin), ou plus largement en définissant le min d'après le shem, à l'exclusion du min « naturel » (voir ce qu'on a écrit plus haut dans le Pri Hadash à ce sujet).

2On se reportera au Ran sur place pour les inférences pratiques de ces deux calculs, notamment la fonction des éléments « neutres » (os, écorces) dans le calcul du bittul.

3 Dans la sugya de te'imat kfeila et dans la sugya présente, il faut noter une grande différence entre Rashi et Tossefot. Pour Rashi, on exige de toute façon 60 et il faut lekhthila faire goûter pour vérifier qu'il n'y a plus de taam ; pour Tossefot, un taam perceptible au-delà de 60 ne s'appelle plus un taam gamur mais un taam kol she-hu et ne sera pas interdit deOrayta même pour quelqu'un qui tient, comme Abayé, que taam ke-ikkar deOrayta ; et même en deçà de 60, s'il n'y a pas de taam perceptible, ce serait muttar ; ce n'est que deRabbanan qu'on exige teimat kfeila ou, à défaut, 60.

4Sauf si on met l'accent sur le cas particulier où le lévi a acquis le maaser rishon alors que le blé était encore en épis avant que le cohen ait pris la teruma gedola, auquel cas le maaser rishon déjà prélevé est patur de teruma gedola et la terumat maaser vaut exactement 1/100 (ce n'est plus vrai quand le grain est déjà lissé). Cf. Yerushalmi Halla 1, 3.

5Peut-être peut-on rapprocher cela de ce que dit le Rambam dans le Moreh Nevukhim (I, 69): אם נפסדה צורתו נפסדה הוויתו ובטל .

6On pourrait cependant comprendre que pour R. Yehuda sa règle ne s'appliquerait pas pour un issur deRabbanan, même si on la comprend comme le Ran. Certes, selon la logique du Ran, le fait que ce ne soit qu'un issur de Rabbanan devrait remettre en cause l'efficacité du bittul même pour les hakhamim, a fortiori pour R. Yehuda. Et, in hakhi nami, on pourrait dire qu'il n'y a pas de bittul d'un issur deRabbanan dans min be-mino ni pour R. Yehuda, ni pour les Hakhamim, et on pourrait cependant imaginer un pseudo-bittul : en fait, puisque deOrayta le issur n'est pas vraiment assur, il n'y a pas de bittul (dans cette shita du Ran), mais les hakhamim n'ont été gozer un issur que quand l'objet visé n'est pas mélangé à une quantité telle qu'il serait batel s'il était interdit deOrayta : donc en-deçà du shiur il n'est pas batel et il est assur deRabbanan, au-delà du shiur il n'est toujours pas batel mais il n'est pas non plus assur. Ceci a clairement de grandes nafka minot, mais pas plus que la notion selon laquelle heter be-heter lo batel. cf. Pri Megadim, petiha le-hilkhot taarovet helek 2, perek 1.

mardi 3 juillet 2012

Mehamets et Metavel, suite

(Comme prévu, j'ai avancé sur le Pri Hadash afin qu'on puisse repasser sur la Gemara.)



La signification apparente de la Mishna dans Orla ainsi que du Rambam (hilkhot maakhalot assurot 16) est que mehamets et metavel ne sont osserim que dans min be-mino davka. Pour autant, le Pri Hadash entend démontrer que mehamets (et par voie de conséquence metavel, puisque les deux vont toujours ensemble) est forcément osser même dans mbsem. La raison en est que d’une part on trouve clairement la notion de mehamets même dans mbsem, avec un agent levant à base de pomme (Terumot 10, 2, repris par le Rambam), d’autre part parce que mehamets interdit du fait que, selon le langage du Rambam, nikeret pe’ulato, « son effet est perceptible. Autrement dit la logique est la même que pour ma’amid, un agent qui apporte une contribution essentielle à la forme présente de l’objet.

Sur la notion de ma’amid même il importe d’apporter plusieurs précisions annexes. Il existe une variété de shittot. Essentiellement, la notion de ma’amid apparaît dans la fabrication du fromage : il s’agit de l’agent qui va faire cailler le lait et va ainsi le faire passer d’une forme liquide à une forme solide. Généralement cet agent est un extrait de panse animale, qui contient les enzymes nécessaires à cette fermentation (nous préparons bsd une synthèse des teshuvot essentielles sur cette question). La Mishna dans Hullin (116a) affirme qu’un ma’amid issu de viande cachère ne pose un problème de bassar be-halav que dans la mesure où il y a netitat ta’am.
La première shitta sur cette notion de ma’amid dans bassar be-halav est celle du Ri Migash, reprise par le Ran et par la suite par le Shul’han ‘Arukh. Elle explique que la nature de ma’amid de la viande cachère empêche son bittul mais que la coprésence de bassar et de halav n’est pas une condition suffisante pour former l’objet interdit bassar be-halav : encore faut-il que soit remplir le critère de netinat ta’am, c’est-à-dire d’une proportion supérieure ou égale à 1/60e (derekh bishul assera Torah, Hullin 108a). Par contre, si le ma’amid est en lui-même interdit (de l’estomac de bête non cachère par exemple), alors son non-bittul interdit de facto tout le mélange.
La deuxième shitta, attribuée à Rabbeinu Tam (Sefer ha-Yashar Hiddushim 474), semble induire qu’il n’y a jamais de véritable problème de ma’amid mais seulement de netinat taam.
La troisième shitta, attribuée au Raavad et reprise par le Ramban, est que dans le cas de maamid taref il n’est pas nécessaire d’avoir recours à la notion de maamid pour interdire, par exemple dans le cas du fromage fabriqué par un non-Juif : en effet, explique cette shitta, quand il s’agit d’aliments confectionnés par des non-Juifs, on ne peut pas se baser sur la te’ima (test de goût en conditions réelles) pour permettre au cas par cas si le taam n’est pas perceptible. La conséquence, dont l’impact sur les questions de cacherout contemporaine nous paraît fondamentale, est que dans le cas de produits alimentaires fabriqués par des non-Juifs les règles de bittul taam sont peut-être plus strictes que dans les cas classiques. Toujours est-il que cette troisième shitta, si elle se dispense du ressort de maamid pour interdire le fromage des non-Juifs (on considère simplement que tout élément taref inséré volontairement par un non-Juif ne saurait être considéré comme batel, qu’il soit ou non maamid effectivement), n’en nie pas pour autant la pertinence dans d’autres cas.
La troisième shitta, qui s’oppose diamétralement à la première, est celle rapportée par le Mordekhai (Hullin, par. 733) qui considère que la netinat taam en jeu dans la définition de bassar be-halav n’est elle-même qu’une modalité de la coprésence du bassar et du halav : coprésence qui est généralement obtenue du fait de la netinat taam mais qui peut aussi bien être obtenue par une haamada : un maamid crée donc du bassar be-halav au même titre que la netinat taam.

Ces quatre shittot ne portent que sur la notion de maamid dans bassar be-halav ; mais toutes sont d’accord (en tout cas la première et la dernière, et assez clairement la troisième – la deuxième n’est pas assez explicite) pour reconnaître que quand le maamid est en lui-même interdit il existe bien cette notion de issur maamid, comme la Mishna elle-même l’avance (Orla 1, 7). Or non seulement il est clair que mehamets ne saurait être raisonnablement distingué de maamid en terme de pe’ula, mais de plus même ceux qui défendraient la shitta selon laquelle il n’y a pas de issur maamid devraient admettre la notion de issur mehamets à cause de ce que dit la Gemara, shani seor she-himutso kasheh (Hullin 99b), « le cas du levain est différent parce que son pouvoir levant est puissant ». Toutes ces raisons suffisent au Pri Hadash pour conclure que le issur mehamets ne saurait se limiter au cas de min be-mino.

On peut encore, explique-t-il, ramener un autre élément. Le issur de metavel ne fait véritablement sens que dans mbsem : dans mbm, l’effet gustatif des tavlin n’est absolument pas distinguable. Metavel n’interdit donc dans mbm qu’à mesure qu’il est susceptible d’interdire dans mbsem. Donc metavel ne peut pas être valable que dans mbm, et dans la mesure où metavel et mehamets sont liés, alors mehamets non plus.

Tout cela semble bien fondé, mais est quand même difficilement réconciliable avec le pshat de la Mishna et surtout du Rambam (perek 16). Autant on peut défendre que dans la Mishna (Orla 2, 7) la notion de netinat taam inclut aussi mehamets en tant que tel, c’est-à-dire en tant que pe’ula, et pas seulement taam au sens strict – et le Pri Hadash propose une lecture cohérente de la Mishna dans ce sens –, autant quand le Rambam (16, 14) semble clairement exiger la condition de min be-mino pour illustrer le issur de mehamets. Le texte s’énonce ainsi :
תבלין שהם שניים או שלושה שמות ממין אחד, או שלושה מינין משם אחד--מצטרפין לתבל ולאסור, וכן לחמץכיצדשאור של חיטין ושאור של שעורין--הואיל ושם שאור אחד הוא--אינן כמין ושאינו מינו, אלא הרי הן כמין אחד; ומצטרפין לשער בהן כדי לחמץ בעיסה של חיטין, אם היה טעם שניהן טעם חיטין, או כדי לחמץ בעיסה של שעורין, אם היה טעם שניהן טעם שעורין.



Autrement dit, le tsiruf des issurim se fait au niveau du shem, c'est-à-dire, comme le Pri Hadash lui-même l'a expliqué, au niveau de la pe'ula : l'un comme l'autre sont seor. Ensuite, pour que ce seor mixte interdise la pâte, encore faut-il, explique le Rambam, qu'il soit de même goût qu'elle. La raison pour laquelle ce critère est requis est clair : pour que le seor et la pâte soient quand même considérés comme min be-mino, bien qu'ils ne partagent pas le même shem (on notera ici que le Rambam considère qu'un levain de froment et une pâte de froment ont en commun le goût de froment, alors que le Ramban tenait, lui, que le goût du levain était fondamentalement différent de celui d'une pâte de même origine. Leur définition de ce qui constitue un goût commun est donc différente : pour le Ramban, c'est le goût constaté qui est pris en compte en tant que tel, alors que pour le Rambam, le goût, dans le présent cas à tout le moins, fonctionne essentiellement comme le signe d'une origine commune). Reprenons. Le siman 16, 14 en question porte avant tout sur le tseruf d'issurim, et seulement incidemment sur le issur de mehamets. Le Rambam pouvait s'arrêter à l'explication de tseruf des seorim. S'il précise qu'il est encore nécessaire de déterminer le min du seor en regard du min de la pâte, s'est bien parce qu'il y a une différence entre min be-mino et min be-she-eino mino dans un tel cas. Au demeurant, le Pri Hadash reconnaît qu'il n'a pas de solution satisfaisante pour cette halakha du Rambam dans le cadre de sa shitta.



En retour, il est vrai que la shitta du Minhat Kohen que repousse le Pri Hadash, à savoir qu'effectivement, mehamets et metavel n'est un issur distinct de noten taam au sens strict que dans min be-mino est difficile à défendre, tant sur le plan de la svara que sur celui des nombreuses mishnayot et autres sources ramenées par le Pri Hadash. C'est cette difficulté qui amène les mefarshim ultérieurs à proposer des solutions originales. Le Rosh Yossef en particulier imagine des configurations où la définition de min be-mino est autonomisée par rapport à celle de la proximité de taam. Ainsi, sur la base du Tossefot Beitsa 39b, il explique que tout ingrédient ajouté volontairement à un mélange et qui en devient un élément essentiel de sa définition rentre dans la catégorie de min be-mino, à l'instar de l'eau et du sel par rapport à la farine du pain. Cette explication se heurte cependant à plusieurs difficultés, que le Rosh Yossef relève d'ailleurs pour la plupart lui-même : le Rambam, s'il est vrai qu'il définit (dans son peirush ha-Mishna) un metavel comme fonction de l'intention de la personne, ce n'est que le-humra, car il parle aussi du issur de mehamets quand le levain est tombé par erreur ; à l'inverse, si l'on maintient qu'un levain tombé par erreur n'est pas osser au titre de mehamets, cela serait valable même dans le cas où sa pe'ula serait perceptible, et au titre de la svara du Pri Hadash on ne voit pas pourquoi on serait mekil dans un tel cas – sauf à soutenir que le issur mehamets est un pur issur deRabbanan et qu'ils n'ont été gozerim que dans min be-mino davka. Mais dans ce cas-là, selon quelle logique ? Les mêmes remarques peuvent être opposées à une autre solution qu'avance le Rosh Yossef, à savoir qu'il faut lire le min be-mino de la Mishna et du Rambam selon la shitta de batar shema azlinan. On expliquerait ainsi, en particulier, comment il peut y avoir un issur de metavel dans min be-mino (cf. d'ailleurs le Hazon Ish taarovet 27, 6 qui ramène à ce propos le cas théorique de piments à divers degrés de maturité). Cela nous paraît cependant difficilement tenable dans la mesure où cela ne répond toujours pas à la kushia fondamentale du Pri Hadash, à savoir pourquoi on serait mekil dans un min be-she-eino mino quel qu'il soit (afilo lo shave lo be-taama ve-lo bi-shma) dans la mesure où pe'ulato nikeret, comme on le voit pourtant dès la Mishna à propos d'un agent levant issu de fruits ; de plus, comme le Rosh Yossef le note encore lui-même, la sugya de mehamets dans Hullin 99b implique Abayé. Il est donc indispensable d'être capable d'expliquer la Mishna aussi selon sa shitta qui veut que batar taama azlinan.



Beezrat Hashem, l'analyse de Rashi et Tossefot sur cette sugya, complétée par une analyse très pénétrante du Lev Arieh, nous permettra de démêler un peu cet écheveau.



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