Bienvenue sur le blog Yoreh Deah !
Comme son titre l'indique, il est consacré aux questions de איסור והיתר, et plus spécifiquement aux questions de cacherout à partir des textes : Gemara 'Hullin, Yoreh Deah, Pri Megadim... que j'essaie modestement d'enseigner dans divers batei midrashim parisiens.
Vous retrouverez ici le programme de mes cours, mais aussi leurs enregistrements vidéo semaine après semaine, les archives audio des années précédentes, ainsi que des synthèses sous forme de textes.

Horaires des cours proposés :
Niveau avancé: le lundi soir de 21h à 22h30, à la Yéchiva des étudiants de Paris, 10 rue Cadet, dans le bureau du haut.
Niveau intermédiaire : le dimanche matin de 11h à 12h à Ohalei Yaacov au 11, rue Henri-Murger, à l'étage sur la gauche.
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mercredi 7 novembre 2012

shitat R. Yehuda dans Zevahim 77b-79a : selon Tossefot

Exceptionnellement, en version audio. Quoique c'est peut-être plus pratique pour vous...
Tosefot zevahim 78B

Allez, un petit sondage en marge extérieure...

jeudi 1 novembre 2012

shitat R. Yehuda dans Zevahim 77b-79a : selon Rashi


La Mishna en Zevahim 77b, à propos de dam zerika, énonce que si le sang du korban s’est mélangé à 1. de l’eau, il reste considéré comme valable pour l’aspersion tant qu’il a l’aspect de sang (ce qu’on appellera par la suite bitul be-hazuta, une annulation qui dépend de l’aspect visuel), même s’il y a plus d’eau que de sang ; 2. du vin rouge, on en évalue l’aspect comme si c’était de l’eau – la Gemara va discuter de savoir si c’est le vin qu’on considère comme de l’eau (option 2a), autrement dit on ramènera le cas du vin à celui de l’eau, ou si c’est le sang qui est considéré comme de l’eau, autrement dit on est dans du bitul be-rov (option 2b) ; 3. du sang de hullin, on applique la même règle que pour le vin (option 2a ou 2b), tandis que R. Yehuda tient que dans ce cas-là il n’y a pas de bitul, même avec une conséquence le-kula puisque ici le sang du korban reste kasher la-zerika même en infime quantité.

Avant de passer à l’analyse de la Gemara, on peut d’ores et déjà poser le cadre théorique qui définit l’ordre des différents cas et l’éventail des shitot. Le sang et l’eau sont min be-she-eino mino autant par leur nature même que par leur aspect visuel ; le sang et le vin rouge sont min be-she-eino mino par nature mais sont d’aspect similaire ; le sang et le sang sont min be-mino. La question est entre autres de savoir si, dans un contexte donné, le fait que les objets possèdent en commun propriété pertinente dans ce contexte (ici, l’aspect visuel) peut prendre le pas sur l’hétérogénéité de leurs essences (sang et vin en l’occurrence) ou si le point de vue de l’essence prime toujours sur les attributs, considérés somme toute comme accidentels.

La Gemara part du maamar de Resh Lakish sur ha-pigul ha-notar ve-ha-tamé pour avancer, avant de la rejeter immédiatement, l’idée qu’il y aurait bitul be-rov même dans min be-she-eino mino (on ne discutera pas ici de savoir comment Rashi, qui tient que taam ke-ikkar est deRabbanan, s’accomode de ce Resh Lakish ; cf. Minhat Kohen) et proposer plutôt que dans min be-mino au moins, il y a bien bitul be-rov. La question surgit alors : pourquoi, dans min be-mino, n’applique-t-on pas le principe de roïn oto, « on considère comme ci », c’est-à-dire qu’on évalue le shiur nécessaire pour le bitul dans min be-mino en imaginant qu’on est dans un min be-she-eino mino : le paradigme en serait le 2a de la mishna, c’est-à-dire qu’on ramènerait le cas du sang mélangé à du vin rouge (min be-mino du point de vue de l’aspect, propriété pertinente dans le contexte) au cas du sang mélangé à de l’eau (min be-she-eino mino). La Gemara objecte alors qu’on pourrait comprendre non pas 2a mais 2b, et qu’on est donc bien dans un bitul be-rov même pour un tel min be-mino limité à une propriété rendue pertinente par le contexte, ce qui soulève à son tour deux objections. Tout d’abord, s’il s’agissait juste de dire que le sang est batel be-rov dans ce cas-là, il n’était pas nécessaire de faire appel à la notion compliquée de roïn oto, il suffisait de dire « batel ». Ensuite, cette alternative renvoie en fait à une mahloket Tannaïm impliquant R. Yehuda.

On montre ainsi, à partir d’une beraïta à propos d’un seau qu’on trempe dans un mikvé, que R. Yehuda applique le principe de roïn oto dans le cas d’un min be-mino limité à la seule propriété pertinente, tandis que les Hakhamim se suffisent dans un tel cas d’un bitul be-rov comme dans un vrai min be-mino. Cela veut donc dire que pour R. Yehuda ce n’est pas le contexte qui détermine le min be-mino en privilégiant une propriété pertinente, mais bien l’essence des choses : or ici, dans le cas du vin blanc mélangé à l’eau, on est dans un min be-she-eino mino du point de vue de l’essence, et on applique le même shiur que si ce min be-she-eino mino se reflétait dans la propriété contextuelle, si le vin était rouge et non blanc en l’occurrence. Pour la Hakhamim au contraire, le min be-mino est déterminé par le contexte qui rend pertinent telle propriété.
Si l’on s’arrête là, on doit donc dire que notre Mishna doit être construite comme ceci : comme en 3 on a une mahloket entre Hakahmim et R. Yehuda, on doit dire qu’il faut comprendre le roïn oto de ce 3 non pas dans le sens fort que R. Yehuda donne à cette notion (2a), mais dans le sens faible des Hakhamim, à savoir un simple bitul be-rov (2b) ; aussi bien est-on pour tout le monde dans un vrai min be-mino. Il faut donc comprendre qu’en 2 aussi on parle de bitul be-rov, où à la limite que le langage de la Mishna est sciemment ambigu pour pouvoir être lu selon la shita des Hakhahim ou selon celle de R. Yehuda ; mais c’est quand même difficile à défendre parce que si 2 allait selon R. Yehuda le roïn oto prendrait deux sens différents dans la même Mishna puisqu’en 3 il va forcément selon Hakhamim.

La Gemara objecte ensuite à partir d’une autre beraïta faisant intervenir le roïn oto de R. Yehuda. L’interprétation de cette beraïta, à quel élément susmentionné constitue-t-elle précisément une objection, et comment comprendre la résolution subséquente de cette objection par Abayé d’une part, par Rava d’autre part, fait l’objet d’un débat profond entre Rashi et Tossefot. La beraïta, que la Gemara attribue à R. Yehuda parce qu’elle fait intervenir le principe de roïn oto, énonce que dans un cas similaire d’un seau partiellement rempli qu’on immerge dans un mikvé, l’urine est considérée (roïn otan) comme de l’eau, tandis que mei hatat (les « eaux lustrales » de la vache rousse), sont batel be-rov.
Expliquons d’abord shitat Rashi. Pour Rashi, cette beraïta vient en contradiction de la beraïta précédente sur le vin blanc. Il expose pour R. Yehuda que l’urine est considérée comme de l’eau et qu’il n’y a même pas besoin de bitul be-rov parce que, du point de vue de l’essence, c’est de l’eau, et ce même si son aspect est sensiblement différent. On a donc ici l’application converse du roïn oto de R. Yehuda : de même que quand on est dans un min be-she-eino mino du point de vue de l'essence mais que du point de vue de la propriété pertinente dans le contexte on est dans du min be-mino alors on va faire comme si (roïn oto) la propriété pertinente dans le contexte reflétait l'hétérogénéité des essences, de même quand on est dans un min be-mino du point de vue de l'essence mais que du point de vue de la propriété pertinente dans le contexte on est dans du min be-she-eino mino alors on va faire comme si (roïn oto) la propriété pertinente dans le contexte reflétait l'homogénéité des essences. Le vin blanc n'est donc pas de l'eau même s'il a une couleur proche, et l'urine est de l'eau même si elle a une couleur différente. Par contre, au niveau de mei hatat, explique toujours Rashi, le fait que le statut de pureté soit hétérogène semble plus important encore que l'essence naturelle : en effet, l'eau du mikvé a pour propriété essentielle de rendre pur l'impur, tandis que les mei hatat ont pour propriété essentielle de rendre impur le pur (sauf pour quelqu'un qui est tame met, mais cela est considéré ici comme l'exception au statut général de mei hatat).


D'après Rashi, cette opposition tuma/tahara est considérée par R. Yehuda comme plus déterminante encore que l'essence naturelle puisqu'on voit ici que bien que les mei hatat soient du point de vue physique de l'eau, elles sont considérée comme min be-she-eino mino dès lors qu'on ne se suffit pas de hashaka (mise en contact) avec l'eau du mikvé comme dans le cas de l'urine mais qu'on demande un bitul. Autrement dit, on applique encore ici une fois le principe de roïn oto en disant que quand deux objets ont un statut de tuma/tahara différent (ou peut-être n'est-ce vrai que parce qu'ici on n'est pas seulement dans tame/tahor mais encore dans metame/metaher), ils sont considérés comme min be-she-eino mino même s'ils sont min be-mino selon leur nature physique. Cela signifie, d'un point de vue ontologique, qu'il existe une hiérarchie des propriétés d'un objet : ses propriétés visuelles sont purement accidentelles en regard de sa nature physique, mais cette nature physique elle-même est secondaire par rapport à une propriété plus essentielle encore qui est metaher/metame. Ou peut-être metaher/metame n'est-elle pas non plus dans l'absolu une propriété essentielle, mais que c'est uniquement le contexte de la purification dans un mikvé qui fait de cette propriété le critère déterminant ici. Dans la première hypothèse, on aurait une proposition ontologique : le statut de metaher/metame est plus essentiel que la nature physique, tandis que dans la première hypothèse, R. Yehuda rejoindrait simplement les Hakhamim sur l'idée que le contexte peut effectivement influer sur la constitution d'un min be-mino/min be-she-eino mino, à ceci près qu'il considérerait que la seule propriété pertinente pour un contexte de mikvé est d'être à tout le moins non-metame. Si l'on compare cette shita à celle du Ran (Nedarim 52a) qui dit que R. Yehuda est holek sur les Hakahamim en ce qu'il considère que le statut de issur ve-heter n'est pas suffisant, même contextuellement, pour déterminer un min be-she-eino mino, alors on est bien obligé de conclure que pour R. Yehuda le din de metame/metaher est fondamentalement différent, et plus important ontologiquement, que le din de issur ve-heter.


Rashi conclut ainsi que la contradiction entre les deux beraïtot est que pour R. Yehuda, dans le cas d'un min be-she-eino mino (que celui-ci soit déterminé par la nature physique ou par le statut de metame/metaher), dans la première beraïta on exige un bitul be-hazuta alors que dans la seconde on se satisfait d'un bitul be-rov.


La Gemara propose alors deux résolutions à cette contradiction. Pour Abayé, l'une des shitot n'est en réalité pas celle de R. Yehuda lui-même mais celle de son maître, Rabban Gamliel, comme on le voit d'une beraïta qui énonce que la formule אין דם מבטל דם est dite par R. Yehuda au non de Rabban Gamliel. Rashi, à la lumière de sa compréhension de la contradiction entre les deux beraïtot, explique qu'il faut comprendre ainsi : de même que Rabban Gamliel est mahmir dans min be-mino en considérant qu'il n'y a pas de bitul possible, de même il est mahmir dans min be-she-eino mino en exigeant toujours un bitul be-hazuta en faisant jouer le principe de roïn oto le-humra (le cas de l'eau et du vin blanc dans la première beraïta) ; par contre, R. Yehuda tiendrait qu'il y a bitul be-rov dans min be-mino et que même quand le contexte transforme un min be-mino en min be-she-eino mino (deuxième beraïta), soit il s'agit d'une propriété accidentelle comme la couleur et alors on applique un roïn oto le-kula (urine), soit il s'agit d'une propriété essentielle comme metame/metaher et on se satisfait quand même d'un bitul be-rov.
Il semble qu'il faille en déduire que même dans un min be-she-eino mino sous tous points de vue R. Yehuda dirait qu'on se contente d'un bitul be-rov, mais cette option semble difficile à soutenir au vu de notre mishna, dont le premier cas, le mélange de sang et d'eau, semble exiger un bitul be-hazuta pour tout le monde. Deux réponses sont possibles : soit effectivement R. Yehuda serait holek et dirait que même dans ce cas-là un bitul be-rov opèrerait, mais la mishna n'évoquerait pas cette possibilité ; soit R. Yehuda maintiendrait que du point de vue du bitul ha-guf c'est bien le bitul be-rov qui joue, même dans min be-she-eino mino, mais que pour autant l'aspect visuel (ou gustatif, ou toute autre propriété sensorielle que R. Yehuda considèrerait dès lors comme accidentelle par rapport à l'essence), sans être un déterminant du din de min be-mino/min be-she-eino mino, serait quand même un facteur pour empêcher le bitul, indépendamment du din de min be-mino/min be-she-eino mino. Il serait ainsi d'accord avec les Hakhamim tant dans le cas du mélange d'eau et de sang que dans celui du mélange de vin rouge et de sang, à savoir qu'on aurait un bitul be-hazuta dans le premier cas et un bitul be-rov dans le second cas, mais pour des raisons différentes : pour les Hakhamim, l'aspect visuel détermine le din de min be-mino/min be-she-eino mino, pour R. Yehuda, il y a bitul be-rov même dans min be-she-eino mino mais, indépendamment de cela, l'aspect visuel peut empêcher le bitul.


Tout ceci va selon le teiruts d'Abayé. Pour Rava, la shita de R. Yehuda est bien que dans min be-mino il n'y a pas de bitul et que dans min be-she-eino mino on applique roïn oto pour exiger un bitul be-hazuta. La dernière beraïta, à propos de mei hatat, concerne une situation exceptionnelle où il n'est pas nécessaire d'effectuer la tevila de la face interne du seau, et que c'est uniquement pour s'assurer que la face externe du seau était entièrement immergée dans le mikvé que les Sages ont exigé qu'il y ait un rov d'eau du mikvé à l'intérieur du seau : c'est dans ce cas-là uniquement que R. Yehuda est meikil, parce qu'en vérité cette exigence de rov n'a aucun rapport avec un din de bitul.



lundi 22 octobre 2012

Hullin 99b fin de mehamets Rashi/Tossefot


Je ne reprends pas toute l’analyse des Rashi et Tossefot sur la sugya qui sont assez clairs et dont nous avons relevé les enjeux (100 & 101 vs. 99 & 100) dans l’introduction. Je voudrais simplement revenir sur la définition de mehamets selon Rashi et Tossefot. Nous avons vu chez le Pri Hadash un débat pour savoir s’il y avait un réel issur de mehamets en tant que tel, c’est-à-dire au titre de ma’amid, ou si un mehamets n’était interdit qu’en tant qu’il est noten ta’am. Rashi laisse planer une ambiguïté révélatrice, puisqu’il dit que יש בו כדי לחמץ היינו נותן טעם, « mehamets signifie noten taam ». Cela peut se comprendre de deux façon : le mehamets interdit au même titre qu’une netinat ta’am au titre de hakarat ha-issur, ou pour le dire comme le Rambam, de pe’ulato nikeret ; ou au contraire il n’y a pas d’issur propre de mehamets, mais un agent levant n’interdit que dans la mesure où il est noten ta’am mamash. Dans le premier cas, on aurait un issur de mehamets aussi bien dans min be-mino que dans min be-she-eino mino, comme l'écrit le Pri Hadash ; dans le second cas, on comprendrait que mehamets constituerait justement un cas où on serait à la fois dans du min be-mino et dans une netinat ta'am perceptible (cf. le Ramban). Tossefot semblent confirmer assez clairement la deuxième lecture, puisqu'ils déduisent de la mishna (116a) qu'il n'existe pas d'issur de ma'amid mais seulement de noten ta'am, ce qui les amène à poser la question de savoir comment un mehamets peut interdire au titre de netinat ta'am, c'est-à-dire de ta'am gamur et non de ta'am kalush (cf. 98b ד"ה אמר רבא לא נצרכא אלא לטכ"ע), au delà de 100 (sachant que pour Tossefot la question d'Abayé porte directement sur la mishna et non sur la seule lecture de Rav Dimi). Et c'est pourquoi ils répondent que c'est effectivement ce que veut dire Abayé quand il dit חמוצו קשה, certains levains ont effectivement un potentiel de netinat ta'am supérieur à 100, contrairement à la plupart des issurim ; et la sugya continue sur cette hypothèse-là – en fait, on ouvre ici une nouvelle sugya.



Avant d'entamer cette nouvelle sugya, j'aimerais rapporter deux hiddushim du Lev Arieh qui apportent à mes yeux un éclairage essentiel.
Tout d'abord, à propos de la mahloket dans zeroa' beshela de savoir s'il faut en déduire le shiur de 60 ou de 100, il explique que le nœud du débat, dans la mesure où de toute façon dans le cas du eil nazir le ta'am n'est pas perceptible, est justement de savoir si l'on fonde dessus un issur de ta'am gamur seulement (i. e. 60) où si l'on interdit même un ta'am kalush (donc jusqu'à 100). Cette approche donne un tout autre éclairage tant sur le dernier Tossefot que sur leur mahloket avec Rashi en 98b.
Ensuite, pour résoudre l'incongruité de la Mishna qui semble laisser entendre que le issur de mehamets n'existe que dans min be-mino, il explique que le levain a ceci de particulier que non seulement il fait lever la pâte mais encore il amène la pâte à lever d'elle-même : la simple présence d'un mehamets crée donc une situation de min be-mino dans la mesure où il fait acquérir à la pâte des propriétés de mehamets qui rendent indiscernable l'effet propre du issur originel.
Et dans la lignée des hypothèses que nous avons pu développer auparavant, j'aurais tendance à dire que la même analyse peut être appliquée à metavel si l'on définit celui-ci comme un exhausteur de goût : dans la mesure où il n'apporte pas de goût distinct mais vient plutôt accentuer le goût du plat, alors on est dans du min be-mino puisqu'on n'est plus en mesure de distinguer l'effet gustatif propre du issur et le goût de base du plat.

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